• Aucun résultat trouvé

5.1 Les modalités d'association entre dépression et trouble neurocognitif

5.2.10 Modèles intégratifs

Nous venons de rapporter les différentes hypothèses avancées dans la littérature pour expliquer le lien entre dépression et trouble neurocognitif. Comme nous l'avons déjà souligné, il n'y a pas une hypothèse exclusive, mais bien une intrication de plusieurs mécanismes qui s'impactent les uns les autres, rendant la compréhension du lien entre ces deux entités difficile. Plusieurs auteurs ont proposé des modèles intégratifs hypothétiques. Nous avons retenu ceux qui nous ont semblé les plus

éclairants. Certains traitent de l'association entre dépression et démence sans précision, d'autres de l'association entre dépression et démence d'Alzheimer, d'autres encore de l'association entre dépression et démence d'Alzheimer et/ou vasculaire.

5.2.10.1 Modèles intégratifs : association entre dépression et démence sans précision

Le modèle proposé par Byers et Yaffe reprend cinq des hypothèses que nous avons précédemment développées. Dans ce modèle, la dépression serait un facteur de risque de démence (296) :

 Hypothèse vasculaire, la dépression entraîne des lésions ischémiques localisées dans les régions fronto-striatales qui :

- peuvent modifier le tableau clinique et entraîner une dépression vasculaire caractérisée par une altération des fonctions cognitives, un ralentissement psychomoteur, une chimiorésistance, etc.

- sont susceptibles de favoriser la survenue d'une pathologie démentielle

 Hypothèse du stress, la dépression active le système hypothalamo-hypophysaire, augmente

la production de glucocorticoïdes qui sont neurotoxiques et participent à l'atrophie hippocampique.

 Hypothèse de la formation de peptides béta-amyloïdes, directement et / ou via les glucocoticoïdes.

 Hypothèse de l'inflammation

 Hypothèse de l'altération des facteurs neurotrophiques

5.2.10.2 Modèles intégratifs : association entre dépression et démence d'Alzheimer

Sierksma et al soutiennent l'hypothèse que l'épisode dépressif majeur est un facteur de risque de démence d'Alzheimer (310). Selon leur modèle, la dépression s'accompagne d'un dysfonctionnement du système sérotoninergique et de l'axe hypothalamo-hypophysaire (à l'origine d'une hypercortisolémie). L'hypercortisolémie et l'altération du système sérotoninergique (qui normalement protège les neurones de la toxicité du peptide béta-amyloïde) favoriseraient la formation des plaques séniles et la dégénérescence neurofibrillaire, donc la maladie d'Alzheimer. Butters et al ont également proposé un modèle permettant d'expliquer le lien entre dépression et démence d'Alzheimer, il apporte plusieurs notions fondamentales (294). Comme dans le modèle de Byers et Yaffe, on y trouve l'hypothèse vasculaire (à l'origine d'ischémies cérébrales) et l'hypothèse de l'hypercortisolémie (à l'origine d'une atrophie hippocampique et favorisant la formation des plaques séniles et la dégénérescence neurofibrillaire).

En plus de cela, Butters et al introduisent la notion de réserve cognitive ; la dépression compromettrait la réserve cognitive ayant pour conséquence d'abaisser le seuil de survenue des

symptômes cliniques de la maladie d'Alzheimer. Cela implique que le sujet ait préalablement développé les lésions anatomo-pathologiques propres à la démence d'Alzheimer, soit du fait de l'hypercortisolémie mais également de façon co-occurrente sous l'influence d'autres facteurs de risque de la démence d'Alzheimer.

5.2.10.3 Modèles intégratifs : association entre dépression et démence d'Alzheimer et/ou vasculaire D'après leur analyse de la littérature et à la lumière des hypothèses élaborées dans leur précédent modèle, Butters et al ont proposé cinq modèles différents liant dépression et évolution cognitive dans le temps (294). Il est à noter qu'ils considèrent le modèle numéro 4 comme étant le plus fréquent chez les individus présentant une dépression à début tardif.

Le premier modèle s'applique à la dépression de façon générale, quel que soit l'âge du sujet lors de sa survenue. La dépression n'entraîne pas d'altération particulière (notamment pas de neurotoxicité due à l'hypercortisolémie) et les sujets continuent à fonctionner normalement sans altération des fonctions cognitives à long terme.

Le deuxième modèle s'applique également à la dépression de façon générale, quel que soit l'âge du sujet lors de sa survenue. La dépression entraîne une altération des fonctions cognitives (par exemple par le biais d'une hypercortisolémie à l'origine d'une neurotoxicité) de sorte que le sujet développe un MCI. Le MCI peut se stabiliser, à moins que l'individu ne soit sujet à d'autres épisodes dépressifs.

Le troisième modèle concerne des individus ayant développé sur plusieurs années des lésions anatomo-pathologiques de la démence d'Alzheimer et chez qui survient une dépression du sujet âgé (pouvant consister ou non en l'expression clinique de la maladie d'Alzheimer). Dans ce modèle la dépression compromet la réserve cognitive et entraîne une accélération du déclin cognitif, puis un MCI. Etant donné les lésions anatomo-pathologiques de la maladie d'Alzheimer préexistantes, le MCI progresse vers une démence d'Alzheimer.

Le quatrième modèle concerne des individus ayant développé sur plusieurs années et de façon co- occurrente des lésions anatomo-pathologiques de la démence d'Alzheimer et des lésions cérébrovasculaires. Ces différentes lésions conduisent à la survenue d'une dépression à début tardif, l'ensemble affectant la réserve cognitive et entraînant un MCI. Etant donné les lésions anatomo- pathologiques de la maladie d'Alzheimer et les lésions cérébrovasculaires préexistantes, le MCI progresse vers une démence d'Alzheimer à laquelle se surajoute des lésions vasculaires, et le MCI progresse vers une démence mixte.

Le cinquième modèle concerne des individus ayant développé sur plusieurs années des lésions cérébrovasculaires. Ces lésions conduisent à la survenue d'une dépression à début tardif, l'ensemble

affectant la réserve cognitive et entraînant un MCI. Etant donné les lésions cérébrovasculaires préexistantes, le MCI progresse vers une démence vasculaire.

6 Discussion

Afin de discuter les données de la littérature que nous avons présentées, nous commencerons par reprendre certaines notions clés développées au cours de ce travail. Nous essaierons par la suite d'établir des modèles permettant de conceptualiser le lien entre dépression et trouble neurocognitif. Nous réfléchirons alors aux implications que cela soulève. Ainsi, nous essaierons de dresser le profil du patient souffrant de dépression qui serait plus à risque d'évolution vers une pathologie démentielle et réfléchirons aux mesures de dépistage, de prévention, etc. Puis nous proposerons, à la lumière de ces notions, de commenter deux cas cliniques de patients dont la symptomatologie illustre notre travail.