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Dépression à début tardif prodrome de démence : oui, mais de quel type de démence ?

5.1 Les modalités d'association entre dépression et trouble neurocognitif

5.1.2 De la démence à la dépression

5.1.2.1 Dépression comme prodrome de démence

5.1.2.1.1 Dépression à début tardif prodrome de démence : oui, mais de quel type de démence ?

l'association entre dépression à début tardif et les différents sous-types de démence, bien que leurs études aient comporté des sujets atteints de démences d'étiologies différentes (282)(283).

Brommelhoff et al, eux, ont refait leurs analyses en incluant uniquement les individus atteints de démence de type Alzheimer (284). Les dépressions à début tardif étaient associées à une augmentation de survenue de démence d'Alzheimer avec un risque multiplié par un facteur 2,6 (OR 2,62 [IC95% 1,12-6,17]), contrairement aux dépressions à début précoce (OR 0,66 [IC95% 0,24-1,81]). Ces résultats soutiennent l'hypothèse que la dépression à début tardif est un prodrome de démence d'Alzheimer. Malheureusement, les auteurs n'ont pas fait les analyses pour les autres sous-types de démence.

Les résultats de Green et al, dont nous avons présenté l'étude précédemment, soutiennent également l'hypothèse que la dépression à début tardif est un prodrome de la démence d'Alzheimer puisque plus l'intervalle de temps entre ces deux pathologies était petit, plus l'association était forte (272). Les auteurs n'ont pas étudié l'association avec les autres types de démence.

Barnes et al ont cherché à clarifier la nature du lien entre dépression et démence en examinant l'impact sur la cognition des symptômes dépressifs survenant en milieu ou en fin de vie (285). Pour cela, ils ont réalisé une étude de cohorte rétrospective chez 13 535 individus volontaires de Californie du Nord membres du programme "Kaiser permanent medical care program", inclus entre 1964 et 1973 et âgés de 40 à 55 ans. Il s'agit d'une base de données administratives. Les diagnostics étaient posés selon les critères ICD-9. Le diagnostic de dépression en milieu de vie était recherché entre 1971 et 1979, le diagnostic de dépression en fin de vie entre 1990 et 1999 et le diagnostic de démence entre 2003 et 2009. Les sujets pour lesquels un diagnostic de démence avait été posé avaient été orientés vers des cliniques neurologiques afin d'affiner le diagnostic : maladie d’Alzheimer ou démence vasculaire. Les individus présentant d'autres types de démence étaient exclus des analyses. Les individus étaient classés en quatre groupes : A = pas de symptôme dépressif, B = symptômes dépressifs en milieu de vie, C = symptômes dépressifs en fin de vie, D = symptômes dépressifs en milieu et en fin de vie. Les individus du groupe B n'avaient pas d'augmentation de risque significative de survenue d’une maladie d’Alzheimer (HR 1,06 [IC95% 0,85-1,33]) ou de démence vasculaire (HR 1,24 [IC95% 0,90-1,72]). En revanche, les individus des groupes C et D avaient une augmentation du risque de survenue d’une maladie d’Alzheimer (C : HR 2,06 [IC95% 1,67-2,55], D : HR 1,99 [IC95% 1,47-2,69]), et de démence vasculaire (C : HR 1,47 [IC95% 1,01-2,14], D : HR 3,51 [IC95% 2,44-5,05]). Soit le risque de survenue d'une maladie d’Alzheimer chez les individus ayant des symptômes dépressifs en fin de vie uniquement ou en milieu et fin de vie était multiplié par 2, et le risque de survenue d'une démence vasculaire chez les individus ayant des symptômes dépressifs en milieu et fin de vie était multiplié par 3,5. Les résultats soutiennent donc l'hypothèse que la dépression à début tardif soit un prodrome de démence. D'un autre côté la récurrence de

symptômes dépressifs tout au long de la vie semble refléter un long processus de modifications cérébro-vasculaires prédisposant au développement d'une démence vasculaire.

D'après Schweitzer et al la dépression à début tardif peut être un prodrome de tous les types de démence, la démence d'Alzheimer et la démence vasculaire étant plus fréquemment retrouvées du fait de leur prévalence (74).

Dans une cohorte prospective incluant 7989 sujets âgés dans trois centres français, Lenoir et al ont mis en évidence une augmentation du risque de démence vasculaire mais pas de démence d'Alzheimer chez les sujets présentant à l'inclusion (4 ans auparavant) un nombre élevé de symptômes dépressifs (démence vasculaire : HR 4,8 [IC95% 2,2-10,7]; démence d'Alzheimer : HR 1,0 [IC95% 0,7-1,6]) (286). En revanche, il n'y avait pas d'augmentation du risque de démence chez les sujets qui avaient rapporté des antécédents de dépression plus tôt dans la vie. Ces résultats supportent l'hypothèse que la dépression à début tardif est un prodrome de démence vasculaire, mais pas de la maladie d'Alzheimer.

En revanche, Heser et al estiment que la dépression à début tardif est un prodrome de la maladie d'Alzheimer mais pas des démences d'autres types (287).

Auteurs Type d'étude Durée du suivi Nombre de sujets Résultats

Li et al (282) cohorte prospective 15 ans 3410 EOD (<50 ans) : HR 1,10 [IC95% 0,83-1,47] LOD (>50 ans) : HR 1,46 [IC95% 1,16-1,84]

Mirza et al (283) cohorte prospective 13,7 ans 4393

0-5 ans : HR 1,19 [IC95% 1,07-1,33] 5-10 ans : HR 1,15 [IC95% (1,03-1,29] 10-13,7 ans : HR 0,84 [IC95% 0,68-1,05] Brommelhoff et al (284) cas-témoins 547-12133 <10 ans DSP : OR 3,87 [IC95% 2,10-7,14] >10 ans DSP : OR 0,90 [IC95% 0,44-1,85] <10 ans DA : OR 2,62 [IC95% 1,12-6,17] >10 ans DA : OR 0,66 [IC95% 0,24-1,81] Green et al (272) cas-témoins 1953-2093 < 1 an : OR 4,57 [IC95% 2,87-7,31] < 5 ans : OR 2,60 [IC95% 1,88-3,61]

Barnes et al (285) cohorte rétrospective 13535 groupe C : DA : HR 2,06 [IC95% 1,67-2,55] groupe C : DV : HR 1,47 [IC95% 1,01-2,14]

Schweitzer et al (74) revue de la littérature

Lenoir et al (286) cohorte prospective 4 ans 7989 DV : HR 4,8 [IC95% 2,2-10,7] DA : HR 1,0 [IC95% 0,7-1,6]

Heser et al (287) cohorte prospective 4,5 ans 2663 LOD : DA : HR 5,48 [IC95% 2,41-12,46]

Tableau 6 : Etude du lien : dépression comme prodrome de démence (EOD ou Early Onset

Depression, LOD ou Late Onset Depression, DSP ou démence sans précision, DA ou démence

d'Alzheimer, DV ou démence vasculaire)

Ainsi, la revue de la littérature apporte beaucoup d'arguments en faveur de l'hypothèse que la dépression à début tardif soit un prodrome de la démence d'Alzheimer. Pour ce qui est des autres types de démence, il existe moins de données et les résultats sont davantage controversés. Il n'est cependant pas exclu que la dépression à début tardif puisse être un prodrome de démence vasculaire, voire d'autres démences.

5.1.2.2 Dépression comme réaction au déclin cognitif

Plusieurs auteurs ont défendu l'hypothèse que la dépression pourrait survenir en réaction au déclin cognitif. L'épisode dépressif se déclarerait au tout début de la pathologie démentielle, avant même que le trouble occasionne une gêne fonctionnelle ; la dépression serait alors secondaire au déclin cognitif mais précèderait le diagnostic de démence (239). En effet, d'après l'étude de cohorte prospective menée par Bassuk et al, les symptômes dépressifs ne prédiraient la survenue d'une pathologie démentielle que chez les sujets présentant déjà une altération des fonctions cognitives et non pas chez ceux cognitivement indemnes (288). Les individus concernés pourraient ne pas avoir conscience du déclin cognitif mais ressentir un mal-être secondaire à la perception d'un changement sans être en mesure d'en déterminer la cause (239). Cependant, Jorm et al estiment que les sujets ont forcément conscience du déclin de leurs fonctions cognitives (289).

D'après une autre étude de Jorm et al, il est plus fréquent que l'altération des fonctions cognitives fasse partie intégrante du trouble dépressif plutôt qu'elle soit primaire et que sa prise de conscience mène à la dépression (290).

De plus, lorsque Carpenter et al ont étudié la réaction d'individus à l'annonce d'une pathologie démentielle, l'annonce du diagnostic ne provoquait pas de symptomatologie dépressive ou anxieuse (291).