• Aucun résultat trouvé

2.4 Etiopathogénie

2.4.2 Théories étiopathogéniques

2.4.2.1 Des théories psychanalytiques aux neurosciences

S. Freud et K. Abraham sont parmi les premiers à avoir théorisé sur un plan psychodynamique la cause de la dépression (90). En 1917, dans Deuil et mélancolie, Freud reprend le modèle du deuil pour expliquer la mélancolie et les dépressions névrotiques (91). La dépression serait un deuil lié à la perte de l'objet d'amour (pouvant aussi bien être "une personne aimée ou une abstraction : patrie, liberté, idéal, etc."). Dans le cas d'un investissement de l'objet narcissique, les sujets investissent autant le moi que l'objet d'amour. La perte de l'objet d'amour revient alors à la perte du moi ; et la dépression est un deuil lié à la perte du moi. En 1924, K. Abraham postule qu'une fixation de la libido à la phase orale prédispose à la mélancolie qui est "une blessure grave du narcissisme infantile par déception amoureuse" (92). Cette déception amoureuse concerne d'abord la mère, puis le père. Elle survient alors que l'Oedipe ne s'est pas produit. L'enfant ressent alors "un sentiment total d'abandon" qui fera le lit de la dépression. Ultérieurement, la répétition de cette déception primaire déclenchera les accès dépressifs à l'âge adulte.

Selon M. Klein, le moi du bébé introjecte de bons objets (ceux qu'il reçoit) et de mauvais objets (ceux qui lui manquent, qui le persécutent et sur lesquels il projette son agressivité) (93). La position dépressive est liée à la crainte de ne pas réussir à restaurer les bons objets ; la surmonter est fondamental. Le deuil pathologique et les états dépressifs correspondent à la réactivation de la position dépressive infantile qui n'a jamais été surmontée, faute d'avoir pu établir de bons objets internes.

R.A. Spitz et D.W. Winnicott s'éloignent de l'hypothèse de la position dépressive (94). C'est à R.A. Spitz, en 1946, que l'on doit le concept de dépression anaclitique et d'hospitalisme, deux maladies causées par une carence affective chez le nourrisson en raison d'une séparation maternelle prolongée (95). Il a également, en développant les travaux d'Anna Freud, exposé la théorie de

l'enfant qui suit sa mère dans la dépression. Contrairement à son hypothèse précédente, il n'y a pas ici de perte physique de l'objet (la mère) mais une perte émotionnelle : "Emotionnellement, la bonne mère, l'objet investi de libido, est perdue."

Bowlby, dans les années 1960, souligne l'importance des interactions précoces et de l'attachement primaire pour le développement harmonieux de l'enfant. Selon lui une tendance excessive à la dépendance de l'attachement à l'autre, ou à l'inverse, une tendance à l'évitement des relations trop proches peuvent prédisposer à la dépression (96). Blatt, psychanalyste contemporain, reprend la théorie freudienne de la distinction entre investissement libidinal objectal et investissement narcissique. En effet, selon lui, la dépression est soit anaclitique (liée à la dépendance et la crainte d'être abandonné), soit introjective (liée à la mésestime de soi) (97).

Faisant suite aux avancées du courant psychanalytique et notamment aux travaux de Bowlby, des auteurs vont mettre en évidence un lien entre les évènements de vie survenus à un âge précoce et le risque de dépression à l'âge adulte. Certains, comme Tennant et al et, plus récemment, Slavich et al, ont travaillé sur l'impact des pertes parentales précoces (décès d'un ou des parents, séparation, etc.) ; d'autres, comme Molnar et al, se sont intéressés aux évènements psychotraumatiques précoces (abus sexuels essentiellement) (98)(99)(100). D'après les résultats de la National Comorbidity Survey (5877 participants aux Etats-Unis), 13,5% des femmes et 2,5% des hommes rapportaient un antécédent d'abus sexuel (100). Les antécédents d'abus sexuel étaient associés à une augmentation du risque de dépression à l'âge adulte chez les femmes (femmes : OR 1,8 [IC95% 1,4-2,3]). Leurs résultats permettent de considérer que les évènements précoces (pertes parentales et évènements psychotraumatiques) sont un facteur de vulnérabilité dépressive à l'âge adulte.

De nombreux travaux ont également porté sur le rôle des évènements récents de la vie dans le déclenchement des épisodes dépressifs. Selon Hardy et al, plus de 60% des premiers épisodes dépressifs seraient précédés d'un ou plusieurs évènements stressants et le risque de dépression serait six fois plus grand chez les individus ayant été exposés à un évènement de vie stressant (101). Kessler rapporte que l'augmentation du risque de dépression est proportionnelle à la gravité de l'évènement traumatique (102). Les évènements les plus dépressogènes seraient les évènements psychotraumatiques, les pertes : décès, séparation, puis les pertes d'emploi, etc. De nombreux auteurs, dont Beck, ont observé que la vulnérabilité dépressive dépend en partie de la personnalité sous-jacente (103).

D'autres auteurs se sont interrogés sur la place des évènements de vie dans la répétition des épisodes. En effet, il a été observé que l'association entre les évènements de stress majeurs est plus forte avec le premier épisode dépressif qu'avec les récidives. De plus, les récidives sont déclenchées

par des évènements dont l'intensité décroît au fur et à mesure qu'augmente le nombre d'épisodes antérieurs. Tandis que les évènements stressants d'intensité modérée déclenchent des récidives mais pas les premiers épisodes (104). Ceci est en accord avec la théorie du kindling proposée par Post pour expliquer le caractère graduellement autonome des récidives : les évènements de vie jouent un rôle déclencheur des premiers épisodes dépressifs qui sont à l'origine d'une sensibilisation au stress, les récidives se déclenchent à l'occasion de facteurs de stress de plus en plus minimes puis sans stresseur observable et le trouble s'autonomise (105).

Nous venons de mettre en évidence le rôle des évènements de vie dans la survenue de la dépression et de montrer en quoi ces évènements sont modulés par des facteurs psychosociaux et psychologiques. Ils sont également susceptibles d'interagir avec des facteurs génétiques et biologiques que nous nous efforçons de présenter par la suite.