• Aucun résultat trouvé

4.1 Pourquoi se questionner sur une association entre ces deux entités ?

4.1.1 Le lien clinique

4.1.1.3 Dépression ou démence ?

La question du diagnostic différentiel entre ces deux entités est primordiale et peut s'avérer ardue, surtout aux stades précoces de démence. En effet, le diagnostic est essentiellement clinique et leur sémiologie se chevauche en partie. Comme nous l'avons étudié précédemment, le noyau central de la dépression est le trouble de l'humeur, mais elle s'accompagne volontiers de troubles cognitifs,

tandis que la démence se caractérise par la survenue de déficits cognitifs, très fréquemment associés à des perturbations psychoaffectives dont des symptômes dépressifs. Selon Derouesné et Lacomblez, la difficulté du diagnostic différentiel serait surestimée dans la littérature, tout au moins pour la maladie d'Alzheimer (221). En revanche, différencier la dépression d'une démence fronto-temporale ou vasculaire est bien plus délicat car ce sont les mêmes fonctions cognitives qui sont altérées dans ces pathologies. Dans tous les cas, il est évident que la difficulté diagnostique dépend de la formation du clinicien à la fois en psychiatrie et en neurologie.

4.1.1.3.1 Diagnostic différentiel entre dépression et démence

4.1.1.3.1.1 PREMIER ENTRETIEN

La première indication vient de la personne à l'origine de la consultation. Le sujet dépressif a plus souvent tendance à être inquiet pour sa santé, à se plaindre de la diminution de ses aptitudes, mettant en avant son désespoir, son dégoût de soi et peut consulter de lui-même. En revanche, le sujet dément se désintéresse de sa santé, a tendance à se défendre de tout changement et nier les troubles. Il se montre relativement indifférent, semble peu affecté et la consultation est souvent suscitée par les proches.

4.1.1.3.1.2 ANTECEDENTS ET MODALITE DE DEBUT DES TROUBLES

Il est important de renseigner les antécédents personnels et familiaux du sujet. Ils ne suffisent pas à porter un diagnostic mais permettent d'éclairer le contexte. Ainsi, un sujet ayant une histoire personnelle et familiale de trouble psychiatrique et un sujet sans antécédent psychiatrique mais avec une histoire familiale de pathologie démentielle ont deux profils très différents qui orientent vers un diagnostic plutôt qu'un autre. Cependant, les premiers épisodes dépressifs à un âge avancé ne sont pas rares, tout comme la survenue d'une affection démentielle chez un sujet aux antécédents psychiatriques.

La modalité et la date de début des troubles apportent des renseignements précieux et orientent souvent le diagnostic. Ainsi, un début des troubles estimé à quelques semaines ou quelques mois, d'apparition suffisamment nette pour que le patient ou son entourage soient en capacité de le situer dans le temps est en faveur d'un trouble dépressif. Il est beaucoup plus difficile de faire préciser le début des troubles lorsque le sujet présente une démence. En effet, les troubles surviennent de façon plus insidieuse et les aménagements du sujet et des proches autour de lui ont tendance à masquer ses difficultés. Il est fréquent qu'un entretien minutieux mette en lumière des modifications de comportement qui avaient semblé anodines à la famille à l'époque. L'interrogatoire permet alors une relecture des faits et aide à dater les troubles qui sont généralement apparus il y a plus d'un an ou parfois plusieurs années auparavant.

4.1.1.3.2 Les particularités du diagnostic différentiel entre la dépression et la maladie d'Alzheimer

4.1.1.3.2.1 LES SYMPTOMES DEPRESSIFS

Certains symptômes dépressifs sont communs à la dépression et à la maladie d'Alzheimer, tandis que d'autres ne sont presque jamais observés dans la maladie d'Alzheimer.

Derouesné et Lacomblez apportent une précision primordiale sur la genèse des modifications d'activité chez le sujet dépressif et le sujet dément (221). Selon eux, "les affections démentielles provoquent des modifications de l'activité qui sont associées à des troubles cognitifs alors que, dans la dépression, ces modifications sont la conséquence du trouble de l'humeur." Ainsi ils expliquent que la baisse d'activité dans la maladie d'Alzheimer est en lien avec une baisse de la motivation, une perte d'initiative, alors que dans la dépression elle est secondaire à une perte d'énergie et une diminution de la sensation de plaisir. La diminution d'activités est souvent bien vécue dans la maladie d'Alzheimer, le sujet continuant à apprécier les activités auxquelles il participe. Chez le sujet dépressif, elle est source de tourments, de culpabilité, d'anxiété.

Le patient atteint de la maladie d'Alzheimer est sujet à une grande labilité de l'humeur. Il se montrera tantôt émoussé affectivement, réagissant peu aux évènements qu'ils soient positifs ou négatifs, tantôt débordé par ses émotions jusqu'à une forme "d'incontinence" émotionnelle. Le sujet apparaît alors extrêmement anxieux et triste, mais il s'agit là de symptômes transitoires, survenant préférentiellement en fin de journée. Chez le sujet souffrant de dépression, l'humeur est triste et son vécu douloureux, il est indifférent aux évènement positifs mais réagit fortement aux informations négatives. La tristesse est omniprésente au cours de la journée et son intensité plus importante le matin.

Le patient souffrant d'un trouble dépressif apparaît généralement ralenti, tant dans l'expression verbale que dans la capacité à se mouvoir, contrairement au patient atteint de la maladie d'Alzheimer qui, s'il peut apparaître moins vivace sur le plan intellectuel, ne présente pas de ralentissement moteur (sauf lorsque la maladie est très évoluée, mais le diagnostic est alors sans difficulté).

Selon Thorpe, les conduites instinctuelles sont perturbées dans les deux affections ; la différence est essentiellement temporelle (225). Le sommeil s'altère en quelques semaines dans la dépression, tandis que dans la démence il s'agit d'une détérioration graduelle du cycle veille-sommeil sur des mois ou des années avec des éveils nocturnes compensés par un sommeil diurne. Il en est de même pour l'appétit et le poids, avec des changements sur quelques semaines pour la dépression (perte ou gain de poids) et sur plusieurs années dans la démence.

Certains symptômes dépressifs ne sont quasiment jamais observés dans la démence, qu'il s'agisse de la démence d'Alzheimer ou d'un autre type de démence. Leur absence est un bon indicateur que le sujet souffre d'une pathologie démentielle. Il s'agit de la tristesse constamment ressentie, des sentiments de dévalorisation ou de culpabilité, des pensées de mort récurrentes et des idées voire tentatives de suicide (225).

Dans la maladie d'Alzheimer, les symptômes dépressifs s'accompagnent volontiers d'une agitation psychomotrice, majorée en fin de journée et lorsque le sujet est dans un environnement inconnu.

4.1.1.3.2.2 LES SYMPTOMES COGNITIFS

Les fonctions cognitives sont perturbées très différemment dans la dépression et la maladie d'Alzheimer. Ainsi, au début de la maladie d'Alzheimer, les troubles cognitifs touchent en premier lieu la mémoire et leur sémiologie est caractéristique de la pathologie. En revanche, dans la dépression, les troubles cognitifs touchent la mémoire, mais également les capacités attentionnelles, la vitesse de traitement de l'information et les fonctions exécutives. De plus, la plainte cognitive du patient dépressif n'est jamais isolée ; elle s'accompagne toujours de symptômes dépressifs.

L'atteinte mnésique est liée dans la maladie d'Alzheimer à un défaut d'encodage et de stockage des informations, d'où le fait que la mémoire antérograde soit touchée en premier alors que la mémoire rétrograde est longtemps conservée. L'atteinte mnésique du patient dépressif est davantage liée à un défaut de récupération des informations qu'il s'agisse d'informations acquises récemment ou anciennes et, comme nous l'avons vu précédemment, les données à connotation affective positive sont plus touchées que les souvenirs à connotation négative (221).

Le test des cinq mots de Dubois peut-être réalisé rapidement en consultation. Les sujets risquent d'avoir des difficultés à se souvenir des mots qu'ils soient atteints de dépression ou de la maladie d'Alzheimer. Mais, lorsqu'on propose au sujet une aide par le biais d'indices, on facilite la récupération des informations, ce qui est utile pour les sujets dépressifs. En revanche, les sujets souffrant de la maladie d'Alzheimer ne seront pas aidés par le rappel indicé puisque c'est leur capacité d'encodage de l'information qui est altérée. De plus, ils auront tendance à inventer des mots qui n'appartenaient pas à la liste (intrusion).

4.1.1.3.2.3 LES EXAMENS PARACLINIQUES

L'examen neuropsychologique apporte des indications primordiales et permet aisément de différencier la dépression de la maladie d'Alzheimer puisque, comme nous l'avons vu précédemment, les fonctions cognitives ne sont pas altérées de la même façon dans ces deux pathologies.

Si le doute persiste, il est possible de réaliser une imagerie cérébrale, de préférence une IRM centrée sur les régions hippocampiques et notamment les cornes temporales où apparaissent en premier lieu les lésions de la maladie d'Alzheimer.

4.1.1.3.3 Les particularités du diagnostic différentiel entre la dépression et les autres types de démence

Le diagnostic entre la dépression et les démences fronto-temporale, vasculaire et mixte est plus difficile car ce sont les mêmes fonctions cognitives qui sont perturbées (fonctions exécutives, vitesse de traitement de l'information, troubles mnésiques à type de récupération de l'information).

La dépression et la démence fronto-temporale partagent également d'autres caractéristiques cliniques telles que les manifestations comportementales et notamment l'apathie. Il est alors nécessaire de rechercher les symptômes d'une atteinte frontale comme la désinhibition. La présence d'une atrophie des lobes frontaux à l'imagerie cérébrale orientera vers un diagnostic de démence fronto-temporale mais son absence n'exclut pas le diagnostic.

4.1.2 Le lien épidémiologique

4.1.2.1 La dépression chez les patients souffrant d'un trouble neurocognitif