• Aucun résultat trouvé

5.1 Les modalités d'association entre dépression et trouble neurocognitif

5.2.8 L'hypothèse du déficit en folates

Nous avons trouvé dans la littérature plusieurs articles émettant l'hypothèse que le déficit en folates puisse être l'un des dénominateurs communs entre dépression et démence.

5.2.8.1 Rappels généraux

L'acide folique, ou vitamine B9, est une vitamine hydrosoluble ; il est le précurseur métabolique d'une coenzyme, le tétrahydrofolate (THF). Les plantes, les bactéries et certains protozoaires sont capables de synthétiser des folates, contrairement à l'homme qui doit les puiser dans son alimentation (besoins quotidiens d'environ 300µg). Le rôle physiologique général des folates est celui de transporteurs d'unités monocarbonées nécessaires à un grand nombre de réactions métaboliques (315) :

 synthèse des bases nucléiques (purines et pyrimidines) et donc du matériel génétique (ADN et ARN)

 métabolisme de certains acides aminés : conversion de l'homocystéine en méthionine, de la glycine en sérine, etc. (de fait l'homocystéinémie est inversement proportionnelle au taux de vitamine B9)

 synthèse de s-adénosylméthionine (SAM), nécessaire aux réactions de transfert de groupes méthyles

Certaines de ces réactions nécessitent l'action conjointe de la vitamine B12. Au niveau cérébral, ces différentes réactions sont cruciales pour la synthèse de neurotransmetteurs (sérotonine, dopamine, norépinéphrine, acétylcholine), d'hormones (mélatonine), des membranes phospholipidiques, de la myéline, etc.

5.2.8.2 Prévalence du déficit en folates

Si les déficits sévères en folates sont rares, Selhub et al rapportent que des déficits plus modérés, infracliniques, peuvent être relativement communs, qui plus est chez la personne âgée (316). D'après leur étude réalisée à partir de la cohorte FHS (Framingham Heart Study, cohorte de sujets âgés de 67 à 96 ans), jusqu'à 30% des sujets présenteraient un déficit en folates (317). Clarke et al ont

également étudié la prévalence du déficit en folates dans l'étude de trois populations de sujets âgés de 65 ans et plus (soit 3511 individus) aux Royaume-Uni (318). Ils ont observé des taux plus bas que Selhub et al ; selon eux, la prévalence du déficit en folates augmenterait avec l'âge et affecterait de 5 à 20% des sujets âgés.

5.2.8.3 Etiologies du déficit en folates chez les sujets âgés

Dans leur récente revue de la littérature Araujo et al ont relevé les différentes causes de déficit en folates chez les sujets âgés (315) :

 malabsorption intestinale : gastrites atrophiques (20 à 50% des sujets âgés de plus de 60 ans), maladies inflammatoires chroniques intestinales (maladie de Crohn, maladie cœliaque, etc.), résections gastriques ou intestinales

 carence d'apports par diminution des apports alimentaires (diminution de l'appétit, dysphagie, troubles de la mastication, etc)

 iatrogénie : méthotrexate, inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), certains antiépileptiques (phénytoïne, barbituriques), etc.

 consommation chronique d'alcool

 polymorphisme de certains gènes codant pour des enzymes impliquées dans le métabolisme

du carbone (MTHFR = méthylènetétrahydrofolate réductase) 5.2.8.4 Déficit en folates et dépression du sujet âgé

Plusieurs études suggèrent une association entre déficit en folates et survenue d'un épisode dépressif chez le sujet âgé. Bottiglieri et al ont observé une diminution des taux de folates et une augmentation de l'homocystéinémie de 30% chez des sujets dépressifs moyennement âgés et âgés comparativement à des sujets contrôles (319). De plus, chez ces sujets ayant des taux de folates bas et d'homocystéine élevés, on retrouvait des taux de SAM, de sérotonine, de dopamine et de noradrénaline diminués par rapport aux sujets contrôles. Ces résultats suggèrent que les individus atteints de dépression et présentant un déficit en folates et une hyperhomocystéinémie ont des troubles de la méthylation de l'ADN et du métabolisme des neurotransmetteurs monoaminergiques. Tiemeier et al ont observé des résultats similaires dans la Rotterdam Study (320). Par comparaison avec un groupe de référence et après prise en compte de différents facteurs de confusion (pathologies cardiovasculaires et handicap fonctionnel), 17% des sujets âgés de plus de 73 ans et dépressifs présentaient une hyperhomocystéinémie et 19% un déficit en folates. Les auteurs ont également rapporté un déficit en vitamine B12 chez 44% des sujets.

Lors d'un épisode dépressif les sujets ont volontiers tendance à diminuer leurs apports alimentaires en raison d'une perte d'appétit, d'une apathie. L'une des étiologies du déficit en folates étant une

carence d'apport, certains auteurs supposent que le déficit en folates est secondaire à l'épisode dépressif. Cependant, certains auteurs tels que Kim et al, Beydoun et al, Young et al émettent l'hypothèse que le déficit en folates pourrait être impliqué dans l'étiologie de la dépression du sujet âgé (321)(322)(323).

5.2.8.5 Déficit en folates et troubles neurocognitifs 5.2.8.5.1 Déficit en folates et MCI

En 1983, Goodwin et al ont été les premiers à observer une altération des fonctions cognitives chez les sujets âgés de plus de 60 ans présentant un déficit en folates (324). Plusieurs auteurs ont par la suite confirmé leurs résultats (325)(326). Ainsi, dans leur méta-analyse comprenant 13 études européennes et nord-américaines, Michelakos et al ont mis en évidence que, chez des individus âgés de plus de 60 ans, un déficit en folates était associé à un trouble global des fonctions cognitives avec des déficiences plus marquées de certaines fonctions telles que l'attention, la mémoire épisodique et visuo-spatiale et le raisonnement abstrait (OR 1,66 [IC95% 1,40-1,96]) (326). La plupart des études inclues étant des études transversales, les auteurs n'étaient pas en mesure de discuter la relation causale entre le déficit en folates et le trouble cognitif.

5.2.8.5.2 Déficit en folates et démence

Au vu des résultats précédents, plusieurs auteurs se sont interrogés sur l'existence d'une association entre déficit en folates, hyperhomocystéinémie et démence. Ainsi, Ravaglia et al ont suivi une cohorte de 816 sujets âgés non-déments pendant 4 ans. Avoir une hyperhomocystéinémie et un déficit en folates à l'inclusion étaient prédictifs de la survenue ultérieure d'une démence (hyperhomocystéinémie : HR 2,08 [IC95% 1,31-3,30] ; déficit en folates : HR 1,87 [IC95% 1,21-2,89] et de la maladie d'Alzheimer (hyperhomocystéinémie : HR 2,11 [IC95% 1,19-3,76] ; déficit en folates : HR 1,98 [IC95% 1,15-3,40]) (327). Cette étude ne montrait pas d'association entre déficit en vitamine B12 et démence.

Wang et al ont observé des résultats similaires dans leur étude de cohorte de 370 sujets âgés de 75 ans et plus en bonne santé (328). En effet, après 3 ans de suivi, les sujets présentant initialement des taux bas de folates et de vitamine B12 étaient deux fois plus à risque de développer une démence d'Alzheimer (RR 2,1 [IC95% 1,2-3,5]).

D'autres auteurs n'ont pas retrouvé de tels résultats. Ainsi, Haan et al, dans une cohorte de 1779 sujets âgés de 60 à 101 ans suivis pendant 4,5 ans, ont mis en évidence qu'une hyperhomocystéinémie était un facteur de risque de démence (HR 2,39 [IC95% 1,11-5,16]) ; contrairement au déficit en folates (HR 0,85 [IC95% 0,57-1,24]) (329).

Bien qu'on retrouve des résultats contradictoires, l'étude de la littérature apporte tout de même des arguments solides quand à l'association entre déficit en folates, hyperhomocystéinémie et démence. En revanche, le rôle joué par les folates reste incertain : sont-ils un facteur de risque indépendant de démence ou en sont-ils une conséquence ? Les études examinant cette association avaient des suivis d'assez courte durée ne permettant pas d'éliminer un biais de causalité inverse, surtout au vu de la longue phase prodromique de certains types de démence et notamment de la maladie d'Alzheimer. 5.2.8.5.3 Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ?

La revue de la littérature suggère que la dépression du sujet âgé comme la démence semblent être associées à un déficit en folates, s'accompagnant généralement d'un déficit en vitamine B12 et d'une hyperhomocystéinémie. Au vu des études actuelles, il n'est pas possible de se prononcer sur une relation de causalité :

 le déficit en folates est-il un facteur de risque de dépression et de démence ?

 la dépression entraîne-t-elle un déficit en folates lui-même facteur de risque de démence ?

 la démence entraîne-t-elle un déficit en folates lui-même facteur de risque de dépression ?

 dépression et démence sont-elles indépendamment l'une de l'autre des facteurs de risque de déficit en folates ?

Il serait donc souhaitable que les recherches soient poursuivies afin de mieux comprendre les liens qui unissent ces trois entités. Sur le plan théorique, des auteurs ont essayé d'identifier les mécanismes qui pourraient lier déficit en folates, dépression et démence. Plusieurs hypothèses ont été avancées, elles ont été reprises dans la revue de la littérature d'Araujo et al, un déficit en folates occasionnerait (315) :

 une hyperhomocystéinémie à l'origine :

- de lésions cérébrovasculaires entraînant une pathologie démentielle

(l'hyperhomocystéinémie est facteur de risque reconnu de maladie cardio- et cérébro-vasculaire).

- d'une augmentation de la sensibilité des neurones hippocampiques aux effets neurotoxiques et à l'apoptose (par une accumulation de peptides béta-amyloïdes et hyperphosphorylation de la protéine tau).

 une diminution des réactions de méthylation, à l'origine d'une diminution de la synthèse de myéline et des neurotransmetteurs mono-aminergiques et d'une altération de l'expression génique.

 une altération du système de réparation de l'ADN (les folates étant nécessaires à la synthèse des bases nucléiques).