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La théorie de la structuration sociale d’Anthony Giddens : l’importance de la

Chapitre 1. Organisation et changement organisationnel : d’une vision statique à une

2. Apports théoriques pour repenser l’organisation : vers l’organisation « instrument »

2.1.2 La théorie de la structuration sociale d’Anthony Giddens : l’importance de la

La théorie de la structuration de Giddens (1987) propose une représentation des systèmes sociaux – dont les organisations – traitant simultanément des structures sociales et de

l’action des acteurs. Elle propose de dépasser l’opposition traditionnelle entre position

structuraliste/objectiviste et position humaniste/interprétative où la première prône la

domination des structures sociales, et la seconde celle de l’acteur individuel : « ici, aucune ne l’emporte sur l’autre (…) les notions d’action et de structure se supposent l’une l’autre dans

une relation dialectique. Les relations des acteurs (…) et les structures sociales sont indissociables » (Rojot, 2000, p. 47). Les apports de cette théorie sont pris en compte depuis quelques années par les sciences de gestion30 et sont de plus en plus dirigés vers des visées pratiques et opérationnelles (Autissier & Wacheux, 2000). Ce sont précisément les liens avec

l’organisation et les possibles applications de cette théorie dans le champ organisationnel qui

nous intéressent ici.

La « dualité du structurel31» apparaît comme l’une des idées centrales de la théorie de la structuration selon laquelle : « les propriétés structurelles des systèmes sociaux sont à la fois des conditions et des résultats accomplis par les agents qui font partie de ces systèmes » (Giddens, 1987, p. 15). Autrement dit, les propriétés structurelles « sont à la fois le médium et

le résultat des pratiques qu’elles organisent » (Ibid., p. 75). La « structuration » désigne donc,

pour cet auteur, « la production du processus des relations sociales, impliquant le rapport récursif entre la structure et l’action qui la reproduit » (Maggi, 2011, p. 11). Appliquée à

l’organisation, cette idée signifie que les propriétés structurelles des organisations sont à la fois les conditions de l’action et les produits de l’action, le cadre des interactions et le résultat

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On peut toutefois questionner la centralité de la « règle » dans l’activité de régulation ici décrite (Leplat, 2006).

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Cette prise en compte est plus ancienne dans les pays anglo-saxons où la théorie est utilisée en gestion depuis

le début des années 1990 (Autissier & Wacheux, 2000). L’importance de l’emprunt à cette théorie est telle que certains parlent d’un « courant giddesien » des études sur l’organisation (Maggi, 2003).

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Le « structurel » est un concept générique, alors que les « structures » désignent des ensembles structurels propres à des systèmes sociaux (Giddens, 1987). On parlera ainsi de « structure » lorsqu’on désignera plus

65 de celles-ci. L’organisation peut alors être définie comme « un ensemble de ressources situées dans des structures que les acteurs mobilisent pour la réalisation de leurs actions et dont les

résultats participent à l’actualisation de ces mêmes structures » (Autissier & Wacheux, 2000,

p. 20). « Structure » et « action » se définissent mutuellement. « La « structure » est envisagée

comme l’ensemble des ressources mobilisables et l’ « action » comme un mouvement de

consommation et de réactualisation de ces mêmes ressources » (Autissier, 2000, p. 208).

Ainsi, le structurel n’apparaît pas uniquement comme contrainte mais « à la fois contraignant

et habilitant » (Giddens, 1987, p. 75). « Contraignant » puisqu’il limite l’éventail des options disponibles, restreint ou empêche certaines actions ; « habilitant » car il rend possible d’autres

actions. Le caractère habilitant des structures s’oppose à une vision où des « forces externes » restreindraient la liberté d’action des agents en fixant des limites strictes ; bien au contraire, le

structurel apparaît engagé dans la « liberté d’action » elle-même (Ibid.).

Au sein des organisations, le travail se déroule dans un contexte structuré par des dispositifs, des règles, des normes, un univers de contraintes. Mais cet univers de contraintes définit

également un espace d’actions : « celui-ci peut être pertinent et amener les individus à développer leurs actions sans remettre en cause le cadre de l’action prédéfini ou bien le cadre de l’action peut être remis en cause s’il est estimé trop contraignant » (de Terssac & Maggi, 1996, p. 83). L’action de travail se réalise dans des contextes structurés mais structure à son

tour le contexte : « il y a bien une dualité de l’ordre de toute action sociale et collective qui est structurante et structurée » (Ibid., p. 83). La distinction entre « tâche et activité » ne révèle-t- elle pas tout à la fois les limites du caractère structuré du contexte et les limites de son caractère structurant (Ibid.) ? Ne témoigne-t-elle pas de l’impossible adéquation parfaite entre

les niveaux 1 et 3 de l’organisation (Trépo & de Geuser, 2005) ? Si l’on complète le schéma des trois niveaux de l’organisation avec le processus de structuration, la représentation

suivante (cf. Figure 4) peut être utile pour penser la dualité entre l’action et la structure et poser le processus de structuration au centre de la vie des organisations :

Figure 4 – Les trois niveaux de l’organisation en sciences de gestion complétés par le processus de structuration

66 Toutefois « adhérer à ce postulat [du mouvement dialectique entre la structure et l’action] ne signifie pas le comprendre, c'est-à-dire l’adosser à une théorie » (Trépo & de Geuser, 2005, p.

112). Ces mêmes auteurs vont alors tenter d’esquisser les fondements d’une « théorie contradictorielle de l’activité » - théorie qui souligne la nécessité de (Trépo & de Geuser,

2005) :

- relier le travail réel avec la valeur stratégique ;

- relier le travail réel avec les ressources qu’il nécessite ;

- décomposer l’intention stratégique avec les conditions locales du travail.

Autrement dit, il convient de « réarticuler le travail, sa valeur pour l’entreprise et pour les personnes, les conditions de ce travail et son coût » (Ibid., p. 112).

Le caractère habilitant du structurel renvoie également à l’importance fondamentale de la

compétence des acteurs – compétence liée à la connaissance remarquable que ces derniers ont des conditions et conséquences de leurs actions (Giddens, 1987). Les acteurs sont « en état de rendre compte de leurs actions à la fois en ce qui concerne leurs motifs et, de manière limitée, en ce qui concerne leur rationalité (…) – rationalité qui caractérise les choix d’action individuels et collectifs » (Maggi, 2003, p. 85). Au sein de la théorie de la structuration, le concept de compétence « est toujours associé à l’acteur sous la formule de « l’acteur compétent ». L’acteur compétent est un individu qui a conscience que ce qu’il fait est

conditionné par la perception qu’il a de la situation et que cette même perception dépend de ses motivations d’action » (Autissier, 2000, p. 207). Il s’agit donc pour l’acteur compétent de

comprendre le monde « dans et pour l’action » (Ibid.). La compétence des acteurs est limitée

d’un côté par l’inconscient et, de l’autre, par les conditions non reconnues et les conséquences non intentionnelles de l’action (Giddens, 1987). Elle est dépendante de la représentation que les acteurs se font de leur environnement d’action, du contexte : être compétent relève alors

davantage « d’une forme d’agir réflexif que d’agir » (Autissier, 2000, p. 209). Cette compétence découle du structurel (des ressources fournies par la structure) et est susceptible de le transformer en retour (mise à jour des ressources).