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Apports des théories de la régulation et de la structuration : l’organisation

Chapitre 1. Organisation et changement organisationnel : d’une vision statique à une

2. Apports théoriques pour repenser l’organisation : vers l’organisation « instrument »

2.1.3 Apports des théories de la régulation et de la structuration : l’organisation

articulation entre l’organisé (organized) et l’organisant (organizing)

a) Une alternative aux interprétations objectivistes…

Les théories de la régulation et de la structuration permettent toutes deux de quitter une

appréhension de l’organisation par la seule structure, autrement dit de quitter une

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structure prédéterminés par rapport à l’individu et à l’action (Maggi, 2011). Dans le champ organisationnel, le modèle classique relève typiquement de cette approche où l’on est « en présence d’une vision de la situation de travail comme un système social complètement

prédéterminé et sur-déterminé par rapport aux sujets concernés » (de Terssac & Maggi, 1996, p. 92).

La vision fonctionnaliste de l’organisation, pourtant présentée en rupture avec le modèle classique et l’organisation scientifique du travail, n’échappe pas à cette pré-détermination du

système (Ibid.). Les auteurs de cette vision, une vision qui prend sa source dans le célèbre courant des relations humaines, ont également fini par raisonner dans un cadre prédéterminé « comme s’il y avait chez les individus des besoins psychologiques relativement stables et

universels (…) qui – une fois connus – permettraient de prévoir leurs comportements et,

éventuellement, de les orienter par des changements structurels appropriés » (Crozier &

Friedberg, 1977, p. 427). Dans les situations concrètes de travail, l’élargissement et l’enrichissement des tâches, les espaces de discrétion et de responsabilité et autres démarches

proposées par ce courant se sont rapidement révélées être des « solutions de régulation imposées, en pleine cohérence avec une logique de système surdéterminé » (de Terssac &

Maggi, 1996, p. 93). Cette vision fonctionnaliste de l’organisation est encore aujourd’hui

largement répandue à travers notamment les courants du job redesign, organizational

development, etc. et « reste la plus suivie dans les études sur l’organisation » (Maggi, 2003, p.

78).

L’intérêt des théories de la régulation et de la structuration est précisément de rompre avec un

paradigme fonctionnaliste où le système détermine les acteurs – paradigme dont nous avons pu voir les limites32(et la prégnance également). A l’inverse du paradigme fonctionnaliste :

- les théories de la régulation et de la structuration n’accordent pas une suprématie à

l’organisation « officielle », « formelle » ; au contraire, elles reconnaissent une rationalité et une légitimité à tous les acteurs, légitimité inséparable de la notion d’efficacité (Reynaud,

1995) ;

- ces théories ne sont pas à la recherche d’une organisation idéale mais plutôt à la

recherche permanente d’une solution mieux adaptée et sans cesse renégociable, que ce soit à travers l’activité de régulation ou de production de règles ou à travers le processus de

structuration.

b) … et subjectivistes

Les théories de la régulation et de la structuration ne s’inscrivent pas non plus au sein d’approches subjectivistes qui appréhendent l’organisation comme le produit des seules

32Limites liées aux enjeux des nouvelles formes d’organisation qui rendent caduc la recherche d’un « one best

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actions. Au sein de ces approches, l’organisation est alors vue comme une réalité socialement

construite par les acteurs (Maggi, 2003), les « structures et le système étant le produit d’une construction sociale opérée par la rencontre des actions individuelles » (Maggi, 2011, p. 4). Cette approche a guidé les courants d’étude anti-positivistes qui, à la fin des années 1970, ont considéré le système comme création du sujet (de Terssac & Maggi, 1996). Karl E. Weick

occupe une place importante dans ces courants d’étude en défendant une approche de l’organisation comme le produit de l’interaction de ses membres. Ses travaux marquent « le coup d’envoi d’une vaste entreprise de subversion du paradigme dominant » (Koenig, 2009,

p. 525), à savoir le paradigme structuro-fonctionnaliste (ou objectiviste). Cet auteur propose notamment une appréhension des organisations comme « self-designing systems » ; le qualitatif « self » suggérant que « you integrate yourself into the design » (Weick, 1977, p. 33), autrement dit « the qualifier self identifies the location of these processes; they are in the hands of insiders (the people who will do the work)33 » (Ibid., p. 38). Dans cette approche,

qualifiée d’interactionniste, les organisations existent par elles-mêmes comme lieux de

construction de la vie sociale (Autissier et al., 2010). Elles sont perçues comme le produit

totalement imprévisible d’acteurs en interaction et relèvent d’un certain idéalisme. A l’inverse

de ce courant :

- les théories de la régulation et de la structuration reconnaissent un rôle au cadre structuré pour les actions : selon elles, les activités finalisées ne peuvent se déduire des exigences (et des conditions de possibilité) du système (Reynaud, 1995) – système qui est, par ailleurs, susceptible de fournir des ressources (Autissier, 2000) ;

- selon ces théories, la structure et les régulations de contrôle sont présents mais il

convient d’admettre que leurs modes d’exercice et leurs effets ne sont pas nécessairement

adaptés (Ibid.). Dans ce cas, les activités de régulation et de structuration peuvent modifier,

retravailler le cadre dans lequel elles s’insèrent.

Les théories de la régulation et de la structuration dépassent les deux interprétations « objectiviste » et « subjectiviste » et proposent une « alternative » en intégrant la structure et

l’action dans le même cadre théorique, excluant ainsi toute réification entre ces deux notions (Maggi, 2003). L’objectif n’est ni de chercher à déterminer a priori les conditions du « bon » fonctionnement d’un système, ni même d’inverser cette problématique en partant des acteurs (Reynaud, 1995). L’alternative proposée n’est donc pas une synthèse des deux interprétations traditionnelles, comme certaines applications l’énoncent pourtant, mais un dépassement, la recherche d’une « troisième voie » 34

dont les principaux traits seraient : « (a) une conception

33

« l’on s’intègre soi-même dans la conception » (Weick, 1977, p. 33, notre traduction). Autrement dit, « le qualificatif « soi » identifie l’emplacement de ces processus; ces derniers sont dans les mains d’Hommes à

l’intérieur de l’organisation (les personnes qui seront amenées à faire le travail) » (Ibid., p. 38, notre traduction).

34 Notons que la recherche d’une troisième voie implique de se centrer sur l’étude du processus dual de

structuration ce qui n’est pas toujours aisé d’un point de vue empirique. Notre étude sur le terrain (cf. Partie 3) se place davantage dans la première acception par l’appréhension d’une part, de l’aspect formel de la structure, et, d’autre part, des interactions susceptibles de redéfinir le cadre formel. Cette position se justifie en grande partie

par la conception même du changement où la structure a été pensée a priori et imposée aux acteurs. Dans ce

cadre, la structure ne fournit pas (ou peu) de ressources pour l’action et les actions des acteurs « pour

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du sujet humain comme sujet agissant autonome (…) (b) une conception de l’organisation en termes de processus [d’actions et de décisions] (…) (c) un concept de structures comme produits d’actions intentionnelles » (Maggi, 2003, p. 89-90). Ces traits, qui caractérisent selon l’auteur une « théorie de l’agir organisationnel », sont détaillées ci-dessous35

:

- une conception du sujet humain comme sujet agissant autonome « qui est compétent dans son action sociale et, du moins en partie, dans les effets de son action » (Ibid., p. 89). Cela implique une rationalité intentionnelle et limitée dont parlait Giddens en évoquant

l’« acteur compétent ». Cette approche du sujet peut être complétée par les caractéristiques de l’acteur social au sein de la théorie de la régulation, à savoir un acteur autonome, capable de construire des règles sociales et d’y consentir (Petit, 2005) ;

- une conception de l’organisation en termes de processus d’actions et de décisions ; ce processus est « continuellement sujet à des corrections et modifications » (de Terssac &

Maggi, 1996, p. 94). Le processus n’est ni donné, ni prédéterminé, ni indéterminé. En ce sens,

il rejoint la notion de « processus » précédemment définie qui comporte un aspect « organisant » (Lorino, 2013), « bien loin de la vision de l’organisation comme partie réifiée

d’un système prédéterminé » (de Terssac & Maggi, 1996, p. 95) ;

- un concept de structure comme produit d’actions intentionnelles qui « implique une attention particulière aux notions de règles et de régulation du processus. En particulier

l’attention doit être portée (…) à la gamme complète des règles impliquées dans l’action » (Maggi, 2003, p. 90). Il convient donc d’analyser les régulations de contrôle et autonome et

plus encore la régulation conjointe, fruit de négociations et de compromis. La régulation

conjointe apparaît au cœur de l’articulation entre le côté « organisé » (la structure et ses règles

formelles) et le côté « organisant » (les activités courantes).

A travers la théorie de l’agir organisationnel, l’organisation devient « la régulation, elle-même

un agir » (de Terssac & Maggi, 1996, p. 95).

c) Penser l’articulation entre les « deux visages » de l’organisation

Afin de résumer les considérations précédentes, l’organisation peut être appréhendée comme « un processus d’interactions sociales incluant l’ensemble des personnes d’une entreprise, se traduisant par : la construction de règles d’interactions, et une structure fonctionnelle, qui détermine à son tour, partiellement, les interactions » (Carballeda, 1997, p. 38). Cela revient à

considérer l’organisation comme ayant « deux visages » (cf. Figure 5) : une « organisation

formelle » constituée de ce que l’on peut concevoir et mettre en place et une « organisation l’intervention, nous le verrons, peut, sous certaines conditions, permettre de penser ensemble la structure et les

70 vivante » constituée par l’activité sociale de tous les acteurs qui construisent des interactions (Caroly, 2010 ; Petit et al., 2011) :

Figure 5 – L’organisation réelle entre organisation formelle et organisation vivante D’après Daniellou (1999, p. 532)

Il convient aussi et avant tout de penser l’articulation entre ces « deux visages » : structure et

activité sociale doivent entretenir des échanges permanents (matérialisés par les flèches dans le schéma) afin de conserver un équilibre organisationnel (Petit et al., 2011), une « santé (ou bien-être) organisationnelle » (de Terssac, 2009). Cette dernière notion a été récemment

définie comme la construction d’un « compromis favorable » et d’un « rapport équitable » entre les individus et l’organisation (Ibid.). Elle pourrait ici s’élargir : la santé organisationnelle serait alors liée aux nécessaires échanges entre l’organisation formelle et

vivante à travers notamment les processus de régulation et de structuration. Au sein de ces processus, la structure organisationnelle ne représente que « la cristallisation passagère de [l’]

activité sociale, tout autant que la structure d’un moment détermine partiellement cette

activité sociale » (Daniellou, 1999, p. 530). Pour « garantir » ou « développer » une santé organisationnelle, diverses conditions doivent être remplies :

- les acteurs doivent pouvoir agir ;

- des lieux d’échanges, de confrontations, de débats doivent exister ; il ne s’agit pas, en

effet, d’affirmer que toutes les pratiques informelles (issues de l’organisation vivante) doivent

systématiquement être intégrées dans la structure mais de les rendre visibles et de les discuter pour, par exemple, juger de leur acceptabilité (Nascimento, 2009) ;

- la manière dont la structure se construit doit être repensée. Concernant ce dernier point, des travaux récents avancent le concept de « subsidiarité » comme piste à explorer (Petit et al., 2011). Ce concept, appliqué au sein des organisations, permettrait de repenser la

distribution du pouvoir à chacun des trois niveaux de l’organisation avec comme principe « de ne pas faire à un niveau hiérarchique donné ce qui peut l’être à un niveau inférieur » (Ibid., p.

404). Ce principe ne doit pas être appliqué comme une « recette » puisqu’ « aucun problème

d’organisation n’est conduit à une solution par l’application de recettes » (Reynaud, 1995, p.

240). Il doit être pensé comme une aide à la réflexion (Petit et al., 2011), notamment pour

35 La théorie de l’agir organisationnel a été proposée en suivant « la théorisation originaire » de Giddens

concernant la dualité de la structure (Maggi, 2003). Nous proposons ici de compléter les caractéristiques énoncées avec des conclusions formulées par Reynaud (1995) à propos de l’activité de régulation.

71 faciliter les processus de régulation et le travail d’organisation. Il permettrait également de redonner une autonomie effective aux acteurs, de concevoir ainsi le sujet comme agissant et

autonome, si l’on reprend les termes de la théorie de l’agir organisationnel.

Nous proposons dans le paragraphe suivant une définition de l’organisation regroupant les implications et les apports des théories ici énoncées. Dans le prolongement des travaux de

Petit (2005), l’organisation est définie comme un « instrument ». Cette définition sera retenue

tout au long du manuscrit. Elle permet de fonder théoriquement l’articulation et la continuité entre la conception de la structure et la conception des activités.