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L’intervention : une ressource au service du pouvoir d’agir

Chapitre 4. Intervenir sous le prisme de l’approche par les « capabilités » :

2. L’intervention : une ressource au service du pouvoir d’agir

La question ici posée est de savoir comment la mise en place d’une nouvelle organisation peut

être convertie en libertés plus grandes ? Et quel rôle l’intervention ergonomique peut jouer pour accroître les ressources et leur conversion en capabilités ?

Toute intervention ergonomique centrée sur les capabilités doit agir conjointement sur les ressources et les facteurs de conversion qui « facilitent (ou entravent) la capacité d’un individu à faire usage des ressources à sa disposition pour les convertir en réalisations concrètes » (Fernagu-Oudet, 2012a, p. 10). La seule mise à disposition de ressources ne suffira pas, encore faut-il que les opérateurs puissent réellement les utiliser et en avoir besoin.

De la même manière, la seule sollicitation d’autonomie ou de prise d’initiative restera

formelle et sans effet sur les réalités concrètes.

Plus largement, « l’intervention n’a d’impact, et surtout, de sens que si elle s’appuie sur les

capacités des acteurs à se saisir des opportunités qu’elle crée et à élargir ainsi la liberté

toujours limitée et contingente qui est la leur dans les systèmes dans lesquels ils sont engagés » (Crozier & Friedberg, 1977, p. 423). L’appui sur un diagnostic préalable apparaît

donc indispensable pour intervenir et accroître les capabilités. Cependant, l’intervention (au sens action) de l’ergonome peut être entreprise en parallèle du diagnostic mené, le caractère séquentiel des deux n’étant pas systématique (Falzon, 1993).

L’intervention apparaît comme un moyen de garantir la conversion des ressources en

capabilités, c'est-à-dire en droits et libertés réelles de sorte que chacun ait accès à des fonctionnements ou des réalisations de valeur. L’accent peut lors être mis sur (Falzon, 2005b) :

- l’accroissement du nombre d’options et de procédures opératoires dont chacun dispose ;

- la liberté réelle de chacun de choisir le mode opératoire qui lui convient le mieux ;

- la possibilité donnée aux équipes de définir leur propre activité collective.

L’intervention devient alors une ressource au service du pouvoir d’agir : il convient de penser

les interventions « comme des façons de donner du pouvoir aux organisations et aux personnes, de leur donner des outils additionnels leur permettant de progresser » (Falzon, 2005b). Afin de remplir cet objectif, différentes méthodes peuvent être déployées ; elles sont présentées ci-dessous.

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2.1 Les méthodes de confrontation qui soutiennent les pratiques réflexives

A travers ces méthodes, il s’agit de donner accès à ce ressort fondamental du développement,

ce fameux retour réflexif (Davezies, 2012). La caractéristique de ces méthodes est de

confronter le sujet à des traces de son activité de façon à ce qu’il puisse la commenter ; le sujet est à la fois considéré comme l’opérateur et l’analyste (Mollo & Falzon, 2004). Ces méthodes permettent d’assister la pratique réflexive (Falzon, 2006 ; Mollo & Falzon, 2004). Certaines d’entre elles trouvent leur origine au sein de la clinique de l’activité (Clot et al.,

2000). Parmi ces méthodes, on distingue (Mollo & Nascimento, 2013) :

- l’auto-confrontation simple où un sujet, confronté à sa propre activité, explicite ses façons de faire,

- l’allo-confrontation où un opérateur est confronté à l’activité qu’il pratique quotidiennement mais qui est exercée par un collègue. Si le collègue est absent, on parle

d’allo-confrontation individuelle ; s’il est présent, on parle d’allo- ou d’auto-confrontation

croisée ;

- la confrontation collective qui consiste à regrouper un ensemble d’opérateurs qui

commente l’activité d’un ou plusieurs d’entre eux.

Ces méthodes, nous le verrons, peuvent s’avérer propices à l’accroissement des capabilités en

autorisant une pratique réflexive et en élargissant le champ des possibles.

2.2 La participation effective des opérateurs à la (re) conception

organisationnelle

L’ergonomie a, depuis longtemps, montré l’intérêt de la participation des opérateurs à la

conception des systèmes et dispositifs de travail (Darses & Reuzeau, 2004). Cette participation apparaît comme une condition du développement individuel et collectif : « être pour quelque chose dans ce qui nous arrive au travail, contribuer aux évolutions concernant son activité professionnelle, à la gestion quotidienne de cette dernière, relève d’une dynamique de construction de la santé et donc de son développement par le travail » (Coutarel, 2011, p. 111). Avoir une action sur sa propre situation de travail, être écouté et

entendu, permet d’accroître le pouvoir d’agir (Clot, 1997 in Coutarel et al., 2003). Par ailleurs, les approches participatives favorisent l’implantation des changements

organisationnels (Guibert, 2009). Cette participation relève de la liberté processuelle énoncée par Sen et doit être couplée avec l’objectif des concepteurs-décideurs d’augmenter les opportunités disponibles (Bonvin & Farvaque, 2007).

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La mise en place de méthodologies participatives, où l’opérateur devient acteur de l’accroissement de capabilités individuelles et collectives, encourage, nous le verrons, le

développement conjoint des individus et des organisations.

2.3 La mise en discussion des diversités de points de vue sur le travail

Cette mise en discussion peut être facilitée par l’intervention et la présence de l’ergonome. En effet, la restitution des résultats intermédiaires de l’analyse de l’activité est un moyen de renvoyer aux différents agents sociaux une nouvelle interprétation de l’activité et de ses

déterminants ; la restitution apparaît alors comme le « passage de l’analyse de l’activité

comme outil de connaissance de l’homme à l’analyse de l’activité comme outil d’action de l’ergonome » (Daniellou, 1992, p. 71).

L’intervention peut ainsi permettre une mise en discussion autour de la question du travail et,

idéalement, s’accompagner de la mise en place de lieux dédiés où « il sera possible de

délibérer sur les critères du travail bien fait, de négocier des changements dans l’organisation du travail, de discuter à nouveau des résultats de ces changements, d’opérer de nouvelles

modifications » (Clot, 2013, p. 26). Ces lieux peuvent prendre la forme d’espaces de discussion et être animés par le management intermédiaire, acteur-relais entre les concepteurs-décideurs et les opérateurs (Detchessahar, 2011 ; Clergeau et al., 2006). Le

problème, nous l’avons vu, n’est pas l’existence de conflits mais l’absence de débats sur le

travail. En effet, les conflits constituent des « ressorts vitaux du développement » (Clot, 1999, p. 4) et sont une composante normale du fonctionnement de l’entreprise (Petit et al., 2011). Ils doivent être identifiés, reconnus et débattus afin de rechercher des compromis, des buts

communs entre les opérateurs et l’organisation.

La participation des opérateurs et la présence d’espaces de discussion permettent d’éviter l’écueil des préférences dites adaptatives où « les individus ne choisissent pas librement mais

adaptent leurs préférences et leurs décisions aux normes et possibilités » (Bonvin & Farvaque,

2007, p. 13). Cet écueil sera d’autant plus présent que les usages ne seront pas considérés

dans la conception et que la participation et la parole des opérateurs seront faiblement convoquées.

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