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L’approche développementale ou constructiviste

Chapitre 2. (Re)conception organisationnelle et environnements capacitants

1. Concevoir des organisations qui tiennent compte de l ’activité individuelle et collective

1.3 L’approche développementale ou constructiviste

Cette approche repose sur le postulat suivant : l’activité se développe au cours même de la conception (Béguin, 2008). Pour cela, il apparaît nécessaire de ramener le développement des usages en conception (Falzon, 2005b).

Une issue est de favoriser les processus de développement d’usage au cours de la conception à travers le dialogue et la confrontation d’acteurs multiples. Cela implique en particulier la

participation des utilisateurs au processus de conception (Falzon, 2008). Les « utilisateurs- pionniers » vont développer de nouvelles formes d’usage qui seront intégrées directement

dans la conception (Falzon, 2005b). La conception devient un processus d’ « apprentissage

mutuel » des concepteurs et des utilisateurs, où les premiers apprennent à partir des « positions » ou « réponses » des utilisateurs et peuvent être amenés à remettre en question leurs hypothèses initiales, et les seconds apprennent des nouveautés construites par les concepteurs (Béguin, 2013).

La démarche actualisée de conduite de projet (Barcellini et al., 2013) précédemment décrite

s’insère parfaitement dans cette approche. Elle illustre la manière dont les usages sont

progressivement interrogés à travers les simulations et réintégrés dans la conception.

L’objectif de la simulation n’est plus de figurer une réalité mais d’outiller les échanges entre acteurs qui s’influencent les uns les autres (Béguin, 2008). Selon cette démarche, les processus de développement et d’apprentissage ne concernent pas uniquement les concepteurs et opérateurs mais une pluralité d’acteurs : les opérateurs développent leurs activités en amont de la mise en œuvre du système tout en contribuant à sa conception ; le développement

des activités des opérateurs devient une ressource pour l’activité des concepteurs ; les

décideurs prennent conscience de la diversité des logiques à prendre en compte et de l’intérêt d’une construction collective de compromis ; les instances représentatives du personnel

développent par ailleurs leur activité par la réflexion qui s’opère sur le travail au cours du projet (Ibid.).

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Au niveau des méthodes, des changements ont lieu. Comme nous l’avons vu précédemment, les objectifs de la simulation évoluent. Par ailleurs, l’ « expérimentation » occupe une place

centrale où le développement de l’organisation s’appuie sur celui des acteurs (Petit, 2005).

L’intérêt de cette approche est qu’elle permet de penser ensemble, de définir conjointement la

structure et les actions ou, plus précisément, d’« articuler dans un même mouvement, le développement des situations (artefact et/ou organisation) par les concepteurs et le développement des ressources de leur action par les opérateurs » (Béguin & Cerf, 2004, p.

61). L’organisation-instrument se développe à la mesure des dialogues entre les acteurs. Le

schéma suivant (cf. Figure 9) illustre le processus itératif entre la structure et les actions, qui permet de concilier progressivement la recherche de souplesse (adaptabilité) organisationnelle et celle de précision d’attributions de chacun (Sardas & Lefebvre, 2005).

Figure 9 – De la structure à l’activité : un processus itératif

D’après Petit (2005, p. 259)

Ce schéma reflète par ailleurs l’« expérimentation » qui « permet aux opérateurs d’abord de participer à l’élaboration de règles d’action mieux adaptées puis de juger de la validité de ces

règles par une mise en application » (Petit, 2005, p. 259). L’expérimentation engage les acteurs dans le processus de changement, permet l’élaboration de règles nouvelles et notamment de règles de coopération – coopération dont nous avons souligné l’importance et

la complexité dans les nouvelles formes d’organisation.

La durée de l’expérimentation peut être longue et cette durée peut constituer une limite à l’adoption de cette approche. De plus, cette dernière nécessite des conditions sociales

importantes et notamment la participation de tous les acteurs selon des modalités spécifiques. La place de chacun dans les interactions sociales doit être définie.

La conception de systèmes adaptables et l’approche développementale favorisent l’adaptation

conjointe de la structure et des activités et facilitent les processus de changement par la prise

102 Nous pensons utile de compléter ces approches par celle des « capabilités » qui complète à la

fois l’approche par systèmes adaptables et poursuit l’objectif de développement au cœur de l’approche développementale. La conception organisationnelle revêt alors un double objectif :

- le premier objectif est de concevoir un environnement de travail futur qui

permet une adaptation de la structure et des actions, la réélaboration de règles, en

d’autres termes, un environnement « capacitant » (§3.). Pour cela, nous compléterons l’approche par système adaptable : concevoir « un espace au sein duquel l’activité pourra se

déployer » (Daniellou, 1992) revient à laisser des marges de manœuvre en termes de ressources mais également en termes de « facteurs de conversion » de ces ressources en « capabilités » (Fernagu-Oudet, 2012a). Pour reprendre l’exemple précédent, certes, fournir

une imprimante donne l’opportunité de recourir à une impression, mais la seule mise à disposition d’une imprimante ne suffit pas. Encore faut-il que chacun sache l’utiliser et que

les fonctionnalités de la machine correspondent aux besoins des utilisateurs. Les facteurs de conversion renvoient à « l’ensemble des facteurs qui facilitent ou entravent la capacité d’un individu à faire usage des ressources à sa disposition pour les convertir en réalisations concrètes » (Fernagu-Oudet, 2012a, p. 10) ;

- le second objectif vise à modifier plus durablement le fonctionnement de

l’organisation dans son ensemble : si l’on reprend la démarche actualisée de conduite de

projet présentée plus haut, la manière dont les opérateurs prennent part au projet peut renforcer « le droit au jeu » des acteurs (Barcellini et al., 2013) dans le fonctionnement quotidien de la nouvelle organisation. On parlera alors d’« organisation capacitante » (§4.). Nous proposerons une définition.

Au sein de la partie 3, nous analyserons les implications de l’approche par les capabilités en termes d’intervention, et notamment dans le cas où les ergonomes sont appelés après un

changement mené dans des conditions éloignées des approches présentées ci-dessus (atteinte

rapide d’une cible B prédéfinie, modèle de prise de décision managérial, absence de participation des opérateurs, etc.). L’approche par les « capabilités » permettra, sous certaines

conditions, la réadaptation progressive de la structure et des actions individuelles et/ou collectives. Pour cela, deux visées seront simultanément poursuivies : la création

d’environnements capacitants et la mise en place des conditions d’émergence d’une

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2. Concevoir pour le développement : l’approche par les