• Aucun résultat trouvé

Des marges de manœuvre à l’autonomie

Chapitre 2. (Re)conception organisationnelle et environnements capacitants

3. Capabilités et environnement capacitant

3.3 Concepts mobilisés et parenté de ces concepts avec celui des « capabilités »

3.3.1 Des marges de manœuvre à l’autonomie

a) Les marges de manœuvre

D’après trois études précédemment citées (Bénion, 2010 ; Nascimento, 2006 ; Falzon & Mollo, 2009b), le fait de permettre aux opérateurs des marges de manœuvre sur les objectifs

de la tâche, ou les critères à satisfaire, accroît les options disponibles et les possibilités de faire du « bon travail ». Les « marges de manœuvre » occuperaient donc une place particulière

dans l’approche par les capabilités et nous allons clarifier ici ce concept et proposer une

définition.

- Le concept de « marges de manœuvre » en ergonomie

La notion de « marge de manœuvre » est issue de l’ergonomie de l’activité. Elle est largement utilisée dans les travaux relevant de ce champ et il est parfois malaisé de la distinguer d’autres

concepts comme l’autonomie ou le pouvoir d’agir tant son acception a tendance à s’élargir89

. Par ailleurs, il ne semble pas exister de définition établie de cette notion (Coutarel, 2004). Cette dernière se révèle polysémique et engage tantôt la création par l’opérateur, tantôt le

donné par les concepteurs (Quillerou-Grivot, 2011). Aussi pouvons-nous trouver des

définitions variées qui relèvent plus spécifiquement du « donné » ou du « créé » ou de

l’entrecroisement des deux. Les marges de manœuvre se définissent alors tantôt comme

(Flageul-Caroly, 2001) :

- un degré de liberté investi ou non par l’opérateur : la marge de manœuvre est alors définie « comme la possibilité ou liberté dont dispose un travailleur pour élaborer différentes

88 D’une manière générale, on pourrait dire que la marge de manœuvre, l’autonomie et le pouvoir d’agir

constituent des « espaces de liberté ». Nous analysons ici les subtilités de ces notions et le passage de l’une à

l’autre qui est souvent réalisé sans réelle précaution dans la littérature.

89 Pour certains auteurs, les marges de manœuvre relèvent de l’ergonomie, l’autonomie de la sociologie et le

pouvoir d’agir de la pyschodynamique du travail et ces trois notions permettent de formaliser l’initiative des

travailleurs sur leur propre travail (Quillerou-Grivot, 2011). Or nous relèverons les disparités et complémentarités de chacune de ces notions qui, selon nous, peuvent se révéler utiles pour les trois disciplines.

126 façons de travailler afin de rencontrer les objectifs de production, et ce, sans effet défavorable sur la santé » (Durand et al., 2008, p. 2) ;

- des zones d’initiative des opérateurs, reconnues : la marge de manœuvre désigne alors « la zone d’initiative et la zone de tolérance dont dispose l’opérateur pour assurer la

régulation du fonctionnement d’un système » (Weill-Fassina & Valot, 1997 in De La Garza,

Maggi, & Weill-Fassina, 1998, p. 2) ;

- une latitude ; dans ce cas, la marge de manœuvre est « la latitude dont on dispose

entre certaines limites, les possibilités d’action laissées par certaines contraintes, internes et externes. Ces possibilités peuvent découler d’une atténuation des contraintes elles-mêmes et d’une meilleure utilisation des marges de liberté qu’elles laissent » (Marquié, 1995, in

Flageul-Caroly, 2001, p. 87)

Par ailleurs, des distinctions sont introduites. Certains auteurs distinguent les marges de

manœuvre « potentielles », liées à l’encadrement et au collectif et « innovantes », créées avec l’expérience (Ibid.). D’autres distinguent les marges de manœuvre « individuelles », les possibilités d’adapter son travail à soi-même (choix des gestes, du rythme de travail, etc.) et

« collectives », les possibilités de coopération et de mobilité (rotations, changements de poste, etc.) (Volkoff, 1995 in Coutarel, 2004, p. 154). Enfin, une distinction est apparue récemment

entre les marges de manœuvre « internes », perçues et construites par l’individu au regard de

ses caractéristiques du moment, et « externes », construites par le milieu sociotechnique et organisationnel (Coutarel & Petit, 2013).

Si les acceptions de cette notion sont multiples, un compromis est davantage trouvé autour

des effets liés à l’existence ou non de marges de manœuvre :

- la possibilité d’avoir des marges de manœuvre apparaît essentielle pour mettre en

place un processus de régulation qui vise la recherche d’un équilibre entre exigences du

travail et santé par le travailleur (Coutarel, 2004 ; Rocha et al., 2012). L’augmentation des

marges de manœuvre favorise les possibilités de régulation. Dans son étude menée auprès des

guichetiers de la Poste, Flageul-Caroly (2001) montre qu’un compromis entre les quatre pôles

de l’activité90

(soi, client, autrui, système) n’est possible qu’à condition que des marges de

manœuvre soient laissées par l’organisation du travail. De la même manière, David et Huguet

(1998) présentent les compromis entre logiques et contraintes diverses dans les activités de service comme sources de fortes charges psychiques et mentales, lorsque les salariés sont

confrontés à l’absence de marges de manœuvre ;

- le concept de marge de manœuvre établit donc un lien entre la santé et le contrôle de chacun sur sa situation de travail (Coutarel, 2004). La présence de marges de manœuvre

suffisantes apparaît nécessaire pour le maintien d’un équilibre entre production et santé et, plus largement, pour l’activité de travail (Durand et al., 2008).

L’organisation du travail et le collectif jouent un rôle important dans l’augmentation possible des marges de manœuvre « tout en conservant les règles de base » (Flageul-Caroly, 2001, p.

90

127

87). L’organisation du travail peut accroître les possibilités d’obtenir des marges de manœuvre. Le collectif peut également accroître les possibilités d’obtenir mais également d’investir ces marges (Coutarel, 2004 ; Flageul-Caroly, 2001).

Certains auteurs soulignent que la notion de « marge de manœuvre » s’inscrit dans l’horizon de la tâche (Davezies, 2004) et/ou de la situation singulière de travail (Coutarel & Petit, 2013), ou encore de la seule activité individuelle (Caroly, 2010). Ces particularités éloignent

ce concept de l’autonomie ou du pouvoir d’agir qui, nous le verrons, dépassent cet horizon.

Pour autant, les notions sont parfois difficiles à distinguer :

- dans certains travaux, l’autonomie est présentée comme une possibilité de mise en

œuvre de marges de manœuvre potentielles (De La Garza & Weill-Fassina, 2000) ou apparaît

comme « marge de manœuvre de l’individu ou du groupe vis-à-vis de la prescription et du contrôle, marge négociée ou imposée dans les faits » (Veltz, 1999, p. 15) ;

- selon Coutarel (2004), le concept de marge de manœuvre renvoie à la possibilité

pour l’individu d’agir sur sa situation de travail, d’y déposer une marque temporelle. Ce concept fait alors écho au pouvoir d’agir. L’auteur précise cependant que le pouvoir d’agir s’inscrit dans une histoire dont la temporalité et le rayon dépassent ceux de la situation de

travail dans laquelle s’inscrivent les marges de manœuvre (Coutarel & Petit, 2013).

- Proposition de définition et positionnement par rapport aux « capabilités »

A la lumière de ces différents travaux et de leurs apports, nous proposons ici une définition du concept de « marge de manœuvre » et le lien que ce concept peut avoir avec celui de « capabilité ».

La marge de manœuvre traduit, selon nous, le degré de liberté à l’intérieur d’un système de

règles :

- un degré de liberté formellement prévu c'est-à-dire « octroyé » par le système ; dans

ce cas, le système n’interdit pas aux opérateurs de procéder de différentes façons, le choix du

mode opératoire est par exemple laissé à la discrétion des opérateurs mais dans un espace de règles, de décisions qui reste stable ;

- un degré de liberté « de fait », c'est-à-dire « conquis » par l’opérateur ; dans ce cas les opérateurs saisissent des opportunités « latentes » du système et créent des marges de

manœuvre.

Le lien entre les marges de manœuvre et les « capabilités » est indirect : il nécessite, pourrait-

on dire, des « facteurs de conversion ». D’une part, les opérateurs doivent saisir les marges octroyées par le système : le fait que ce dernier prévoit formellement des marges de

manœuvre ne garantit en rien leur effectivité. D’autre part, les opérateurs doivent conquérir

les marges latentes pour les rendre effectives. Développer la capacité des acteurs à se saisir et

128 les possibilités pour les travailleurs de répondre aux exigences du travail » (Coutarel & Petit, 2013).

Nous souhaitons introduire ici une distinction entre le concept de marge de manœuvre et celui d’autonomie – distinction qui, nous l’avons vu, n’apparait pas toujours clairement. Si le

concept de marge de manœuvre désigne avant tout la possibilité de faire le travail demandé,

celui d’autonomie est plus large puisqu’il implique la possibilité de produire ses propres normes (Davezies, 2004). L’autonomie est un élargissement de la notion de marge de manœuvre (Caroly, 2010). Nous allons préciser ce concept en rappelant tout d’abord son

usage dans les travaux précédemment exposés.

b) L’autonomie

En termes ergonomiques, la notion de « capabilité » a été traduite par le degré

d’« autonomie » d’un opérateur. Le concept d’autonomie apparaît dans l’ensemble des travaux cités. L’autonomie traduirait une forme de liberté et le pouvoir d’être, de faire et de

choisir au sein des organisations. Il apparaît nécessaire de clarifier ce concept et de proposer là encore une définition.

- Le concept d’« autonomie » en ergonomie

Nous avons pu déceler jusqu’ici la reconnaissance de plus en plus importante donnée à l’autonomie dans le contexte des nouvelles formes d’organisation. L’usage de cette notion est

si fréquent que le sens s’en trouve parfois altéré. La question qui se pose alors est la suivante :

que recouvre au juste la notion d’« autonomie » ?

La sociologie apporte un premier éclairage sur cette question. L’autonomie est le fait du groupe d’exécution qui produit des règles non écrites par opposition – ou plutôt

complémentarité – avec les règles prescrites. L’autonomie que s’octroient les exécutants est alors « moins le signe de leur volonté d’échapper au contrôle de leur supérieur, que le signe de leur volonté d’améliorer leurs compétences, c'est-à-dire leur capacité de maîtrise du

processus. L’augmentation de la capacité de maîtrise individuelle passe par l’élaboration en

commun de règles non écrites, élaboration qui a pour matière première les savoir-faire détenus par chacun » (de Terssac, 1992, pp. 170-171). Cette capacité individuelle ou

collective à produire ses propres règles apparaît nécessaire dans tout processus d’action de

travail pour obtenir le résultat (Maggi, 2003). Ainsi, quel que soit le degré de prescription, les

opérateurs développeront toujours de l’autonomie. Cette dernière peut relever d’un sujet

individuel ou collectif mais, dans les deux cas, elle concerne la régulation du processus

129

d’autonomie. Comme nous l’avons vu précédemment91

, les régulations autonomes sont avant tout sensibles à des impératifs de résultats (Reynaud, 1988).

L’autonomie représente la base de la valorisation effective du travail humain (Friedmann,

1946 in Maggi, 2003) : reconnaître l’autonomie, c’est « reconnaître que l’ordre du système

social se construit au moyen de négociations entre tous les sujets, et donc qu’il ne peut être

prédéterminé » (Maggi, 2003, p. 124). Autonomie et hétéronomie92 coexistent donc dans tout système social (Ibid.).

La définition de l’autonomie en sociologie – capacité à produire ses propres règles et à gérer ses propres processus d’action – apparaît comme un élargissement de la notion de marge de manœuvre pour l’ergonomie (Caroly, 2010). Selon cet auteur, un élément clef de cet élargissement concerne la prise en compte de l’activité collective puisque « le collectif de

travail se développe dans et par cette activité de réélaboration des règles » (Ibid., p. 77).

En ergonomie, les définitions proposées dépassent également le concept de marge de

manœuvre en recouvrant plus largement « la possibilité d’une expression personnelle et l’existence d’un espace de développement » (Davezies, 2004). En ce sens, l’autonomie présente de fortes similitudes avec les enjeux soulevés dans l’approche par les capabilités en termes d’ « espace de liberté » et de « possibilité de choix ». Prenons par exemple la

définition énoncée dans le modèle de Karasek – modèle largement emprunté en ergonomie (Bénion, 2010 ; Pavageau et al., 2007). Dans ce modèle, l’autonomie recouvre deux dimensions (Davezies, 2004) : la capacité à peser sur les décisions et la capacité de choisir les

modes opératoires et d’en expérimenter de nouveau. De manière générale, le concept d’autonomie est abordé en ergonomie comme, à la fois :

- une certaine liberté de choix (Gollac & Volkoff, 2007), notamment quant aux modes opératoires mais aussi la pondération des critères, la hiérarchisation des objectifs, la façon de procéder (Nascimento, 2006) ;

- des possibilités d’action (Falzon, 2005b) et notamment des possibilités « d’organiser sa tâche, de fixer ses procédures de travail » (Leplat, 1997, p. 48) ; autrement dit, un certain degré de liberté dans la réalisation du travail (Coutarel, 2004) ;

- des possibilités de discussion sur l’organisation du travail ou les conditions de travail (Coutarel, 2004).

Par ailleurs, cette autonomie serait favorable au bien-être au travail et à la construction de la santé (Pavageau et al., 2007). Les personnes bénéficiant de cette autonomie seraient les moins exposées à des conditions de travail présentant des risques (Coutarel, 2004). On précise ici « cette » autonomie car ce concept recouvre de multiples réalités. Des distinctions sont

introduites dans la littérature et permettent de mieux discerner l’autonomie telle qu’elle se présente dans le monde du travail aujourd’hui :

91

Voir la section présentant la théorie de la régulation sociale.

92L’autonomie concerne « la liberté de décision du sujet individuel ou du collectif ». A l’inverse, l’hétéronomie

130 - une première distinction apparaît entre l’autonomie-indépendance et l’autonomie-

action. La première traduit la capacité d’un individu à effectuer les tâches qui lui sont

confiées sans faire appel à autrui (Bercot, 1999 in Caroly, 2010, p. 77) ; elle est aujourd’hui

remise en question par un certain nombre d’auteurs (Mollo, 2004). L’autonomie-action, quant

à elle, est issue des relations entre acteurs et se situe pour une part importante dans le registre de la transformation – de soi, des autres et de l’action (Bercot, 1999 in Caroly, 2010, p. 77) ;

- une deuxième distinction est introduite entre l’autonomie procédurale – le choix des procédures – et l’autonomie temporelle – le choix des horaires et des pauses par exemple

(Coutarel, 2004). Aujourd’hui, l’autonomie procédurale semble progresser sous contrainte de

temps : il en résulte une mobilisation entière de la personne, une injonction de « prendre ses responsabilités sans avoir de responsabilité effective » (Clot, 1999, p. 7) ;

- enfin, une troisième distinction est apportée entre discrétion et autonomie : « l’autonomie signifie la capacité de produire ses propres règles, donc la capacité à gérer ses

propres processus d’action : elle implique l’indépendance. La discrétion indique des espaces d’action dans un processus réglé, où le sujet agissant est obligé de décider et de choisir, dans

un cadre de dépendance » (Maggi, 2003, p. 122). Cette distinction est importante car il

semblerait aujourd’hui que l’autonomie qui se développe au travail s’apparente davantage à

une « autonomie contrôlée » (discrétion) qu’à une autonomie s’appuyant sur la coopération « spontanée et volontaire » des salariés (Méda, 2004). Or la première peut se révéler négative

pour le sujet concerné notamment si les moyens pour l’exercer se révèlent insuffisants

(Maggi, 2003).

- Proposition de définition et positionnement par rapport aux « capabilités »

Etymologiquement, le terme autonomie (du grec autos : soi-même et nomos : loi, règle) signifie « se donner ses propres règles ». L’autonomie désigne donc le pouvoir de renégocier les règles93 au sens large et faciliterait le « travail d’organisation » précédemment évoqué.

Elle s’apparente à un aspect de la liberté puisqu’elle accroît les possibilités réelles d’action, de discussion et les opportunités de choix. En ce sens, l’autonomie entretient une forte parenté

avec le concept de « capabilités » ; c’est une latitude effective (et non théorique) d’une

personne, ce n’est pas un droit abstrait (Pavageau et al., 2007). L’autonomie apparaît comme

expression des capabilités dans le monde professionnel (Svandra, 2007), corollaire de la liberté (Nascimento, 2006).

L’autonomie suppose que des conditions concrètes soient satisfaites dans l’environnement

pour que des possibilités réelles soient données à chacun de transformer les libertés abstraites en opportunités concrètes. Elle apparaît, selon nous, comme un facteur d’extension du

pouvoir d’agir qui va permettre la « perception d’autres possibles » (Coutarel & Petit, 2013).

93

La « régulation autonome » (Reynaud, 1989) exposée plus haut traduit une source possible de création de

131

Ces autres possibles vont, à leur tour, faciliter la création de marges de manœuvre et l’accroissement des possibilités de choix et d’action.

3.3.2 … et de l’autonomie au pouvoir d’agir

Les travaux ne relevant pas du champ de l’ergonomie (Bénion, 2010 ; Fernagu-Oudet, 2012a) mettent en évidence que l’enjeu principal d’un environnement capacitant est l’élargissement

du « pouvoir d’agir ». Cette notion entretient un lien avec la relation entre un sujet et son

environnement puisque la mise en œuvre d’une capacité ne dépend pas uniquement de sa

disponibilité mais aussi des conditions propres aux situations dans lesquelles les sujets sont engagés (Fernagu-Oudet, 2012a). Ce qui importe alors est ce que chacun parvient à faire, mais aussi la possibilité et la liberté de choisir entre différentes façons de faire. La parenté du « pouvoir d’agir » avec les « capabilités » a par ailleurs été relevée en ergonomie (Falzon, 2010 ; Falzon & Mollo, 2009b). Nous proposons ici d’éclaircir ce concept et cette parenté.

- Le concept de « pouvoir d’agir »

Le concept de « pouvoir d’agir » trouve ses origines dans les écrits de Spinoza et Ricœur. Le premier évoque le développement du pouvoir d’agir comme « capacité à être affecté d’un nombre croissant de manières » et « approfondissement du rapport au monde » (Davezies,

2009). Le second relie la diminution du pouvoir d’agir à la souffrance : « la souffrance n’est

pas uniquement définie par la douleur physique, ni même par la douleur mentale, mais par la

diminution voire la destruction de la capacité d’agir, du pouvoir-faire, ressenties comme atteinte à l’intégrité du soi » (Ricœur, 1990, p. 223). Cette notion a ensuite été introduite au

sein de la psychologie du travail – et plus spécifiquement en clinique de l’activité – d’abord sous le terme « pouvoirs de l’action » (Clot, 1995) puis de « pouvoir d’agir » (Clot, 1999, 2008).

Une première conceptualisation du terme de pouvoir d’agir s’inscrit dans le champ de la définition de la santé. Le point de vue de la santé comme absence de maladie ne peut suffire. Une définition plus large est retenue : « je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence, et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi » (Canguilhem, 2002, p. 68). En

clinique de l’activité restaurer le pouvoir d’agir « c’est restaurer ce mouvement de liaison à l’initiative des sujets qui est au principe de la santé » (Clot, 2010b, p. 17-18). Dans la poursuite des réflexions de Ricœur (1990), le ressort de la souffrance dans le monde du travail

contemporain apparaît lié à une action « contrariée », « empêchée », « incarcérée » qui traduit

une amputation du pouvoir d’agir, une impuissance à dire, à faire, à raconter, à s’estimer

132

Selon Clot (1999, 2008, 2010b), le pouvoir d’agir concerne l’activité et mesure « le rayon d’action effectif du sujet ou des sujets dans leur milieu professionnel habituel » (Clot, 2010b, p. 18), ce que l’on appelle dans le langage quotidien le « souci et la réalisation du travail bien

fait » (Clot, 2008). Le pouvoir d’agir augmente si l’action en train de se réaliser permet la poursuite de buts qui « comptent » pour le travailleur, et autorise la découverte de nouveaux

buts possibles, l’identification de nouvelles possibilités (Ibid.). L’action réalisée, pleine de sens, est source d’énergie mais celle-ci demande à être pérennisée par l’efficience de l’action menée, source d’économie (Clot, 2010b). L’efficience peut progresser à travers l’automatisation par le travailleur de sa propre action qui, réduisant la charge de travail ou

plutôt son coût, libère ainsi « les capacités de traitement et peut favoriser les acquisitions sur

d’autres parties de l’activité » (Ibid., p. 21). L’amputation du pouvoir d’agir a lieu lorsque, simultanément, des buts valables pour l’opérateur sont laissés en jachère et les automatismes

se referment sur eux-mêmes. Cette amputation s’explique par la faible « disponibilité psychologique du collectif » et l’impossibilité, pour l’opérateur, de puiser des ressources d’un autre « genre » (Clot, 2004). Dans ce cas, l’opérateur ne se reconnaît pas dans son travail et

n’est pas reconnu par les autres (collègues et/ou hiérarchie) (Quillerou-Grivot, 2011).

La notion de pouvoir d’agir a ensuite fait l’objet de multiples usages. Selon Clot (2010b, p.

18) cette diversité est « du plus grand intérêt » et « invite à une discussion plus serrée ». Parmi ces usages nous évoquerons ceux qui permettent une meilleure compréhension du concept et/ou participe à son enrichissement.

Rabardel (2005a) introduit une distinction intéressante entre « capacité de faire », « pouvoir faire » et « pouvoir d’agir » (p. 261) :

- le développement de la « capacité de faire » fait passer pour le sujet, des actions du