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PARTIE II – ACTUALITES DE L’HYPNOSE MEDICALE

1) La théorie psychosociale

Cette théorie, initialement élaborée par SARBIN en 1950, fut enrichie par BARBER au début des années 1970 puis par SPANOS dans les années 1980, ainsi que le rapporte M.C. GAY en 2007(100).

Cette approche non-étatiste ne reconnaît aucun état mental particulier à l’hypnose, stipulant que les conduites hypnotiques, c'est-à-dire la réponse aux suggestions que la tradition rattache à l’hypnose, peuvent tout aussi bien être induites chez des sujets non hypnotisés à qui l’on a fourni les instructions et motivations nécessaires.

La théorie se fonde sur trois observations initiales :

. Les phénomènes hypnotiques peuvent être provoqués par des suggestions non hypnotiques et il n’est pas nécessaire de présenter une “conscience hypnotique“ pour répondre sur un mode involontaire.

.Aucun des phénomènes observés sous hypnose n’est spécifique à l’hypnose et ils peuvent se produire dans d’autres contextes comme la méditation, l’usage de drogues…

. Il est impossible de vérifier objectivement la présence de l’hypnose, qui ne s’effectue qu’à partir des premières réponses d’involontarité ; ce qui amène d’ailleurs à distinguer hypnotisabilité et suggestibilité.

A partir de ces constats, SARBIN puis BARBER déduisent que l’hypnose n’est pas nécessaire voire certainement étrangère à la production des effets hypnotiques, et concluent que les sujets prétendent être hypnotisés mais ne font en fait que jouer le rôle d’un bon sujet, soumis à l’influence des attentes sociales et de sa propre représentation culturelle de l’hypnose.

La notion fondamentale est donc celle de la prise de rôle du sujet, soit disant hypnotisé, qui chercherait simplement à être un bon sujet répondant aux attentes sociales et cherchant non seulement à ne pas décevoir le thérapeute, mais aussi à ne pas se décevoir lui-même au regard d’une situation dans laquelle il s’est volontairement mis et vis-à-vis de laquelle il a lui-même des attentes. C’est la notion d’autodéception introduite par SPANOS.

Ce dernier explique la réponse hypnotique à la fois par des capacités en matière d’imagination mais aussi par certaines aptitudes cognitives, d’où l’adjectif de “socio- cognitive“ utilisé pour qualifier sa théorie.

En effet, il s’appuie sur certaines expérimentations montrant que l’on peut obtenir des résultats comparables à l’hypnose en fournissant aux sujets des outils de stratégie cognitive adaptés à la tâche.

L’amnésie hypnotique, l’involontarité de la réponse seraient dûs à l’engagement stratégique du champ de l’attention, afin de ne pas penser à ce que l’on doit oublier.

d’attentes, de capacités en matière d’imagerie, de cohérence du rôle avec soi-même…

Dans la suite du comportement hypnotique expliqué par l’adoption de l’ensemble des rôles revenant au sujet hypnotisé, T.R. SARBIN va jusqu’à proposer en 1968 (169) une échelle d’implication de l’organisme, d’engagement “organismique“ représentant le degré d’implication et d’effort fourni selon la place du rôle pris par l’individu.

Pour exemple les rôles les plus faibles sont des rôles sociaux, le premier niveau étant le rôle du client d’une boutique, impliquant un niveau d’implication faible, peu de participation de l’organisme et un degré d’effort peu important. Puis viennent les rôles de type “comportement rituel“ qui correspondent à l’expression de l’acteur sur commande afin d’exprimer la colère ou la joie. Les rôles les plus forts correspondent à l’extase : niveau 6, et à l’envoûtement qui est le niveau 7. Plus l’engagement organismique croît, plus le niveau d’implication devient maximal, l’organisme devient entièrement concerné, le niveau d’effort s’accroît et plus le Self tend à devenir inexistant. Le Self est une notion introduite par WINNICOTT désignant la partie de notre personnalité que nous reconnaissons comme étant nous même, partie la plus créatrice qui se développe au contact de l’environnement, qui imagine, joue et nous donne le sentiment d’exister. Le Self est à la fois le Moi, le Ça et une partie du Surmoi, que nous définissons ci-après.

Ainsi l’implication organismique est présentée comme une fonction normale de veille, se déroulant selon un continuum sur lequel peuvent être placées diverses expériences, y compris l’hypnose. Les différences d’intensité d’implication organismique ne sont pas envisagées comme dues à un changement d’état de conscience, mais comme dues à des différences d’investissement énergétique, c'est-à-dire d’effort produit.

Notons que la conséquence de la théorie psychosociale, fondée sur le concept de la prise de rôle, est tout simplement la pure et simple négation de l’existence de l’hypnose.

Plusieurs critiques peuvent être formulées, dont voici quelques-unes :

. Cette position revient tout simplement à assimiler hypnose et comportements suggérés. Et cette simplification permet de gommer tout ce qui échappe dans l’hypnose à l’interprétation en terme de jeu de rôle, comme le vécu hallucinatoire des suggestions sans réponse comportementale, ou encore le vécu hypnotique sans réponse aux suggestions selon D. MICHAUX en 2007(143).

Effectivement, il semble difficile de supposer que les expériences de l’extase ou encore de l’envoûtement reposent sur un “effort“, avec toute la dimension de volontarité sous-tendue par ce terme. En outre, si l’exercice d’un rôle social habituel peut pour certains nécessiter l’effort minimum, pour d’autres, en revanche, il peut être majeur.

. Selon la théorie générale des rôles, celui-ci est le fruit d’un apprentissage. Or si les trois premiers rôles présentés par SARBIN peuvent être considérés véritablement comme appris, il semble abusif de considérer comme l’effet d’un apprentissage la névrose histrionique, l’envoûtement, l’extase ou encore l’hypnose. Cette discontinuité entre rôles appris et non appris pourrait donc par exemple laisser la place à un concept d’état de conscience modifié. Notons, de surcroît, que cette discontinuité ne se limite pas à des catégories de rôles, mais peut se retrouver au sein d’une même catégorie donnée ; ainsi N. ARCHER en 1889, cité par SARBIN et ALLEN en 1968(169), faisait-il déjà remarquer que certains acteurs au cours de la représentation théâtrale perdent complètement conscience d’eux-mêmes et que ces mêmes acteurs n’arrivent plus à se souvenir de leurs comportements sur scène une fois la représentation terminée. La théorie des rôles ne fait donc pas complètement disparaître l’idée d’un changement d’état de conscience caractérisant l’adhésion croissante au rôle, le franchissement d’un certain seuil “d’implication“ dans le rôle pouvant correspondre à l’apparition d’un état de conscience modifié.

.A. WEITZENHOFFER, selon M.C. GAY en 2007 (100), pointe, lui, l’ambiguïté de la prise de rôle en ce qui concerne l’état hypnotique, car le sujet exécute son rôle alors qu’il prétend le contraire. Cette prise de rôle serait donc inconsciente, car exécutée de manière involontaire au niveau comportemental.

Cela signifie donc qu’il se met à exister des comportements authentiques involontaires sur la base d’un comportement initialement simulé. La question serait donc de savoir quand le comportement relève de la prise de rôle et quand il est authentique, et donc à quoi il correspond dans ce dernier cas.

La négation de toute dimension inconsciente échappant à la volonté implique un sujet dont toutes les conduites peuvent s’expliquer par la volonté et les motivations, et les sujets apparaissent, dans ce cas, comme à la limite de la mauvaise foi –qualifiés parfois même de menteurs par SPANOS, témoignant de ce qu’il n’aurait pas vraiment ressenti.

.La logique de l’argument qu’aucun phénomène apparaissant sous hypnose n’est spécifique à l’hypnose, aboutissant donc à sa négation, n’est pas valide : ce n’est pas parce que les phénomènes hypnotiques ne sont pas spécifiques à l’hypnose que l’hypnose n’est pour rien

dans leur production ou qu’elle n’existe pas.

. P.G. BOWERS montra, pour sa part, en 1967, que des comportements analogues ne recouvrent pas forcément le même vécu, comme le rapporte D. MICHAUX(143).

.Les conditions comparées dans ces expérimentations ne permettent pas toujours d’exclure la mise en place d’un état hypnotique, les procédés utilisés faisant appel à l’imagination afin de se reconstruire une réalité sensorielle plus plaisante que la réalité n’étant pas loin de certaines techniques d’induction hypnotique contemporaine.

. Enfin, s’il y a prise de rôle, où donc se fonde l’implantation de telles stratégies et qu’impliquent-elles au plan psychique ? S’il existe un mécanisme d’autodéception, comment fonctionne-t-il ?

Relevons, de surcroît, que la réponse aux échelles de susceptibilité, utilisées pour déterminer le niveau d’hypnose atteint par un sujet donné, est stable dans le temps avec des scores sensiblement identiques, même à plusieurs années d’intervalle, et donc peu influencée par le contexte.

La conclusion de l’inexistence de l’hypnose se fonde finalement sur un raisonnement paralogique énoncé par M.C. GAY en 2007 (100) prenant justement pour postulat de départ l’inexistence de l’hypnose : en effet s’il existe des différences entre le traitement hypnotique et les autres c’est que les sujets sont complaisants et veulent être de bons sujets, et s’il n’y a pas de différence entre les groupes de sujets c’est bien que l’hypnose n’existe pas.

L’inconvénient central de cette théorie est donc lié à l’ambiguité relative à l’état de conscience dans lequel les sujets se trouvent sous hypnose, car les modifications psychiques reconnues sont considérées comme conséquences de la prise de rôle, mais la question de cette modification reste sans réponse, étant à la fois reconnue comme relative à l’engagement stratégique du champ de l’attention et en même temps déniée sur le plan des inflexions psychiques qui en découlent.

Accordons tout de même que ces recherches psychosociales pointent avec justesse le fait qu’il n’est pas indispensable de présenter un état hypnotique caractérisé pour répondre involontairement à une suggestion, même si l’on considère qu’il s’agit d’une induction informelle selon D. MICHAUX(143).

De plus, la théorie psychosociale permet de souligner les rôles non contestés à ce jour de différents facteurs comme les attitudes, les modèles sociaux et les cognitions, même si cela ne

suffit à évincer l’idée d’un changement d’état de conscience pendant l’hypnose.

Intéressons-nous maintenant à décrire les deux principales théories d’inspiration psychanalytique, celle de FREUD d’une part et celle de GILL et BRENMAN d’autre part.