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PARTIE I – HISTOIRE DE L’HYPNOSE

2) La recherche sur l’hypnose

Aux Etats-Unis, la pratique de l’hypnose se développa dès la première moitié du XXème siècle avec notamment de nombreuses recherches et expérimentations, au contraire d’une pratique devenant plus confidentielle en France.

Le débat opposant CHARCOT et BERNHEIM au sujet de la nature de l’hypnose : état particulier ou suggestibilité, sera repris par les expérimentateurs américains et ne trouvera d’autre conclusion qu’une querelle entre étatistes et non-étatistes. Cette dernière ne sera dépassée que grâce à l’application thérapeutique développée par M. ERICKSON.

Citons tout d’abord Clark HULL (1884-1952) , psychologue comportementaliste qui lança en 1933 le premier programme de recherche à grande échelle sur l’hypnose, inaugurant par ses travaux à l’Université de Yale l’ère moderne de l’étude de cette discipline, d’après P. AIM en 2009(4).

Il défendit l’idée que l’état hypnotique est une activité mentale normale, et fut l’un des premiers à appliquer les méthodes expérimentales et statistiques de la psychologie moderne à l’étude de l’hypnose et de la suggestibilité. ERICKSON fut l’un de ses élèves avant de s’éloigner de certaines de ses positions.

A cette époque la perspective de recherche fut plutôt comportementaliste, et certains comme T.R. SARBIN en 1972 (170)avancèrent que l’hypnose correspondait à une sorte de jeu de rôle consenti de la part de l’hypnotisé, se plaçant dans une position psycho-sociologique lui permettant de se conformer aux suggestions. N’ayant à l’époque aucun corrélat physiologique à l’hypnose, il adopta la position des non-étatistes. Cette théorie fut à l’origine de certaines recherches concluant qu’il était impossible en ce temps de discerner des sujets simulant l’hypnose de ceux réellement en état hypnotique, même par des experts.

M.T. ORNE mit cependant en évidence un certain nombre de critères cliniques permettant de faire cette différence : congruence du comportement , réaction en l’absence de l’hypnotiseur comme la fin de transe progressive pour l’hypnotisé mais brutale pour le simulateur, fonctionnement logique durant la transe, efficacité des suggestions post-hypnotiques.

Utilisant le paradigme de la simulation, il mit en évidence des comportements spécifiques de l’hypnose, notamment l’absence d’efficience de la logique habituelle. Il y a donc pour M.T. ORNE en 1959 (151)des modifications du fonctionnement mental en état hypnotique.

De plus les expériences de ORNE permirent de montrer à quel point les modèles fournis par la situation influent sur les comportements du sujet en hypnose mais aussi dans toutes les expériences en sciences humaines.

BARBER (1927-2005) tout comme SPANOS (1942-1994) ne croyaient pas à l’existence d’un véritable état hypnotique, affirmant que tout ce que l’on pouvait faire pendant ce soi-disant état était faisable sans, avec une motivation et des capacités cognitives adaptées. Selon SPANOS les phénomènes observables en hypnose étaient explicables par différentes données psychologiques et sociologiques, tel que le rapporte Y. HALFON (143).

HILGARD (1904-2001) quant à lui, anima une unité de recherche au sein de l’université de Stanford et développa de nombreux programmes de recherches jusqu’à son décès, il y a quelques années seulement. Nous lui devons notamment l’échelle d’hypnotisabilité de Stanford, demeurant un outil de référence pour les études sur l’hypnose même si elles sont peu utiles en pratique pour les thérapeutes.

Très inspiré par JANET, il considérait l’état hypnotique comme un état de conscience particulier résultant d’une capacité normale, présente chez chacun dès la naissance et inhibée de façon variable au cours du développement. Opposé à BARBER, il ne confondait donc pas la suggestibilité présente à l’état de veille avec l’hypnose.

I. STENGERS rapporta entre autre en 1998 (185)certaines expériences sur l’analgésie avec des sujets hypnotisés étant leurs propres témoins dans des groupes contrôle à l’état de veille, afin de démontrer les différences entre les deux états. La motivation et l’imagination des sujets contrôlées, l’état hypnotique provoque une modification de la suggestibilité et ne peut donc être réduit à celle-ci.

HILGARD proposa le concept de “néodissociation“ , inspiré de la désagrégation mentale de JANET, expliquant que certaines informations apparemment perçues par le patient ne se retrouvaient pas accessibles à la conscience par un mécanisme de dissociation. Nous développerons par la suite sa théorie qu’il présenta en 1977. Il fournit en effet un modèle explicatif du fonctionnement cognitif normal qui serait le fruit d’un système exécutif coordonnant l’action de multiples sous systèmes de contrôle cognitif, en s’adaptant à la

réalité. Il définit ainsi l’action de l’hypnose comme « des sous systèmes de contrôle

temporairement dissociés du contrôle exécutif conscient, activés directement par la suggestion », cité par J. GODIN 1991 (102).

HILGARD suggère l’existence d’un “observateur caché“ pouvant ressentir et rapporter les stimuli douloureux chez un sujet en analgésie hypnotique, qui présentera pourtant une amnésie de la séance d’hypnose. Ce résultat indique pour lui qu’une séparation de la conscience peut être effectuée grâce à cette barrière mnésique divisant la perception en plusieurs canaux indépendants. Cette théorie basée sur l’empirisme fut par la suite critiquée, mais eut tout de même le mérite de tenter d’expliquer un phénomène central de l’hypnose, perçu alors de manière subjective.

Après plus d’un demi-siècle de recherches expérimentales sur la nature de l’hypnose, les étatistes et non étatistes se retrouvèrent sur plusieurs points, notamment sur le fait que l’hypnose est autre chose qu’un simple comportement compliant de la part du sujet, ou encore sur les différentes modifications physiologiques produites par les suggestions.

Depuis quelques années, le débat concernant la réalité de l’état hypnotique s’est déplacé du côté de la neurophysiologie qui, comme nous l’évoquerons plus tard, est actuellement en mesure d’objectiver la réalité de cet état.

Aux U.S.A. et au Canada, de nombreux chercheurs travaillent sur le sujet et en particulier sur ses implications cognitives et sociales. Citons parmi les principaux chercheurs contemporains J. KHILSTRÖM, S.J. LYNN, J.R. LAURENCE, E.J. CRAWFORD…

En Union Soviétique PAVLOV (1849-1936) et ses collaborateurs s’intéressèrent à l’hypnose dans l’élaboration de leur concept du conditionnement. Ils théorisèrent l’hypnose à partir de l’expérimentation animale. En effet le chien endormi qui a été préalablement conditionné avec un signal sonore associé à la nourriture, ne se réveille qu’à ce même signal sans pourtant réagir aux autres sons. Ainsi pour PAVLOV le cortex du chien est inhibé mais persistent certaines zones cérébrales vigiles (143).

Il en serait donc de même pour le cortex de l’hypnotisé maintenant certaines zones actives, qui permettent de garder le contact avec l’hypnotiseur. Seulement chez l’homme le stimulus signal est la parole, considéré comme pouvant être aussi efficace que le stimulus physique chez l’animal. PAVLOV ne reconnaissait pas l’existence de l’inconscient mais admit cependant que le stimulus par la parole ne pouvait être assimilable au stimulus physique en

raison d’un vécu particulier à chaque être humain. Il poursuivit facilement ses recherches même après l’arrivée du bolchévisme car l’hypnose était considérée comme une psychothérapie à base physiologique.

En Allemagne, J. Heinrich SCHULTZ, psychanalyste et disciple de FREUD et élève d’Oskar VOGT, pionnier de l’autohypnose, inventa le “training autogène“ en 1912, méthode de relaxation permettant aux patients d’apprendre à lutter contre leur stress, et toujours utilisée aujourd’hui.

En France il faudra attendre les années 1950 pour voir réapparaître des publications traitant de l’hypnose , mais c’est principalement à Léon CHERTOK que revient le mérite d’avoir donné un nouvel essor à l’hypnose en France. Nous traiterons de cela un peu plus loin.

Ainsi une véritable réhabilitation de l’hypnose s’est produite notamment aux U.S.A. , à l’occasion des deux guerres mondiales, dans le champ des pathologies post-traumatiques. Plus qu’un objet de recherche, l’hypnose est redevenue un véritable outil thérapeutique intégré au patrimoine médical, et ce notamment grâce à ERICKSON.

L’intérêt pour cet outil thérapeutique se généralise progressivement, et son utilisation en psychothérapie s’étend quasiment à l’ensemble des indications. Son utilisation dans le domaine médical touche le traitement des douleurs aiguës et chroniques, le traitement des brûlures ainsi que de nombreux troubles psychosomatiques comme l’asthme, l’eczéma, les verrues…

Outre ces indications, l’hypnose peut également être utilisée sur un mode préventif dans le cadre de certaines difficultés émotionnelles, motivationnelles ou encore de troubles anxieux comme la phobie sociale.

L’hypnose permet encore l’apprentissage par chacun de techniques auto-hypnotiques susceptibles de permettre d’agir sur différents aspects physiques ou psychiques.

Nous aurons l’occasion de revenir sur l’apport de la recherche à plusieurs reprises, mais il est important de noter que si elle pose parfois certains problèmes méthodologiques, elle a considérablement modifié le regard porté par la communauté scientifique sur les phénomènes hypnotiques. En effet, de nombreuses publications ont à l’heure actuelle exploré différents axes de recherche, démontrant par là même que l’hypnose était un phénomène tout à fait

susceptible de se plier à une approche scientifique.

Cela contribue en outre à recréditer l’hypnose aux yeux de la société, la libérant progressivement de son carcan d’idées reçues ou d’ésotérisme.