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PARTIE I – HISTOIRE DE L’HYPNOSE

6) Hippolyte Bernheim (1840-1919)

Originaire d’un petit village près de Mulhouse, il étudia la médecine à Strasbourg puis refusant la soumission au régime prussien il quitta la ville après la défaite de 1871 pour se réfugier à Nancy. De réputation élogieuse, BERNHEIM fut nommé Professeur de médecine

interne en 1871, appliquant une rigueur maîtresse dans ses observations cliniques. Il cherchait d’ailleurs à les vérifier dès que possible par des examens post-mortem, et passa ainsi de nombreuses heures avec VIRCHOW à Berlin ou dans le laboratoire de MORGAGNI à l’hôpital de Nancy.

Ayant pris connaissance des succès de LIEBEAULT, il devint rapidement son disciple et se mit à pratiquer l’hypnose dans son service hospitalier, puis à son cabinet de ville Place Carrière.

En 1882 BERNHEIM réalisa sa première communication publique sur l’hypnotisme à la Société Médicale de l’Est, au même moment où l’hypnose était présentée par CHARCOT comme un sujet d’étude sérieux à l’Académie des Sciences de Paris. Des divergences théoriques vont rapidement apparaître entre ce que l’on appellera l’école de Nancy et l’école de La Salpêtrière. En effet BERNHEIM voit l’hypnose comme un état physiologique accessible à tous, état déterminé par la suggestion et possédant la vertu d’être potentiellement thérapeutique. L’état hypnotique est susceptible d’accroître la suggestibilité déjà présente à l’état de veille, permettant donc la guérison de certains maux.

Il publia un ouvrage important en 1884 : De la suggestion dans l’état hypnotique et dans

l’état de veille, où il reprend les théories de LIEBEAULT, allant même plus loin. Il y

contredit point par point les théories de CHARCOT, soutenant que l’hypnose n’est ni l’apanage de l’hystérie ni pathologique, et refute "le grand hypnotisme" selon lui fabriqué par le contexte.

H. BERNHEIM écrit en 1891(16): « une seule fois j’ai vu un sujet qui réalisait à la perfection

les trois périodes : léthargique, cataleptique, somnambulique. C’était une jeune fille qui avait passé trois ans à La Salpêtrière… »

La controverse prit de l’ampleur, prenant même un caractère politique et dépassant les frontières nationale.

BERNHEIM privilégiait le rôle de la suggestion allant même jusqu’à expliquer entièrement par elle le phénomène de l’hypnose.

Dans la deuxième édition de son livre en 1886 le mot hypnose disparaît , et il écrit ces propos rapportés par L. CHERTOK en 1989 (46): « c’est la suggestion qui domine la plupart des

manifestations de l’hypnose : les prétendus phénomènes physiques ne sont, suivant moi, que des phénomènes psychiques. C’est l’idée conçue par l’opérateur qui, saisie par l’hypnotisé et

acceptée par son cerveau, réalise le phénomène, à la faveur d’une suggestibilité exaltée, produite par la concentration d’esprit spéciale de l’état hypnotique. »

L’on vint de loin pour assister aux visites du Professeur à la clinique, et sa réputation devint telle que dans le tramway le ramenant chez lui personne n’osait s’asseoir en face de lui, au point qu’ayant renoncé à s’asseoir il restait debout sur la plateforme…

Et BERNHEIM de dire, cité par R. SIMON en 1975 (178): « Je ne suis pas un thaumaturge,

tout le monde peut faire ce que je fais parce que la suggestibilité est une des possibilités fondamentales de l’être humain. »

En effet si sa pratique reste altruiste et thérapeutique l’hypnose tend toujours à souffrir de poncifs caricaturaux liés à une certaine crainte inspirée par l’hypnose “spectacle“.

Viennent de plus les fameux débats de l’ascendance procurée sur l’hypnotisé avec notamment “les crimes de laboratoires“, ou possibles meurtres sous hypnose dont l’affaire de “Malle à Gouffé“ est une illustration. En effet en 1889 l’on retrouva la tête d’un huissier véreux nommé Gouffé dans une malle à la Gare de Lyon ; après avoir arrêté l’assassin, Eyraud, à la Havane en compagnie de sa complice la prostituée Bompard, l’on tenta de démontrer au Procès que cette dernière avait agi en état de soumission à Eyraud, qui l’aurait hypnotisée. Ainsi Eyraud fut guillotiné, et Mlle Bompard condamnée seulement à vingt ans de réclusion, bénéficiant de fait de l’indulgence des juges(110).

BERNHEIM écrira en 1897 dans la Revue de l’hypnotisme, cité par P. BELLET en 2008

(11)

: « Tout mon enseignement écrit et oral proteste contre la conception d'automates purs

attribués aux hypnotisés.

... Le sujet hypnotisé n'est pas un cadavre inerte ou un corps en léthargie ... Un vrai travail intellectuel s'accomplit en lui... L'hypnotisme ne coule pas les sujets dans un même moule; il ne supprime pas l'individualité psychique. Un cerveau hypnotisé n'est pas un cerveau inerte dans lequel on peut mettre ce qu'on veut... les somnambules ne sont pas tous des êtres dépourvus de résistance, livrés corps et âmes à l'hypnotiseur. Ils conservent une certaine initiative... L'état hypnotique et les phénomènes qu'il comporte ont leur source purement subjective dans le système nerveux du sujet lui-même... Le sujet peut s'y plonger lui-même, sans influence extérieure, par sa propre tension d'esprit. Dans cet état, son imagination devient si vive que toute idée développée spontanément ou suggérée par toute personne à laquelle il attache de façon particulière attention et confiance, prend chez lui toute la force de

l'actualité, de la réalité... La volonté de l'hypnotiseur, si elle n'est pas exprimée par la parole; ses gestes, s'ils ne sont pas compris pas le sujet, ne déterminent aucun phénomène... ces phénomènes sont purement psychiques... »

Le premier Congrès International de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique eut lieu à l’Hôtel-dieu de Paris du 8 au 12 août 1889, sous la présidence de CHARCOT. Nous retrouvons parmi les participants des personnalités tel que RICHET, LIEBEAULT, BERNHEIM, JANET, FREUD.

L’autorité de CHARCOT fut mise à mal, et les membres du Congrès créditèrent majoritairement les thèses de BERNHEIM. Ils définirent par l’hypnotisme tous les phénomènes obtenus par la suggestion. De la controverse entre les deux conceptions de l’hypnose : “l’hystérie est la cause directe du phénomène hypnotique“ proposée par l’école de La Salpêtrière, et “l’hypnose est due à une concentration de l’attention du sujet sur l’idée de s’endormir que lui suggère l’hypnotiseur“ défendue par celle de Nancy, l’école de Nancy est sortie victorieuse.

Si les idées de BERNHEIM ont vite pris le dessus sur celles de CHARCOT, il s’éloignera cependant de la position de LIEBEAULT poussant jusqu’à dire qu’il n’existerait pas d’hypnotisme, mais que de la suggestion. H. BERNHEIM va jusqu’à dire en 1891 dans

Hypnotisme, suggestion, psychothérapie (16): « aujourd'hui, quand je fais de la suggestion

verbale dans un but thérapeutique, je m'inquiète peu de savoir si le sujet dort ou ne dort pas » et inventera en 1903 le mot psychothérapie désignant les soins par suggestions à l’état

de veille.

Quelque peu desservi par ses positions totalitaires et victime d’attaques antisémites, BERNHEIM se trouvera bientôt évincé de la vie scientifique française et prendra sa retraite en 1910, avant de mourir dans l’indifférence générale en 1919.

H. BERNHEIM est aujourd’hui considéré comme le véritable père fondateur de l’hypnothérapie.

Notons simplement parmi ses héritiers le pharmacien Emile COUE, nancéen dont la réputation dépassa aussi les frontières nationales du fait du succès rapide de sa méthode pronant l’autosuggestion. Par exemple nous avons tous entendu un jour cette fameuse phrase à répéter plusieurs fois par jour afin de forger son mental : « Chaque jour, en tout point

conférences rapportées par N. BERTONI en 1988 (17): « Nous sommes ce que nos pensées

nous font ».

Ainsi vers la fin du XIXème siècle, le principe alors dominant de causalité externe se trouve peu à peu supplanté par celui de causalité interne, la phrénologie fait son apparition et l’idée de réflexe inquiète car cela signifie que nos comportements peuvent être influencés en dehors du champ de notre volonté. L’époque est propice à la naissance du concept d’inconscient cérébral, de ce quelque chose susceptible d’influencer nos réactions ou d’agir à notre insu. Il s’agit d’ailleurs de la thématique de certains auteurs du moment comme PAUL VALERY, NIETSCHE, DOSTOÏEVSKI ou encore MAUPASSANT avec Le horla.

La psychanalyse va naitre de l’hypnose, pour s’en éloigner ensuite, et nous parvenons à une période de déclin relatif de l’hypnose dans ces temps suivant la bataille entre l’école de Nancy et celle de la Salpêtrière. Cependant certains continueront tout de même d’y porter intérêt.