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Historique de la psychotraumatologie

PARTIE III – HYPNOSE ET PSYCHOTRAUMATISME

1) Le psychotraumatisme

1.2. Historique de la psychotraumatologie

Le domaine de la psychotraumatologie, encore méconnu il y a quelques décennies, a considérablement évolué au cours de l’Histoire, s’articulant principalement autour des guerres

et connaissant son plein essor lors des grands conflits armés du XXème siècle.

Cependant la clinique du psychotraumatisme est ancienne et apparaît bien avant sa terminologie moderne, ainsi plusieurs descriptions évocatrices remontent à l’Antiquité.

Citons par exemple le guerrier athénien Epizélos atteint de cécité hystérique émotionnelle en pleine bataille de Marathon, rapportée par Hérodote en 390 av. J.C. et cité par L. CROCQ en 2003(60).

De même LUCRECE écrit en 40 av. J.C. dans De Natura Rerum : « Les hommes dont l’esprit

est occupé des grandes et violentes actions qu’ils ont accomplies, répètent et revivent leurs exploits dans leurs rêves, beaucoup affrontent la mort. »

Au Moyen-Age, l’on retrouve d’autres descriptions dans la chanson de Roland de 1110 sur la bataille de Roncevaux par exemple, ou encore dans les Chroniques de Froissart sur la Guerre de Cent Ans en 1338.

Ambroise PARE, chirurgien des champs de bataille, recueille, quant à lui, les plaintes d’hallucinations et de cauchemars terrifiants du Roi Charles IX après le massacre de la Saint Barthélemy en 1572.

Au XVIIème siècle, PINEL rapporte la frayeur de Pascal lorsque son carrosse manqua de se renverser dans la Seine en 1654. Ce dernier ne dormait plus par la suite qu’avec un fauteuil sur la gauche de son lit, souffrant de cauchemars répétés avec crainte de sombrer dans un abîme…

Les événements de la Révolution et de l’Empire fournirent des cas de “névroses de la circulation et de la respiration consécutives aux émotions morales“, préfigurant la névrose traumatique. Lors des guerres napoléoniennes, les chirurgiens comme DESGENETTES et PERCY dénomment “syndrome du vent du boulet“ l’état stuporeux qui saisit les soldats épargnés de justesse par un boulet passé tout près d’eux, comme le note L. CROCQ en 2003

(60)

.

Ce sont, en effet, bien les chirurgiens qui s’intéressent les premiers aux conséquences des affrontements sur l’esprit humain, et les descriptions historiques s’inscrivent principalement dans un contexte militaire.

Suite à un accident de train en Grande-Bretagne au XIXème siècle, le chirurgien ERICHSEN situe l’origine organique de ces troubles dans la moelle épinière lésée par le choc, hypothèse revue par les américains PUTNAM et WALTON resituant la lésion au niveau cérébral en 1883, et proposant le terme de “railway brain“ : cerveau de la voie ferrée.

En 1875, ERICHSEN propose un modèle de panne neurologique provoquée par des facteurs psychologiques, le bouleversement émotionnel lié à la violence du choc et le vécu d’impuissance engendrant les dysfonctionnements organiques.

Le neurologue allemand OPPENHEIM entérine en 1888 l’hypothèse d’une psychopathologie traumatique en incriminant la commotion émotionnelle provoquée par l’accident. Il explique l’absence de corrélation entre la violence du choc physique et l’intensité des symptômes, et décrit les différents composantes du trouble désormais nommé “névrose traumatique“.

Si CHARCOT pense que le psychotraumatisme n’entraîne des symptômes conversifs que chez les sujets prédisposés à l’hystérie, la névrose traumatique devient à sa mort en 1893 une entité clinique autonome pour la communauté internationale.

P. JANET travaille sur le concept de dissociation et d’automatisme psychologique (115) à l’origine selon lui des intrusion répétées «d’idées fixes sub-conscientes » dans la conscience du sujet.

Ce dernier est selon lui atteint d’une perturbation mnésique à l’origine « d’une incapacité à

évoquer consciemment et volontairement ses souvenirs, tandis qu’il souffre d’une reproduction automatique, irrésistible et inopportune de ces mêmes souvenirs que la conscience générale ne gouverne plus, et qui se développent indépendamment d’une manière excessive ».

La Première Guerre Mondiale est la cause d’une exposition d’une grande partie de la population aux événements traumatiques, et de nombreux termes sont employés pour désigner le psychotraumatisme : la “névrose de guerre“ de MOTT en 1918, le “choc des tranchées“ de SOUTHARD en 1919, le “shell shock“ de MYERS ou encore le “syndrome du vent de l’explosif“ de MEIGE en 1915.

Le français G. MILIAN distingue en 1915 (144)une symptomatologie aiguë, dite “hypnose des batailles“, des soldats hébétés qui souffrent de distorsion temporelle et d’hallucinations variées de l’assaut, ainsi qu’une symptomatologie chronique nommée “l’hystérie de guerre“, potentiellement responsable d’une modification durable de la personnalité du patient par la suite.

La psychiatrie militaire reste toutefois divisée entre les tenants d’une origine neuro-organique du trouble, par un mécanisme de compression-décompression lié aux explosions et responsable de lésions neurologiques, et les tenants d’une origine psychopathologique par choc émotionnel.

Il est intéressant de noter que le syndrome post-commotionnel est une entité clinique actuelle comprenant des symptômes somatiques, cognitifs et affectifs, décrite chez les traumatisés crâniens.

Malgré la déconsidération et le déclin héroïque liés à la reconnaissance d’une origine émotionnelle et psychique au trouble, celle-ci prend de plus en plus de place notamment du fait de l’association de troubles anxio-dépressifs et conversifs associés.

S. FREUD développe quant à lui en 1919 (91), au regard des intrusions mnésiques répétitives subies par les victimes, une théorie de compulsion de répétition associée à une pulsion de mort, Némésis de la pulsion de vie. Il décrit la menace vitale, la surprise et l’effroi vécus par le traumatisé et métaphorise l’action du traumatisme comme une effraction de la barrière pare-excitation psychique, avec perturbation de l’économie psychique par le traumatisme, y demeurant comme un corps étranger ne pouvant être assimilé ou évacué.

A l’inverse de CHARCOT, FREUD voit l’hystérie comme consécutive à un traumatisme, lui- même venant faire écho à un traumatisme antérieur, infantile, responsable de la structure névrotique hystérique du sujet. Ce traumatisme premier peut appartenir au monde réel, comme un abus sexuel, ou au monde intra-psychique, au sein des rapports fantasmatiques aux relations parentales.

Les partisans de la psychanalyse suivront son évolution théorique.

Sur le plan thérapeutique, FREUD prône la catharsis, c'est-à-dire l’épuration en faisant revivre l’événement assorti de toute sa charge d’affects.

Au-delà du repos et de toute la gamme de sédatifs de l’époque, la narco-analyse sous éther ou chloral, l’hypnose et la psychothérapie appuyée de persuasion sont pratiquées.

Certains comme K. ABRAHAM tentent une sorte de psychanalyse simplifiée, tandis que d’autres tel C. VINCENT sont plus agressifs avec notamment le “torpillage faradique“ qui est un conditionnement aversif par excitation électrique douloureuse.

En revanche, les abréactions cathartiques sous hypnose ou narcose de A. PROCTOR et M. CHIADINI font preuve d’efficacité, et K. ABRAHAM ou encore S. SIMMEL en établiront des applications en psychanalyse (57).

La Seconde Guerre Mondiale permet toutefois de reconsidérer l’importance du traumatisme en lui-même, et le psychotraumatisme devient de nouveau perçu comme la conséquence normale d’une confrontation à une violence intense ou à une situation extraordinaire.

Les termes de “syndrome d’épuisement“, ou encore de “syndrome des déportés“ voient le jour.

Aboutissement de cette compréhension, la première édition américaine du DSM intègre en 1952 le diagnostic de « Gross Stress Reaction », réaction à un stress important.

C’est principalement avec la guerre du Vietnam dans la seconde moitié du XXème siècle, et l’étude d’une vaste population de soldats américains rentrés du front avec des conséquences psychiques, qu’une synthèse des nombreuses propositions diagnostiques est effectuée à travers la création du « Post-Traumatic Stress Disorder » ou état de stress post-traumatique, PTSD étant l’acronyme anglo-saxon.

Le psychotraumatisme réintègre ensuite le champ de la psychiatrie civile, principalement dans les années 1970 du fait des rapprochements effectués entre les symptômes des vétérans de guerre et ceux des personnes violées, à la suite des groupes de pression féministes militant pour la reconnaissance des conséquences psychologiques des violences sur femmes et enfants. Ce syndrome se retrouve donc aussi dans la population civile, non-exposée à des faits de guerre.

En effet le Docteur C. NAVARRE rappelle dans son livre de 2007 (147) que les destructions matérielles, les catastrophes civiles de grande ampleur engendrent « une désorganisation

sociale et une altération des réseaux fonctionnels tels que les réseaux production-distribution- consommation d’énergie, de nourriture, d’eau potable et non potable, de soins médicaux, de circulation des biens et des personnes, de communication-information, d’éducation, de maintien de l’ordre, de gestion des cadavres ».

Les attentats des tours jumelles du World Trade Center à Manhattan le 11 Septembre 2001, qui ont causé la mort de près de 3000 personnes et fait près de 6300 blessés, sont un exemple de catastrophe humaine majeure.

Le diagnostic de « acute stress disorder », état de stress aigu ou ESA fait son apparition dans la 4èmeédition du DSM, en 1994. Il désigne le trouble post-immédiat de durée limitée pouvant précéder le PTSD.

L’Organisation Mondiale de la Santé fait apparaître à son tour le diagnostic de PTSD dans sa 10ème édition de la CIM, en 1992. Elle lui ajoute le diagnostic de modification durable de la personnalité.

La psychotraumatologie se développe et une recherche importante lui est désormais consacrée, explorant en particulier la temporalité des troubles, les différentes formes

cliniques, les mécanismes neuro-physiologiques et les prises en charge thérapeutiques.

En France, ayant constaté l’état de choc émotionnel des blessés hospitalisés à la Salpêtrière suite à l’attentat meurtrier à la bombe en 1995, à la station de RER Saint-Michel, le Président J. Chirac demande au Ministre de la Santé de créer un dispositif adéquat pour prendre en charge la souffrance psychique, au même titre que la souffrance physique chez les personnes victimes de catastrophes.

C’est donc sous la direction du Général Louis CROCQ, en tant que Médecin Général et Psychiatre des armées expérimenté en psychiatrie de guerre, qu’un réseau national d’intervention psychiatrique d’urgence est constitué afin de prendre en charge dans le civil les victimes d’attentats et de catastrophes.

Il s’agit du Réseau National des Cellules d’Urgence Médico-Psychologique ou CUMP, cellules appelées à se déployer en France mais aussi Outre-Mer, lors de catastrophes ou d’accidents collectifs graves, en collaboration avec le SAMU.

Leurs interventions sont déjà nombreuses. Citons, par exemple, l’intervention suite à l’explosion de l’usine AZF de Toulouse en 2001, lors des conflits en Côte d’Ivoire en 2004, en Haïti suite au séisme de janvier 2010…