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Milton Hyland Erickson (1901-1980)

PARTIE I – HISTOIRE DE L’HYPNOSE

3) Milton Hyland Erickson (1901-1980)

Milton H. ERICKSON, psychiatre américain, va jouer un rôle déterminant dans l’évolution des pratiques hypnotiques et dans la résurgence de l’hypnothérapie. Pour comprendre sa façon d’aborder l’hypnose, il semble nécessaire d’évoquer son histoire personnelle, ayant forgé sa personnalité hors du commun et considérablement influencé son œuvre.

Né en 1901 dans le Névada, ERICKSON était atteint d’une dyschromatopsie rare, dont la conséquence est que la seule couleur qui lui soit agréable est le violet. Il souffrait de plus d’une amusie ou agnosie musicale rendant l’expression et la compréhension discriminante des sons musicaux difficiles.

E.L. ROSSI souligne en 1980 (75)qu’ ERICKSON était donc dès son plus jeune âge confronté à une perception du monde différente des autres, ce qui l’amènera à se questionner sur la relativité des cadres de références des êtres humains.

Sa surdité l’invita à mieux s’écouter lui-même et à trouver son propre rythme : le pouls, et la respiration. Celle-ci devint pour lui un moyen de suivre le rythme des autres. Nous verrons qu’effectivement la prise en compte du rythme respiratoire du sujet renforce considérablement sa collaboration avec le thérapeute.

ERICKSON fut scolarisé, c’est alors que l’on se rendit compte qu’il souffrait d’un autre handicap : la dyslexie. On le vit alors des heures durant s’attacher à lire le dictionnaire –d’où le surnom de “Monsieur Dictionnaire“, et se passionner pour la langue et la sémantique. Le voici donc commençant à jouer sur les différents niveaux d’abstraction de la communication, désignant plusieurs choses avec un seul mot, disant simultanément une chose et son contraire, ou encore parlant d’un sujet tout en attirant l’attention de son interlocuteur sur une autre. C’est ce que l’on nommera “la communication indirecte multi-niveaux“ ; or, il se trouve que ce mode de communication facilite précisément l’induction hypnotique.

Enfant, il guérira subitement de sa dyslexie dans ce qu’il interprétera plus tard comme une expérience auto-hypnotique spontanée, une sorte de “flash visuel“ l’ayant aidé à comprendre l’orientation nécessaire du “3“ et du “m“, alors qu’il était en leçon avec son professeur,

d’après ERICKSON et ROSSI en 1977(74). Il en tirera trois leçons a posteriori : l’hypnose est un phénomène se produisant dans la vie quotidienne ; elle facilite le changement ; et la compréhension de la cause n’est pas toujours nécessaire à l’obtention de la guérison.

En 1919 à l’âge de 17 ans, Milton H. ERICKSON fut frappé d’une forme grave de poliomyélite aiguë antérieure. Il s’agit d’une maladie sans traitement évoluant en plusieurs stades, avec une phase d’invasion virale puis d’extension des paralysies, parfois mortelle, ou bien entraînant après récupération un syndrome post-poliomyélitique de gravité et de survenue variables, plusieurs dizaines d’années après la phase aiguë.

Alité dans la pièce voisine, Erickson entendit les médecins expliquer à sa mère qu’il serait mort le lendemain matin.

Plein de colère et de rage de vivre, il demanda à sa mère de déplacer son lit afin de pouvoir observer par la fenêtre un dernier coucher de soleil. Le soir venu, il concentra toute son attention sur le soleil, et dans une attention sélective il exclut consciemment tous les obstacles du paysage comme le rocher ou la barrière. Il tomba dans un coma durant trois jours, puis se réveilla, cependant paralysé totalement au niveau moteur et sensitif. Seules ses capacités à bouger les yeux et à entendre n’étaient pas affectées.

C’est alors qu’ERICKSON se mit à observer son entourage et son environnement à travers les informations sensorielles lui parvenant encore, décelant par exemple l’importance de la communication non verbale. Plutôt que d’attendre une récupération spontanée, il développa certains exercices mentaux ne relevant pas simplement de l’imagination, comme par exemple des exercices de réactivation de souvenirs sensoriels remontant à l’époque où il était en bonne santé. Un jour qu’il était assis sur un fauteuil à bascule l’envie de regarder par la fenêtre trop loin située le prit, et le voici qui se mit à se représenter mentalement l’image du balancement. Grande fut sa surprise quand il s’aperçut que son fauteuil se balançait imperceptiblement, et qu’il s’était rapproché de la fenêtre. La représentation mentale avait donc pu influencer directement sa motricité, selon ROSSI (74).

Ayant une petite sœur à l’âge de la marche, il l’observa minutieusement franchir les différentes étapes de l’apprentissage de la marche, se les répétant mentalement afin de réapprendre lui-même à marcher et de recouvrer l’usage de ses membres.

De cet évènement de vie difficile, ERICKSON sut tirer parti et développer , ainsi qu’au soir du coucher de soleil, des stratégies mentales qu’il décodera comme autohypnotiques, l’ayant

aidé à mobiliser ses propres ressources afin de survivre et de progresser dans le processus de guérison.

Grâce à ces expériences précoces Erickson saura par la suite inventer des approches extrêmement originales permettant différents réapprentissages de la sensibilité et de la motricité, et d’amplifier les capacités hypnotiques de la personne. En effet, il perçoit l’hypnose comme un moyen donné à la personne de potentialiser ses ressources pour changer.

En 1921 il était capable de marcher avec des béquilles et s’inscrivit parallèlement en médecine et en psychologie à l’Université du Wisconsin, ayant du renoncer à devenir fermier. Il y rencontra Clark L. HULL, un des pères fondateurs de la psychologie expérimentale et des théories de l’apprentissage aux Etats-Unis.

Séduit par la personnalité d’ERICKSON, celui-ci l’invita à participer à ses séminaires réputés sur l’hypnose. Ainsi ERICKSON put mettre des mots sur son vécu autodidacte : autohypnose, processus idéomoteurs, hallucination… HULL lui permit de commencer à pratiquer l’hypnose, ce qu’il fit au point que l’on le surnommait désormais “Monsieur Hypnose“.

HULL appliquait une méthodologie expérimentale stricte, et prit parti en faveur de l’école de Nancy, la plupart de ses expériences reprenant le thème de la suggestibilité ainsi que le note L. CHERTOK en 1984(48).

Cependant pour HULL, l’opérateur prend une place plus importante en hypnose que les processus comportementaux internes, selon ERICKSON en 1980 (75). Il cherchait à mettre en place un protocole universel, standardisé d’hypnose applicable à tous les individus. ERICKSON critiqua cela en démontrant le paradoxe de cette recherche, car l’hypnose devait selon lui tenir compte et s’exprimer à travers l’individualité de chacun.

Il s’éloigna donc de HULL, obtint son doctorat en médecine en 1928 et se spécialisa en psychiatrie. Il travaillera dans l’Université du Wisconsin, puis à Rhode Island, et enfin dans le Massachussetts en 1930. Durant ces années, certains services hostiles à l’hypnose lui interdisaient de la pratiquer. ERICKSON contourna cette résistance en développant alors certaines techniques de communication d’allure non hypnotiques.

A 33 ans il devient Professeur de Psychiatrie et s’installe dans le Michigan, où il put officiellement reprendre la recherche fondamentale sur les phénomènes psychologiques et l’hypnose. C’est ici qu’il réalisera la plupart de ses expériences sur l’hypnose.

des apprentissages de la vie du patient, une instance positive et créatrice où, avec l’aide du thérapeute, le patient peut trouver de nouvelles solutions plus souples et plus adaptées que la conduite symptomatique actuelle, comme l’explique D. MICHAUX en 2007 (143). Cela vient briser, dans une époque très psychanalytique, l’image négative encore souvent répandue d’un inconscient uniquement source de souffrances ou de symptômes liés aux souvenirs refoulés. En opposition avec les notions classiques d’emprise et de manipulation rattachées à l’hypnose, il prouve que l’état hypnotique permet d’ouvrir un espace de plus grande liberté. Il permet d’accéder à ses propres ressources inconscientes afin d’engendrer les changements dont on a besoin.

De plus, ERICKSON s’éloigna des suggestions assénées de manière autoritaire visant le symptôme, comme des tentatives de "greffe psychique" du changement. D’ailleurs nombre de chercheurs pensent actuellement qu’il faut remettre en question cette notion de suggestion, toujours rattachée à l’hypnose.

ERICKSON développa des suggestions indirectes et non pas directes, réalisées de manière non autoritaires, mais permissives.

Le thérapeute sait que la personne possède les ressources nécessaires au changement, et il sait utiliser le langage du patient pour lui permettre d’y accéder.

Il imagina des techniques extrêmement variées et parfois inattendues afin de contourner les résistances du patient et d’obtenir l’effet recherché. Par exemple pour un sujet ne répondant pas aux suggestions classiques de diminution douloureuse, l’on pourra utiliser la technique dite de distorsion du temps afin d’obtenir une diminution suggérée du temps d’exposition à la douleur.

En mai 1942 ERICKSON fut invité à New-York par le psychanalyste et neurologue KUBIE dans le cadre d’une conférence traitant de l’inhibition cérébrale. Elle était organisée par le directeur médical de la fondation Macy et traitait principalement de l’hypnose et des réflexes conditionnés. Y participaient le neuropsychiatre et mathématicien McCULLOCH, le neurophysiologiste ROSENBLUETH, Gregory BATESON et Margaret MEAD. ERICKSON et Howard LIDDELL, spécialiste du conditionnement animal, animaient principalement le débat.

Cette conférence fut à l’origine de la naissance de la cybernétique, science des systèmes autorégulés étudiant et modélisant les interactions entre les différents éléments d’un système vivant ou physique (75).

A 47 ans il quitta pour raisons de santé le Michigan afin de s’installer à Phoenix dans le désert de l’Arizona, et entama une pratique libérale, renonçant définitivement à toute pratique hospitalière.

Dans cette période d’après guerre où la psychanalyse était encore très présente, ses nombreux succès thérapeutiques intriguèrent et, non seulement les patients vinrent de plus en plus loin mais aussi de nombreux professionnels de santé tel des psychiatres, anesthésistes, dentistes, etc., afin de comprendre l’origine de ses succès. ERICKSON était très demandé et continuait son travail d’enseignement avec notamment des séminaires donnés à travers tous les Etats- Unis.

Il contribua à la création de la Society for Clinical and Experimental Hypnosis.

En 1952, à l’âge de 51 ans, il se trouva de nouveau paralysé par le syndrome post poliomyélitique, comme le souligne ROSSI en 1980 (75). Il perdra l’usage de ses jambes et d’un bras, et peu à peu ne quittera plus sa chaise roulante. Les muscles phonatoires seront également touchés. Tout le reste de sa vie il sera amené à simplifier ses techniques du fait de ces difficultés.

En 1953 ERICKSON organisa un séminaire sur l’hypnose dans la région de Palo Alto.

L’anthropologue BATESON y invita Jay HALEY, qui participa à son programme de recherche sur l’étude de la communication et désireux de rencontrer ERICKSON. De 1954 à 1960, HALEY et John WEAKLAND passeront de longues heures chez lui à Phoenix à l’observer, filmer les séances avec des patients, et à discuter sur la nature de l’hypnose. Ces discussions seront reprises régulièrement notamment avec BATESON, et c’est sur ces bases que naîtra l’école de Palo Alto, école renommée de communication à l’origine aussi des thérapies familiales et systémiques.

En 1957 ERICKSON fonda l’American Society of Clinical Hypnosis en vue de proposer une approche plus ciblée sur les spécificités de la transe et de son induction.

Il dirigera pendant dix ans l’American Journal of Clinical Hypnosis, revue scientifique d’hypnose faisant référence encore aujourd’hui.

Jay HALEY publia en 1973 le livre “Un thérapeute hors du commun“ qui dévoila ERICKSON au grand public et achèvera d’établir sa renommée internationale.

Comptons, parmi ses derniers élèves, ROSSI qui s’employa à décoder la “boîte à outils“ de la communication indirecte d’ERICKSON, ROSEN ou encore ZEIG qui dirigent encore aujourd’hui la fondation Erickson.

ERICKSON mourut le 25 Mars 1980 à l’âge de 79 ans, six mois avant le premier Congrès International lui étant consacré.

Son apport est tellement fondamental qu’aujourd’hui la plupart des hypnothérapeutes font référence à son œuvre. Il donna un nouvel essor à l’hypnose, la faisant entrer dans le champ de la psychothérapie et la modernisant. En effet, son approche innovante révolutionna la manière de pratiquer l’hypnose.

Il se situe de plus au carrefour de différentes approches existant en psychothérapie comme l’école de Palo Alto, les thérapies systémiques, stratégiques et familiales et la programmation neurolinguistique. Tous les tenants de ces approches font référence à son œuvre.