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La théorie des pratiques sociales et la sociologie de la consommation

Chapitre 2. Repenser le vin sous l’angle de la théorie des pratiques sociales

4. Les applications de la théorie des pratiques sociales à la consommation et leurs limites

4.1. La théorie des pratiques sociales et la sociologie de la consommation

L’importation de la théorie des pratiques sociales dans le champ de la consommation est assez récente. C’est sous l’impulsion de Warde, au milieu des années 2000, qu’une

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réflexion a été menée sur le renouvellement de la conception des pratiques sociales dans le champ de la consommation. Son article fondateur publié en 2005 dans Journal of Consumer

Culture est le plus cité dans ce courant et a le mérite de remettre en cause les approches

déterministes des comportements de consommation ; s’ensuivront de nombreuses recherches portant principalement sur les nouvelles technologies et le développement durable.

Warde (2005) s’appuie sur les développements de Schatzki et Reckwitz tout en critiquant les apports décevants de Bourdieu et Giddens. Il reproche, en effet, à Bourdieu de ne pas assez faire la distinction entre la pratique (Praxis) et les pratiques (Praktik) et de s’être trop focalisé sur la notion d’habitus plutôt que de concentrer ses efforts sur le développement d’une réelle théorie des pratiques (Dubuisson-Quellier et Plessz, 2013).

Quant à Giddens, Warde le critique pour avoir considéré la consommation plutôt comme un moyen de construction identitaire, avec un but profondément ostentatoire, et comme une activité purement symbolique (Halkier, 2009). Or, selon la pensée de Warde, les pratiques accomplies par les individus ne doivent pas être conçues comme une volonté de construire et d’exprimer leur identité. Au contraire, des pratiques de consommation peuvent être accomplies afin que l’individu atteigne une récompense intrinsèque telle que l’acquisition de connaissances et compétences qui vont lui permettre de faciliter son choix lors de l’achat. Ce point de vue considère les consommateurs comme des « acteurs compétents dont la

consommation est en quelque sorte l’expression de leurs aptitudes et projets » (Shove et alii.,

2007, p.43). Cette dimension est ici suggérée dans la mesure où l’acquisition de compétences va permettre de mieux les exposer lors d’activités sociales. Ainsi, plutôt que d’exposer ses possessions matérielles, l’individu va préférer exposer ses compétences.

Dans le cas des pratiques œnophiles, l’exposition à la fois des possessions matérielles, à travers notamment la possession d’une cave à vin bien remplie, et des compétences en matière d’œnologie est caractéristique des consommateurs. En effet, les individus s’engageant dans un processus d’appropriation sont motivés par l’acquisition d’une compétence culturelle (Maciel et Wallendorf, 2017). Cette dernière est matérialisée par une maîtrise de la culture œnophile qui permet aux individus de faciliter leur achat en matière de vin, et d’être plus sensibles aux enjeux sanitaires de la filière viticole.

De plus, dans leur article paru en 2007, Üstüner et Holt remarquent que l’absence de capitaux économiques, sociaux ou culturels nécessaires pour s’investir dans des pratiques

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réservées plutôt à la classe dominante conduit à une désillusion identitaire. Ainsi, la prouesse qui consiste à accomplir des pratiques alors réservées à une certaine population entraîne une récompense intrinsèque encore plus forte.

Warde (2005) clarifie donc la théorie des pratiques sociales en les concevant comme la connexion entre des faires et des dires, en d’autres termes entre des compréhensions, des procédures et des engagements. Les compréhensions sont entendues comme des connaissances, un savoir-faire et une interprétation de la manière par laquelle les choses doivent se réaliser. Les procédures se composent des instructions et des règles. Enfin, les engagements concernent les états émotionnels (Halkier et Jensen, 2011). Nous retrouvons ainsi dans cette conception, les dimensions des pratiques sociales soulignées par Reckwitz (2002).

En mobilisant ainsi la théorie des pratiques sociales, Warde fait différer son approche de celles existant dans le champ de la consommation dont :

 les approches concevant les individus comme étant rationnels, c’est le cas notamment de la théorie du comportement planifié développée par Ajzen (1991) ;

 les approches concevant la consommation comme déterminée par la culture, c’est le cas des théories développées par Bourdieu (1979) ;

 les approches qui admettent la consommation comme le produit d’une construction identitaire et de significations symboliques, tel est le point de vue défendu par Giddens (1991).

Ainsi, une application empirique de la théorie des pratiques sociales au champ de la consommation permet de proposer une alternative aux approches trop individualistes et déterministes (Warde, 2014).

De plus, Warde (2005) conçoit le comportement de consommation comme un moment dans la pratique et non comme une pratique à part entière. En effet, Warde comprend la consommation comme un « processus dans lequel les agents s’engagent en s’appropriant et

appréciant dans une perspective utilitaire, expressive ou contemplative, des biens, services, informations ou ambiance, qu’il y ait achat ou non, à la discrétion de l’agent » (2005, p.

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la nature et le processus de consommation. Et pour cause, de nombreuses activités de consommation sont accomplies sans qu’elles soient identifiées comme telles (Halkier, 2009). Les activités de consommation sont donc considérées comme un processus en cours situé à l’intersection de nombreuses pratiques et relations sociales (Halkier et Jensen, 2011). Les individus réalisent qu’ils s’investissent d’abord dans des pratiques avant de s’investir dans des activités de consommation, les pratiques ne sont donc pas considérées comme uniquement des activités de consommation (Røpke, 2009). En effet, ces dernières découlent des pratiques et sont créées par les multiples opportunités qu’elles leurs offrent (Shau et alii., 2009).

En prenant appui sur la conception des pratiques sociales dans le champ de la consommation de Warde, de nombreuses études ont émergé afin de répondre à des problématiques liées principalement aux nouvelles technologies et au développement durable (tableau 2).

Tableau 2. Les différents types de pratiques sociales étudiées dans les recherches en comportement du consommateur

Auteur (s) Pratiques sociales étudiées

Chevalier (1998) Pratiques équestres

Shove et Pantzar (2005) Marche nordique

Hand, Shove et Southerton (2005) Douche

Shove et Pantzar (2007) Photographie digitale et Floorball

Halkier (2009) Pratiques de consommation alimentaire respectueuse de l’environnement

Schau, Muñiz et Arnould (2009) Pratiques de création de valeur au sein des communautés

Humphreys (2010) Jeux d’argent dans les casinos

Gram-Hanssen (2011) Consommation d’énergie

Halkier et Jensen (2011) La contestation de la consommation alimentaire chez les Pakistanais-Danois

Hargreaves (2011) Changement de comportement pro-environnemental

Magaudda (2011) Pratiques de consommation de la musique digitale

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Southerton, Olsen et Warde (2012) Pratiques de lecture

Arsel et Bean (2013) Décoration intérieure

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