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Partie III – La perception de la maladie : approche dyadique

3. La théorie de la perception interpersonnelle de Kenny (1994)

La perception interpersonnelle telle qu’elle est de crite par Kenny (1994) s’inscrit dans le cadre des e tudes sur la me ta-perception. Kenny se base notamment sur les travaux de Laing, Phillipson et Lee (1964) pour qui la me ta-perception est « la perception que les gens ont à propos

de la perception d’une autre personne à propos d’un tiers ou d’eux-mêmes » (Laing et al., 1964, cite s

et traduits par Matuchet-Vincent, 2005, p. 53). Elle implique alors que les individus soient capables de prendre du recul et de re fle chir sur leurs propres perceptions et donc sur leur fonctionnement cognitif (Matuchet-Vincent, 2005). Elle est ainsi, elle-me me, une composante de la me tacognition. La me tacognition, « cognition sur la cognition », se de finit comme « un corps de

connaissances et de modes de compréhension qui portent sur la cognition elle-même. La métacognition est cette activité mentale pour laquelle les autres états ou processus mentaux deviennent des objets de réflexion » (Yussen, 1985, cite et traduit par Doly, 2006, p. 85). Elle fait

donc re fe rence a deux e le ments : 1) les connaissances me tacognitives ou me taconnaissances, qui concernent les personnes, les ta ches et les strate gies (Flavell, 1976), et 2) l’utilisation de ces connaissances pour ge rer ses processus mentaux (Saint-Pierre, 1994). La me tacognition est un domaine qui se re fe re plus spe cifiquement aux questions d’apprentissage. Toutefois, l’analyse de la re flexion du sujet sur ses propres pense es a e galement inte resse les auteurs qui e tudient les relations interpersonnelles et les phe nome nes intersubjectifs au sein de celles-ci. En effet, parmi les me taconnaissances, les connaissances au sujet des personnes vont plus particulie rement retenir notre attention. Ces dernie res peuvent e tre intra-individuelles (connaissances ou croyances que le sujet posse de sur lui-me me : par exemple, je sais que je suis plus efficace au travail le matin),

inter-individuelles (connaissances ou croyances que le sujet posse de sur autrui et comparaison

entre soi et autrui sur la base de celles-ci : par exemple, je sais que François est bon en mathe matiques et d’ailleurs il est meilleur que moi) et universelles (connaissances que le sujet posse de sur fonctionnement de la pense e humaine en ge ne ral : par exemple, je sais que les capacite s attentionnelles sont de courte dure e). C’est dans ce contexte que s’inscrit la the orie de Kenny (1994) qui constate, en effet, que nous avons tous des croyances sur les personnes qui nous entourent. Ces croyances ont des conse quences au quotidien dans notre vie et guident notamment

c

nos interactions avec les autres. Selon Kenny, dans une interaction entre deux individus, il existe trois types de perception, qu’il nomme « l’auto-perception », « la perception des autres » et « la me ta-perception ». Pour les comprendre il faut observer dans une relation qui est celui qui perçoit « le juge » (« a perceiver »), qui est « la cible » de la perception et quel est « le trait » perçu. Pour plus de pre cision nous allons reprendre, a la suite de Kenny, un exemple permettant d’illustrer ces trois types de perception. Lorsque deux amies, Anne et Lisa, discutent dans un cafe , ces trois perceptions interviennent dans leur relation :

Tout d’abord, Anne pense qu’elle est une personne tole rante. Il s’agit « d’auto-perception » : Anne est a la fois « la juge » et « la cible » du « trait ».

Anne pense que Lisa est intelligente. Il s’agit de « la perception des autres » : Anne (« la juge ») pense que Lisa (« la cible ») est intelligente (« le trait »).

Paralle lement, Anne pense que Lisa la perçoit comme une personne cre ative. Il s’agit de « la

méta-perception » : Anne (« la cible ») pense que Lisa (« la juge ») la perçoit comme cre ative

(« le trait »).

On observe alors une inversion de la personne qui perçoit et de la cible entre la « perception des autres » et la « me perception ». Selon Kenny (1994), l’auto-perception et la me perception sont fortement lie es, comme en te moigne le mode le de formation de la me ta-perception qu’il propose, sche matise dans la Figure 2.

Son propre Comportement

comportement d’autrui a h Auto- perception d e b Auto- Me ta- e valuation perception g

Figure 2 : Modèle de formation de la méta-perception (Kenny, 1994).

En reprenant l’illustration pre ce dente, selon Kenny (1994), Anne a une perception de ce

qu’elle est (auto-perception) qui influence son comportement avec Lisa (a) et la façon dont elle interpre te son comportement avec Lisa (b). De plus, son comportement affecte celui de Lisa (c) et l’e valuation qu’elle fait d’elle-me me (d). En conse quence, la façon dont Anne pense e tre perçue par Lisa (me ta-perception) de pend du comportement de Lisa (e), de son propre comportement

(h), et de son auto-e valuation (f). En retour, Anne s’auto-e value en fonction de la façon dont elle

pense e tre perçue par Lisa (g). Aussi, la perception que les individus ont d’eux-me mes de pend en partie de ce qu’ils imaginent e tre la perception des autres a leur e gard. De plus, les liens de re ciprocite entre l’auto-e valuation et la me ta-perception sont forts. Kenny et DePaulo (1993) insistent d’ailleurs sur le fait que la façon dont un individu pense e tre perçu par les autres (me ta-perception) de pend moins de leurs retours que de la perception que l’individu a de ja de lui-me me (auto-perception). Kenny (1988, 1994) propose neuf questions pour l’e tude des perceptions interpersonnelles, pre sente es dans le Tableau 9.

Tableau 9. Neuf questions basiques pour l’e tude de la perception dans les relations

interpersonnelles selon Kenny (1988, 1994).

Paramètres Questions Symboles

Assimilation Est-ce qu’Anne porte le me me jugement sur François (F) et sur Lisa (L) ? A(F) = A(L)

Consensus Est-ce que Lisa est perçue de la me me façon par François et Anne ? Si l’e cart entre les deux perceptions est faible, on parle

de consensus. A(L) = F(L)

Singularité

Est-ce que la perception qu’Anne a de Lisa est unique ? Dit autrement, est-ce qu’Anne perçoit Lisa diffe remment de la façon dont elle perçoit François et diffe remment de la façon dont Lisa est perçue par François ?

A(L) < > A(F) A(L) < > F(L)

Réciprocité Est-ce que Anne perçoit Lisa de façon similaire a la façon dont Lisa perçoit Anne ? A(L) = L(A)

Exactitude

(target accuracy) Est-ce que la perception qu’Anne a de Lisa est correcte. Autrement dit, Anne perçoit-elle objectivement Lisa ? A(L) = L Réciprocité

présumée Est-ce qu’Anne pense e tre perçue par Lisa de façon similaire a la façon dont elle-me me perçoit Lisa ? A(L(A)) = A(L)

Méta-exactitude (meta-accuracy)

Est-ce qu’Anne sait comment elle est perçue par Lisa ? Si l’e cart est faible entre la façon dont Anne pense e tre perçue par Lisa et

la façon dont Lisa perçoit Anne, on parle de me ta-exactitude. A(L(A)) = L(A) Similarité

présumée Est-ce que Anne voit les autres comme elle se voit elle-me me ? A(A) = A(L)

Accord inter-juge (self other

agreement) Est-ce que Lisa voit Anne comme Anne se voit elle-me me ? L(A) = A(A) Note. Les lettres A, F et L repre sentent des personnes. Le signe « = » repre sente une correspondance mais non un accord parfait, et le signe « < > » signifie « non e gal ».

Ainsi, la façon dont un individu se perçoit peut e tre diffe rente de la façon dont il est re ellement perçu, et de la façon dont il pense e tre perçu. Nous avons pre ce demment e voque l’e tude

de Locke et Mitchell (2016), re alise e aupre s d’adolescents autistes et de leurs parents. Pour rappel, ils ont mis en e vidence un e cart entre la perception des parents sur les capacite s interpersonnelles de leur enfant (appele e perception des parents) et ce que les adolescents imaginent que leurs parents leur attribuent comme capacite a ce niveau (appele e méta-perception). Ces auteurs ont initialement suppose l’existence de cet e cart en soulignant les difficulte s me tacognitives qui s’observent dans cette population. Toutefois, comme nous venons de le voir, Kenny sugge re que de tels e carts existent dans la population ge ne rale, sans difficulte me tacognitive.