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Partie II - La prise en charge du diabète de type 1 à l’adolescence

3. Spécificités de la prise en charge des adolescents diabétiques

Les risques de complications qui viennent d’e tre de crits bloquent, parfois, l’horizon du futur qui n’est alors appre hende que dans une perspective ne gative (Jacquin, 2005), et les craintes suscite es quant aux conse quences d’une mauvaise prise en charge constituent une source de stress majeure pour les adolescents et leurs parents. En effet, Beveridge, Berg, Wiebe et Palmer (2006) ont pu e tablir que le contro le me tabolique, la gestion de l’alimentation, les injections et tests de glyce mie, ainsi que la gestion des difficulte s lie es au diabe te en dehors de la maison, e taient les e le ments les plus fre quemment rapporte s par les adolescents et leur me re (pe res non inclus dans l’e tude) comme ayant constitue une source de stress au cours de la semaine pre ce dent l’e tude. Ces e le ments sont toutefois e voque s a des fre quences diffe rentes entre les me res et les adolescents. Alors que ces derniers mentionnent plus souvent un stress associe aux proble mes lie s au contro le me tabolique et a la gestion de l’activite physique, les me res e voquent plus fre quemment un stress associe a la gestion de l’alimentation, aux conflits familiaux, aux injections d’insuline et aux tests de glyce mie (Beveridge et al., 2006). Une e tude qualitative re cente (Fonte et

al., 2017) appuie ce constat et insiste sur le stress engendre pour les adolescents par la prise de

responsabilite dans la gestion de leur diabe te. Ces auteurs rapportent les propos de certains d’entre eux qui te moignent de leurs inquie tudes face a leur autonomisation dans la prise en charge, qui est associe e a la crainte de faire des erreurs et de mettre leur vie en danger. Cela peut constituer un frein a la prise d’autonomie de l’adolescent, tant dans sa vie en ge ne rale que spe cifiquement dans la gestion du diabe te.

Par ailleurs, les obstacles au bien-e tre les plus souvent e voque s par les adolescents sont la fre quence et la re pe tition des injections et du contro le glyce mique, mais e galement les frustrations alimentaires et notamment le fait de ne pas pouvoir avoir les me mes comportements alimentaires que leurs pairs (Fonte et al., 2017). De plus, a cet a ge, les e volutions quant aux gou ts, aux habitudes et aux rythmes alimentaires, entrent en conflit avec la ne cessite d’une prise alimentaire re gulie re et e quilibre e (Elgandaoui, Lazghad, Chadli, Elghomari, & Farouqi, 2006). Certains auteurs ont d’ailleurs mis en e vidence un risque accru, chez les adolescents diabe tiques, de de velopper des

troubles de l’alimentation et des conduites alimentaires18 (Alice Hsu, Chen, Huang, & Lin, 2009 ; Colton, Rodin, Bergenstal, & Parkin, 2009). De manie re ge ne rale, l’a ge, le genre fe minin, une masse corporelle importante, une insatisfaction de l’image du corps, un historique de re gime et un historique de de pression chez les adolescents, les exigences spe cifiques lie es a la nutrition, la prise de poids sous traitement d’insuline, sont autant de facteurs qui augmentent le risque de voir apparaî tre ces troubles (Ba chle, Stahl-Pehe, & Rosenbauer, 2013 ; Racicka & Bryn sk, 2015). Il a d’ailleurs e te mis en e vidence que les personnes diabe tiques pre sentent plus d’insatisfaction corporelle que les personnes non diabe tiques (Philippi, Cardoso, Koritar, & Alvarenga, 2013). Cette proble matique concerne particulie rement les adolescents (Young et al., 2013), qui, a cette pe riode de fortes modifications physiques peuvent entretenir un rapport complexe a leur corps, et notamment a leur poids. En effet, « le corps adolescent crée une rupture, une surprise » (Marty, 2010, p. 42) et cette pre occupation rencontre avec la maladie chronique un e cho singulier (Alvin

et al., 2003). Dans le cas du DT1, la gestion du poids peut, en effet, constituer une pre occupation

d’autant plus marque e et proble matique qu’une prise ponde rale est fre quemment associe e au traitement par insuline (Larran aga, Docet, & Garcî a-Mayor, 2011). Ces constats expliquent alors pourquoi des manipulations des dosages d’insuline, avec des oublis ou des re ductions volontaires, visant une perte de poids, sont parfois observe es (Racicka & Bryn ska, 2015), et cela particulie rement chez les adolescentes (Rodin & Daneman, 1992 ; Neumark-Sztainer et al., 2002). Les jeunes filles apparaissent, en effet, plus vulne rables face a cette proble matique et les troubles alimentaires sont plus fre quents chez les adolescentes diabe tiques que chez les non diabe tiques (Jones, Lawson, Daneman, Olmsted, & Rodin, 2000) avec, plus pre cise ment, plus de cas de boulimie, mais pas d’anorexie (Mannucci et al., 2005). Striegel-Moore (1995) reprend le constat d’une vulne rabilite plus marque e chez les jeunes filles face aux troubles de l’alimentation, et avance des facteurs psychosociaux pour en expliquer l’origine. Il souligne la place du genre dans la construction identitaire d’une part, et le ro le des ste re otypes fe minins d’autre part. Il rappelle ainsi que les filles, de s leur plus jeune a ge, sont soumises a des injonctions strictes de beaute . Ces

18 Plusieurs termes sont utilise s dans la litte rature pour e voquer les proble matiques lie es a l’alimentation. Afin de

clarifier le propos, les deux termes sont utilise s tels qu’ils ont e te de crits par Racicka et Bryn ska (2015) : les troubles

de l’alimentation : qui correspond aux de finitions propose es par le DSM-518 et la ICD-1018 et incluent tous les

de sordres alimentaires persistants qui conduisent a modifier les quantite s de nourritures prises et absorbe es ; dont les troubles les plus connus sont l’anorexie, la boulimie ou l’hyperphagie boulimique. Les troubles des conduites

alimentaires : qui renvoie a des modes d’alimentation « perturbe es » mais ne correspondant pas aux crite res

dernie res seraient exacerbe es a l’adolescence avec non seulement une accentuation des ro les sociaux normatifs, mais e galement les de buts de la vie amoureuse. Aussi, les jeunes adolescentes seraient plus a risques d’une insatisfaction corporelle, ce qui a notamment e te confirme , a cet a ge, aupre s des filles ayant un DT1 comparativement aux garçons (Philippi et al., 2013). Toutefois, si la proble matique lie e a l’insatisfaction corporelle semble particulie rement pre gnante chez les filles, les garçons n’en sont pas exclus (Alvin et al., 2003).

Ces re sultats doivent cependant e tre nuance s car le diabe te implique un traitement en partie base sur l’alimentation et donc une centration particulie re sur cette question (Racicka & Bryn ska, 2015). Les particularite s de cette prise en charge ne sont pas toujours adapte es aux outils traditionnellement utilise s pour la mesure de ces troubles, ce qui peut biaiser les re sultats et conduire a des erreurs d’interpre tation. En effet, la gestion de la maladie et l’adaptation au traitement par insuline impliquent des comportements alimentaires spe cifiques (par exemple, manger en dehors des repas) qui ne doivent pas e tre conside re s comme des troubles alimentaires (Ba chle et al., 2013). Dans leur me ta-analyse, Young et collaborateurs (2013) en viennent a la conclusion que si l’on tient compte de ces spe cificite s, les troubles alimentaires et des conduites alimentaires sont effectivement plus fre quents chez les adolescents diabe tiques que chez les non diabe tiques, mais de façon non significative. Malgre cette limite, le rapport a l’alimentation chez les adolescents diabe tiques a fait, comme nous venons de le voir, l’objet de nombreuses e tudes qui soulignent tout de me me les spe cificite s de cette proble matique au sein de cette population.

Par ailleurs, les changements hormonaux qui marquent la puberte (INSERM, 2013), notamment au travers de la prise de poids et de l’insulinore sistance physiologique peuvent perturber un diabe te jusqu’alors bien e quilibre (Rouget, 2014). Les modifications hormonales perturbent l’e quilibre glyce mique de façon parfois difficilement contro lable. En effet, la puberte marque aussi le de but d’une diminution de la sensibilite a l’insuline (Kelly, Lane, Weigensberg, Toledo-Corral, & Goran, 2011) et cette perturbation de l’action de l’insuline combine e aux effets de la puberte peuvent expliquer la difficulte du maintien d’un bon e quilibre glyce mique a l’adolescence (Amiel, Sherwin, Simonson, Lauritano, & Tamborlane, 1986). Ainsi, me me un adolescent tre s observant par rapport a son traitement peut connaî tre des de se quilibres glyce miques inexplique s. A cela s’ajoute que la possibilite d’obtenir un diabe te bien e quilibre est variable selon les individus du fait de diffe rences purement physiologiques. Rouget (2014) insiste

alors sur les conse quences psychologiques de ces observations qui peuvent induire un sentiment de de couragement chez les adolescents, qui, malgre leurs efforts ne rencontrent pas les re sultats espe re s, voire une suspicion des parents quant a leur bonne observance.

En re sume , la prise en charge induit des contraintes et des craintes qui peuvent entrer en contradiction avec les de sirs de liberte et d’expe rimentation qui caracte risent l’adolescence. Enfin, nous avons pu souligner que l’insuline, dont l’apport reste vital, voit son action entrave e par les modifications hormonales qui apparaissent a la puberte et que des manipulations volontaires de traitement sont parfois observe es. La prise en charge du diabe te a cette pe riode doit alors allier au mieux les exigences de la maladie et les besoins spe cifiques a l’adolescence (Jacquin, 2005).