• Aucun résultat trouvé

Une « extension » de la théorie de l’acteur-réseau, dans ses développements sur la traduction, va également nous intéresser dans la démarche d’analyse : la concertation. Pour Beuret (2006), la concertation est « un processus de construction

collective d’une innovation sociale, portée par un réseau, dont la consolidation et l’élargissement déterminent le succès.» C’est en partie sur la notion de réseau que

III Cadre théorique : Analyse organisationnelle d’un territoire partagé

ces deux théories se rejoignent : « Tout processus d’innovation met en jeu

l’élaboration d’un réseau qui porte un projet d’innovation : plus ce réseau sera solide, plus l’innovation aura de chances de s’imposer » (Beuret, 2006, P. 229). La

concertation est bien à concevoir ici comme processus d’innovation sociale. Mounet (2007) fait également le lien entre la notion de traducteur et les médiateurs pouvant exister dans un processus de concertation : l’animateur de la concertation incarne le traducteur au sens des sociologues de l’innovation et produit une « traduction », un mouvement qui vise à « établir un lien intelligible entre des activités

hétérogènes » (Calon et Latour, 1991). Le traducteur va, dans une démarche de

concertation, chercher à rapprocher, relier, assembler un réseau.

Pour Beuret, la concertation se base sur un dialogue, un réseau de type horizontal avec pour objectif la construction d’une vision commune, issue des croisements d’intérêts pouvant être initialement divergents ou du moins pas nécessairement convergents.« Il n’y a pas obligatoirement de partage du pouvoir de décision entre

les participants et la décision n’est pas l’objectif premier de la concertation, dont l’intérêt réside avant tout dans le fait de construire ensemble des objets communs

» (Beuret, 2006, p.271). Elle peut utiliser des modalités diverses : dialogue, négociation, médiation, etc. Elle n’est cependant pas une volonté de persuader certains acteurs du bien-fondé d’un projet ou une simple consultation servant à recueillir des avis. Pour cet auteur, la concertation s’oppose à la consultation car, dans ce dernier espace de dialogue, le jeu des acteurs, au sens de Friedberg, est faussé puisqu’il se trouve limité à ceux qui participent à la procédure qu’ils soient opposants ou pas.

La concertation peut être une modalité à envisager pour gérer les formes transmodernes (Corneloup, 2011) des pratiques sportives de nature mais également d’autres activités. Pour Beuret (2006), la « gestion de bien d’environnement soumis

à des usages concurrents suppose bien souvent une concertation associant les usagers et les gestionnaires ». En effet, la formulation d’un « problème » commun

III Cadre théorique : Analyse organisationnelle d’un territoire partagé

peut contribuer à la construction d’outils d’intervention pour accompagner les acteurs vers l’élaboration d’un consensus socio-politique du développement local et la création d’un « système culturel localisé » (Corneloup, 2009). Le lien avec la théorie de l’acteur-réseau apparaît ici à nouveau avec de possibles nouvelles manières de pratiquer « la gestion des territoires et des filières et des pratiques ». « L’enjeu est de produire de la traduction au sens de Callon (2006) » pour « élaborer

un système d’action culturel accepté et débattu » (Corneloup, 2011). Cette forme

de « constructivisme territorial » évoqué par Corneloup, certes « toujours fragile et

dépendant des contextes spécifiques à chaque territoire », est une voie possible

pour la« construction d’une intelligence collective qui permettra à un territoire de

projet d’émerger » (Corneloup et Perrin, 2009). Une démarche d’analyse

organisationnelle peut donc également être complétée par l’analyse de ce marquage culturel territorial et des possibles modalités de concertation mises en œuvre sur un territoire.

Mounet (2007) présente la concertation comme une modalité des politiques de gestion intégrée permettant des « jeux à somme positive » au sens de Friedberg. Dans cette optique, cet auteur positionne l’espace, le site de pratique sportive notamment, comme un actant au sens de Latour et Callon. Dans une volonté de concertation, la prise en compte de l’espace et de son histoire, du patrimoine territorial au sens élargi, semble avoir toute son importance pour une démarche d’analyse.

Beuret (2006) a tenté de catégoriser les différentes formes de traduction. Il distingue :

- la traduction scientifique qui va du réel vers les acteurs et dont le triple objectif est de faire parler les actants (expertise et vulgarisation), de faire parler les interactions (audit patrimonial) et de faire parler l’avenir (prospective). Ce type de traduction permet, selon lui, de comprendre les phénomènes naturels ou induits par l’homme mais aussi de « donner plus

III Cadre théorique : Analyse organisationnelle d’un territoire partagé

d’acuité au regard de chacun et [de] doter le collectif de nouveaux outils de compréhension et de construction de propositions . Dans ce cadre,

l’exploration du passé peut parfois permettre « d’expliciter les déterminants

historiques de la situation mise en débat » mais, la phase de traduction est

alors nécessaire car la « mémoire collective peut être confuse, parfois

déformante et sélective.»

- la traduction croisée qui permet de projeter un miroir du collectif et de faciliter à la fois le dialogue et la construction d’accords. Il s’agit ici de faciliter la légitimation d’acteurs clés autant que l’accès à tous de l’espace du dialogue.

- la traduction institutionnelle qui est conçue comme une aide à la décision, un appui technique et une forme d’ingénierie de projets. Elle nécessite parfois le transfert de compétences nécessaires à la gestion de l’accord.

Selon Beuret (2006), pour un fonctionnement optimal d’une organisation, il faut que les trois types de traduction existent, assumés par un ou plusieurs traducteurs. Alors qu’en 2007, Mounet terminait son article en précisant qu’il était « encore bien

difficile de trancher définitivement en terme d’efficacité entre autorité et concertation », d’autres auteurs ont cependant depuis exposé tout l’intérêt que

pouvaient avoir les différentes déclinaisons de la concertation (médiation, dialogue, etc.). Depuis 2011, un « baromètre de la concertation et de la décision publique », sondage produit par Havas, est publié. Les chiffres parlent d’eux-mêmes puisque selon les Français interrogés dans ce sondage en 2016, la concertation « améliore la

transparence de l’action publique (68 %), rend les décisions publiques plus efficaces (64 %), permet aux citoyens de contrôler les élus (55 %) et améliore la gestion des dépenses publiques (52 %) ». Si dans la réalité/sur le terrain, ces modalités sont

encore peu développées c’est peut-être aussi qu’il est nécessaire de mettre en place une « appropriation progressive d’une nouvelle façon de concevoir et d’agir l’action

III Cadre théorique : Analyse organisationnelle d’un territoire partagé

Sontag, Roux, Boutroy et Soulé (2012 ;2017) l’ont démontré en lien avec plusieurs types de sites de pratiques et plusieurs cas de résolution de conflit : les effets de la concertation sont positifs. Entendue alors comme une « politique locale qui s’appuie

sur un réseau étendu et diversifié d’acteurs dans une logique de gouvernance, et dont l’objet est d’introduire dans le débat des intérêts, parfois contradictoires, des acteurs impliqués dans un projet, afin d’en dégager une vision aussi partagée et consensuelle que possible » (Sontag, Roux, 2017), la concertation offre la possibilité

de dépasser les effets négatifs d’une régulation autoritaire avec un droit dur et de créer une dynamique bénéfique à la fois pour les acteurs, pour les politiques de développement et pour le respect de la réglementation issue de la concertation. Des concertations de « type préventif » (Roux, Boutroy, Soulé, 2012) sont « particulièrement adaptées à l’usage sportif des espaces naturels.» En ce sens, la concertation est une démarche innovante, à analyser dans le cadre de la sociologie de l’innovation, puisqu’elle favorise « l’émergence de méthodes innovantes de

management public et […] la réinterprétation et […] l’adaptation des outils juridiques classiques » (Roux et Sontag, 2013). Des limites peuvent cependant être

évoquées pour ce type de démarche. En effet, les textes issus de processus de concertation (charte, codes de bonne conduite, etc.) n’ont souvent pas de valeur juridique et peuvent être détournés par certains acteurs ayant eux-mêmes œuvré à leur réalisation. Un autre risque est évoqué, par Roux et Sontag (2013), peut venir de nouveaux usagers de l’espace qui transgressent la règle établie (« maximisation

de satisfaction individuelle ») pouvant amener à des règlementations autoritaires et

unilatérales qui vont alors figer, voire faire régresser, les démarches de concertation. Pour Roux et Sontag (2013), pour prévenir ces limites, il est nécessaire que la concertation dépasse le « droit mou » et soit traduite en « droit dur » afin de

« refléter le consensus atteint au terme de la concertation ».

Interroger les liens entre des pratiques co-existantes sur un même territoire, sous l’angle de l’analyse organisationnelle mais également de la sociologie de l’acteur- réseau et du prisme précis de la concertation, peut permettre de trouver des clés de compréhension et autant que d’action pour tous les acteurs engagés. L’approche de

III Cadre théorique : Analyse organisationnelle d’un territoire partagé

la sociologie de l’innovation, avec travaux de Latour et Callon, peut permettre d’approfondir l’analyse des processus de changement au cœur de ce territoire ainsi que des interactions socio-économiques. S’agissant d’analyser la gestion collective, actuelle autant que future, de la chose publique, la notion de concertation est intéressante également puisqu’elle peut permettre, temporairement, d’exclure du débat, les considérations uniquement marchandes des objets analysés. C’est donc bien dans une démarche de développement durable, qui ne met pas l’aspect économique au premier plan, qu’il faudrait œuvrer. Il s’agit bien, comme le précise Beuret (2006), d’une « construction collective d’institutions au sens économique du

terme, c’est-à-dire de règles, d’obligations, d’entités qui vont servir à réguler les rapports qu’entretiennent les agents économiques entre eux et avec le milieu naturel.»

4. L’analyse organisationnelle d’un territoire partagé

Nous venons de voir les principaux aspects de la théorie des organisations et de la théorie de l’acteur-réseau ainsi que de la concertation. Nous allons maintenant tenter de voir de manière plus concrète leur application possible dans notre double objet d’étude.