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C. Un espace littoral à fort potentiel conflictuel

III. Cadre théorique : analyse organisationnelle d’un territoire partagé

L’objectif de ce travail est de comprendre comment s’organise le partage d’un même territoire par des professionnels aux pratiques différentes, le nautisme et l’ostréiculture. Pour analyser ces organisations, nous prendrons comme terrain d’étude la baie de Quiberon.

Nous proposerons dans l’introduction un aperçu du cadre général afin de mettre en évidence les points essentiels à mettre en perspective avec la problématique. Il sera alors possible de développer le cadre théorique au fondement de notre réflexion tout au long de l’étude, d’une manière plus générale puis plus spécifiquement adapté à notre terrain d’étude. Ce questionnement de la problématique permettra de proposer des hypothèses qui seront étudiées dans la phase d’analyse.

1. Introduction

Comme nous l’avons évoqué dans la revue de littérature, il s’agit ici de croiser les questions posées par le développement touristique sur le littoral à celles que posent les enjeux de deux activités concurrentes en termes d’espace.

Le développement concomitant de ces activités professionnelles, qui sont liées entre elles par le dénominateur tourisme et concernées au premier plan par le dénominateur développement durable, est au cœur des problématiques de développement et d’attractivité du territoire.

Les enjeux sont donc nombreux autant que les limites pour ces activités économiques en développement sur un espace fragile et fragilisé. Parmi les enjeux les plus notables, il faut citer le développement durable à inscrire au cœur de toutes les pratiques, les enjeux politico-stratégique en termes notamment d’aménagement du littoral, l’innovation incessante et nécessaire dans les trois domaines d’activités, les conflits potentiels, etc. La problématique générale pour ces trois secteurs économiques étant : vivre du tourisme maîtrisé ou étouffer et abîmer encore plus le littoral.

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Ces changements au cœur des secteurs d’activités du territoire analysé nécessitent, notamment en tant que professionnel du nautisme engagé dans cet espace, une analyse rigoureuse pour comprendre les évolutions au cœur de ces organisations. Cette analyse du contexte de développement de ces activités mais également des relations qui se nouent entre acteurs est nécessaire puisque tous les acteurs partagent le même bien commun, celui qui est à la fois source d’approvisionnement, lieu de débouchés pour le produit des activités et la matrice socioculturelle (normes, règles, culture partagée).

Les concepts théorisés par E. Friedberg pour l’analyse de l’action organisée seront utilisés dans cette étude pour tenter de répondre à ces nombreuses interrogations. Développé par cet auteur dans Le Pouvoir et la Règle (1993), cette théorie s’inscrit dans le champ de la sociologie des organisations et fait suite aux travaux conjoints de cet auteur avec M. Crozier dans L’acteur et le système (1977).

Appliquée à notre travail, cette théorie permet de mettre en évidence les interactions entre acteurs d’un système et d’en expliquer les différentes stratégies développées.

La baie de Quiberon étant un espace touristique, utilisé comme tel par les deux activités professionnelles étudiées, cet espace doit être perçu comme un système au sein duquel des interactions se construisent en fonction des buts poursuivis et des jeux de rôles entre les différentes parties (Corneloup, Bouhaouala, Soulé, Vachée, 2001 ; Mounet, 2007b,). L’une des intentions de l’approche de l’action organisée de Friedberg est bien d’étudier les interactions entre acteurs d’un système et d’expliciter les stratégies développées pour arriver à leur fin.

Pour Mounet (2000), également, l’utilisation de la théorie de l’action organisée, et donc de l’étude des stratégies individuelles ou collectives des différents acteurs, est une manière appropriée pour analyser une organisation des sports de nature sur un territoire spécifique. Nous l’emploierons ici pour nous intéresser au nautisme. Cependant, son analyse peut tout à fait être déclinée pour l’organisation de l’activité ostréicole sur le territoire étudié. Ces analyses séparées s’enrichissent mutuellement

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puisque les activités des acteurs se croisent sur un même territoire de pratique. Il ne s’agit pas en effet ici d’étudier seulement l’organisation sportive du nautisme sur un territoire mais d’analyser les points de croisement de deux types d’organisation, l’une sportive et l’autre ostréicole, chacune ayant des enjeux et intérêts parfois différents, parfois convergents.

L’analyse de chaque contexte d’action (nautisme et ostréiculture) ouvre une possibilité pour comprendre comment ils s’articulent entre eux et pour percevoir comment est organisé ce partage d’un même territoire par des activités qu’à priori tout oppose. Ces contextes d’action indépendants s’articulent (Perrin et Mounet, 2009) autour d’un jeu de pouvoir qui est le partage concurrentiel d’un même espace pour des pratiques professionnelles différentes.

Cependant, la simple superposition des analyses de ces contextes d’action ne semble pas suffisante puisque les activités sont par nature différentes. La coexistence de systèmes peut être ici abordée via l’analyse proposée par Latour dans la théorie de l’acteur-réseau (ANT), qui étudie une société « en train de se faire.» L’approche sociologique, développée par Callon et Latour, en lien avec la théorie des organisations, permet d’approfondir la compréhension dans les processus de changement à l’œuvre sur ce territoire et dans chacun des secteurs étudiés.

Cette approche complémentaire du réseau permet à la fois de voir l’articulation entre les organisations au cœur de ces deux pratiques professionnelles mais également les interconnexions entre acteurs et actants non humains à la fois dans chaque organisation et dans le croisement de celles-ci. Les professionnels, étudiés ici, « participent naturellement en même temps à une pluralité de systèmes

d’action » (Friedberg, 1993) : au sein de leur propre réseau professionnel, formalisé

ou non, mais également à l’intersection des deux réseaux professionnels.

La première partie présentera donc le cadre théorique utilisé pour cette étude, c’est-à-dire l’analyse organisationnelle au sens élargi : celui de Friedberg et de Latour et Callon. Les aspects généraux et les points clés de l’approche de Friedberg

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seront développés et complétés par les apports de la sociologie de la traduction. Nous expliciterons ensuite comment ces théories vont nous permettre de mener à bien notre analyse. En raison du croisement avec le champ d’analyse du tourisme, la méthode développée par Perrin et Mounet (2009), des quatre points d’analyse de l’organisation d’un sport de nature sur un territoire, est intéressante et peut se décliner avec le champ de l’ostréiculture.

2. La théorie des organisations

Afin d’expliquer en quoi l’approche organisationnelle peut nous servir de méthode d’analyse, il est essentiel de définir les notions clés théorisées par Friedberg qui seront ensuite utilisées dans notre étude. Les outils conceptuels développés par Crozier et Friedberg (acteur, pouvoir, incertitude, système) sont les piliers de l'analyse stratégique permettant de saisir le fonctionnement des organisations et d'analyser l'action collective et le changement social. L'organisation n'est pas une « donnée naturelle » mais un « construit social » ; il faut en étudier les enjeux, les intérêts, les règles du jeu et comprendre les stratégies développées par les acteurs (individus non passifs).

A. « L’organisation est un construit humain »

L’organisation, en tant que facteur de développement des sociétés, est un concept permettant d’unifier des objets empiriques très divers. Pour Crozier et Friedberg (1977), c’est « un construit social dont l’existence pose problème et dont

il reste à expliquer les conditions d’émergence et de maintien ».

Le fonctionnement des organisations permet de comprendre les interactions entre les contraintes sociales et les libertés individuelles, entre les dynamiques de coopération et de conflit (ou de simple cohabitation), les phénomènes de domination et de pouvoir. Une organisation est une articulation entre des acteurs libres de leurs choix mais se soumettant également à des contraintes et l’existence de systèmes organisés et cohérents dans le but de réaliser certains objectifs. Dans cette approche,

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les hommes sont donc des acteurs stratégiques car ils ont des intentions et cherchent à réaliser des objectifs qu’ils se sont assignés.

Il est possible de déterminer des caractéristiques nécessaires à l’existence d’une organisation. Il y a organisation quand il existe une intentionnalité : l’organisation, c’est une raison d’être avec un but. Il y a organisation quand cette dernière est un centre de décision sur un projet à mener ou sur des règles structurantes pour établir des relations internes ou externes. Il y a organisation quand il y a adhésion volontaire des participants. Il y a organisation quand il existe une « machine informationnelle » avec la nécessité de traiter autant que de produire de l’information. Il y a organisation enfin quand il y a une ouverture sur l’extérieur. L’organisation est « construit humain qui n’a pas de sens en dehors des rapports de ses membres » mais ce « construit humain » est par conséquent en changement permanent. L'organisation ne fonctionne donc pas comme un corps humain, il n'y a jamais d’adaptations naturelles, celles-ci sont toujours construites. L'ensemble de ce construit en ajustement permanent constitue le « système d'action concret ».