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Carte 7 : la cohabitation des activités ostréicoles et des activités nautiques

D. Des pratiques professionnelles en constante évolution

La seule approche de l’action collective de Friedberg n’est pas suffisante pour analyser l’organisation d’un site. « La théorie de l’acteur-réseau (ANT) est une

alternative intéressante pour penser l’organisation des sports de nature en offrant une vision panoramique du fonctionnement des sites » (Rech, Mounet, 2014).

V Analyse des données

Egalement parce que cette théorie propose aussi une « analyse dynamique du social

en se focalisant sur les changements, les innovations, et la manière dont ces évolutions se structurent en réseau socio-techniques ». Dans les domaines d’analyse

qui nous intéressent « la question de l’évolution permanente […] est au centre des

problèmes de gestion que posent ces activités ». Ce rappel nous semble essentiel

tout autant que l’analyse, via les entretiens, de la perception de ces évolutions par les acteurs eux-mêmes ainsi que des incidences collatérales.

a. Chez les ostréiculteurs : évolution technologique et évolution commerciale

Dans ce secteur d’activité, la modernisation des outils de travail implique un avantage considérable pour notre analyse, à savoir moins de bouées : « on a

tendance à mettre beaucoup moins [de bouées] comme tu as tout tracé sur ton ordinateur […] c’est un outil extraordinaire » (GK). Les avantages sont réels pour

l’ostréiculteur : moins de manipulation technique, de calculs, de perte en cas de fort coup de vent et par conséquent plus pratique pour la navigation aussi. Cependant, les bouées de captage resteront toujours nécessaires même si, comme en ont bien conscience les ostréiculteurs, elles peuvent « gêner plaisance et professionnels » (GK). Ces ostréiculteurs sont conscients des dangers que cela représente et l’image employée est forte : « c’est un champ de mines » (expression qui revient deux fois chez des ostréiculteurs : NC et GK). Ils sont cependant impuissants face aux nécessités techniques et obligatoires pour ne pas perdre les zones de captage (coût) et impuissants également face aux pratiquants inconscients : « il y a des planches à

voile qui passent dedans même s’ils les voient. Ca peut être dangereux car tu prends ta dérive dedans » (GK). Ils tentent de limiter les risques : « encore nous on met des bouts coulants forcément, autrement c’est trop dangereux, autrement tu prends ça dans ton hélice » (GK).

Comme nous l’avons évoqué dans la partie précédente, les prédateurs de l’huître évoluent au fils des années et des saisons. Cela oblige sans cesse les ostréiculteurs à

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faire preuve d’ingéniosité, d’essais pour lutter contre ceux-ci. Le dernier développement en date est la mise au point en collaboration, avec une société privée et le CRC, d’un « effaroucheur » pour éloigner les daurades. En émettant des sons à des fréquences particulières, cela les fait fuir, sans pour autant éloigner les autres espèces. Cette réponse technologique, si ses développements sont concluants et accessibles financièrement, aurait un double effet : éviter des coûts extrêmement importants pour les ostréiculteurs en n’ayant plus besoin de mettre des filets de protection autours de leurs parcs d’élevage d’huîtres creuses (un ostréiculteur interrogé fait mettre des filets autour de ses parcs par un prestataire pour 20 000 € minimum) et faire disparaître un nombre important de bouées, ce qui par voie de conséquence faciliterait la navigation.

Les évolutions commerciales observées chez les ostréiculteurs sont liées à l’histoire de cette activité et à la nécessité de se développer, imposée par l’incertitude caractéristique de la profession. L’ostréiculture en Morbihan a, en effet, en partie survécu grâce au tourisme. GK a tenu un restaurant pendant dix-sept ans « quand on

a tout perdu dans les plates » (due à l’épizootie des années 80 : bonamia).

L’évolution économique était de fait imposée : « il a bien fallu penser à une

reconversion éventuelle »(GK). Les ostréiculteurs en baie de Quiberon sont

conscients donc d’avoir pu et de pouvoir encore bénéficier, pour palier aux épizooties et à la mortalité, du facteur tourisme qui n’est pas aussi marqué dans d’autres régions : « c’est une bonne chose, on a la chance d’avoir un secteur

extrêmement porteur on ne peut pas le négliger » (MLJ). Nombreux sont ceux qui

ont désormais pu ouvrir, si leur chantier le permettait, de la vente directe et surtout des dégustations pour le grand public. La vente directe constitue un atout notable pour les ostréiculteurs : « c’est de la marchandise en moins quand on est tous sur

les marchés en décembre et voilà elles sont déjà vendues. C’est un cycle court, c’est très bien, je n’y vois aucun inconvénient, bien au contraire » (MLJ). Les dégustations

sont tout aussi importantes : « L’attrait touristique on a compris avec les

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Pour les dégustations, qui sont « une manne très importante, c’est vital » (GK), certains rivalisent même d’ingéniosité et d’idées marketing pour séduire les touristes autant que les locaux : « ils ont raison, ça marche, il y a une demande les touristes

sont accro à ce genre de chose » (MLJ). Même les professionnels du nautisme sont

conscients de ce développement économique : « regarde le nombre de dégustation

d’huitres ouvertes ces dix dernières années, elles font le plein avec [les

touristes] »(SM). Leur ingéniosité est parfois plus rapide que les demandes règlementaires d’occupation du territoire maritime pour des activités commerciales nouvelles, mais cette observation est également valable pour d’autres activités dans les stations balnéaires (terrasse de café « improvisée » pour une saison).

b. Dans le secteur du nautisme

Dans ce domaine, les évolutions sont à la fois sectorielles et liées à la diversification des pratiques et des supports.

Certains professionnels se sont spécialisés dans un support d’activité, par nécessité autant que volonté. Chez Saint Co Windsurf, l’arrivée du paddle a permis de trouver une solution pour les journées peu ventées : « on a été les premiers à proposer les

paddle dans la baie au début tout le monde nous a regardé d’un air, [… la

médiatisation] a engendré une émulation énorme, ça nous a permis déjà de

souffler » (AH). Le support, accessible à un très grand public sans connaissance ou

compétence particulière, a permis également d’élargir la clientèle. Dans le même temps, les responsables de cette structure ont également souhaité se spécialiser « dans la location de matériel de haut de gamme » : « on est peut être une dizaine

à faire ça en France ». Innovation, démocratisation et segmentation, évoquées dans

le cadre général, se retrouvent ici illustrées dans un cas concret. D’autres acteurs interrogés font ressortir des caractéristiques d’évolution sectorielle de ce marché fortement concurrentiel. La diversification des offres est une réalité et une nécessité : « on tend de développer au plus que ce soit de la clientèle de passage ou

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sorties kayak paddle, on essaie de se diversifier » (TG). D’autres sont conscients de

la nécessité de monter en qualité dans les prestations proposées afin d’être plus attractif : « on a l’impression que le numérus closus des écoles est atteint.

Maintenant qu’on a ça il va falloir continuer à avoir une qualité d’accueil qui va être élevée, avoir des prestations qui correspondent aux gens qui viennent » (EF).

Tous les professionnels du nautisme constatent également un changement dans les pratiques, voire dans les mentalités, en même temps qu’une réelle démocratisation et une massification consécutive : « clairement j’ai l’impression qu’en terme de

bateaux et nombre de pratiquants c’est en constante progression, il y a de plus en plus de pratiquants dans les sports nautiques » (TG).

Alors qu’autrefois les propriétaires d’habitables attendaient pendant des années une place au port pour faciliter l’usage, les pratiques ont évoluées : « avant n’importe

quelle famille avait son petit bateau, la culture change, ils n’ont plus forcément envie de se faire chier avec leur propre bateau […], tu vois les mecs vont préférer louer plutôt que de se faire chier avec un anti fouling» ou une place en port, ou

« une mise à l’eau compliquée » (SM). Cet acteur y voit une explication sur le développement prépondérant du moteur sur la voile. Pour lui, « il y a de plus en plus

de structures qui font du moto nautisme parce que c’est pratique, n’importe qui peut le faire » (SM). « Les gens s’orientent aujourd’hui plus facilement sur la location pour des raisons de simplicité de coût à l’année » (TG). Les nouveaux

supports risquent également d’induire de nouvelles pratiques sportives autant que pédagogiques, commerciales et marketing : « [le foil] ça redéfinit tout parce que ça

redéfinit notre façon d’enseigner, ça redéfinit les zones d’évolution, le aspects sécuritaires […] après plus un aspect commercial ; comment vendre des produits

[sans] forcément un stage du lundi au vendredi […] peut être des alertes qu’il faut

mettre, des systèmes autres que ce que l’on fait dans nos écoles ? » (EF). Le lien

avec l’innovation est constant dans ce domaine.

Dans le secteur du nautisme, les évolutions les plus marquantes sont en effet liées aux innovations technologiques. Celles concernant la sécurité sont évidentes : l’utilisation des radios ou talkies-walkies lors des cours en kite surf est une nécessité

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imposée par le support mais également par la formation, qualifiée de lourde par un encadrant (TR). Les plus marquantes sont sans doute encore à venir, notamment avec la démocratisation des foils et tout de suite, tous les acteurs du nautisme évoquent « la question de sécurité qui [les] interpelle[nt] un peu plus » (FP). Avec cette évolution technologique, « c’est surtout que le niveau de la technicité a

beaucoup évolué » (TG) : « on arrive pas du jour au lendemain à voler sauf support exceptionnel. D’une manière générale se sont des personnes très aguerries quand elles commencent le foil » (TG). Le danger est réel avec le foil pour le pratiquant :

« le problème en foil c’est la catapulte à pleine vitesse ça va très vite et quand les

gens tombent en avant sur le matériel… » (TR)

Les obstacles à la navigation, que constituent les bouées, risquent à l’avenir, avec le développement de ces nouvelles pratiques nautiques aidées par des évolutions technologiques considérables comme le foil, de devenir vraiment problématiques : « pour le foil, les bouées ce n’est jamais bon » (TG). Que peut-on imaginer pour un support à foil piloter par un pratiquant novice et ne connaissant pas la baie de Quiberon ? Les professionnels du nautisme relativisent en restant optimistes sur le fait que, même si la démocratisation est réelle, « avec le foil on ne navigue pas

n’importe comment.» (TG) Ces problèmes restent certes hypothétiques mais la

démocratisation des pratiques et des supports risque de poser problème à l’avenir : « des bateaux, des catamarans, des petits dériveurs. Aujourd’hui tout vole.» (TG) Les acteurs professionnels du nautisme le constatent déjà et interviennent parfois dans ce sens : « tout ce qui n’est pas encadré avec le camping de proximité, les gens

qui n’ont pas une culture du nautisme très pointue, on est vite contraint de faire la sécurisation du plan d’eau malgré nous » (EF).

Nous retrouvons ici la permanence de l’analyse de Mounet et Rech (2014) : « La

question de l’évolution permanente des sports de nature est au centre des problèmes de gestion que posent ces activités, car l’équilibre qui peut être trouvé en terme de régulation des pratiques par les gestionnaires est régulièrement mis à

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mal par ces innovations ». Quelle règlementation sera imposée par les gestionnaires

ou institutions en cas d’accident ? Quel sera le degré de respect de cette règlementation par des pratiquants, en grande partie non « organisés », et à qui l’on aura imposé, sans concertation, un « droit dur » (Roux, Sontag, 2013).

La créativité et l’innovation sont à la fois une nécessité et un terreau pour un développement durable, pensé, maîtrisé des pratiques professionnelles de ces deux domaines qui ne s’opposent pas toujours. Les évolutions technologiques actuelles au cœur du nautisme sont nécessaires à son développement mais risquent de poser des problèmes accrus face à la démocratisation des pratiques. L’incertitude est une notion au cœur du métier ostréicole. Les évolutions technologiques dans les pratiques professionnelles ostréicoles sont là pour répondre aux problèmes de la profession (maladies, etc.) mais pourront, peut-être aussi à l’avenir avoir un impact sur le nautisme. De nouvelles méthodes de culture pourraient éliminer l’actant problématique actuel que constituent « les champs de bouées ». Ces « zones

d’incertitude » alimentent donc le « jeu des acteurs ». Or « ce qui est incertitude du point de vue des problèmes est pouvoir du point de vue des acteurs » (Crozier et

Friedberg, 1977, p. 24). Il importe donc de réduire ces jeux de pouvoirs. La vigilance accrue sur l’action commune au sein d’un réseau constitué entre acteurs partageant un même territoire est souhaitable tout autant que la transparence.

E. Développement touristique et développement durable : des