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Ce territoire est totalement investi par les pratiquants et selon des modalités multiples. L’analyse de cet engagement influence l’environnement et les relations entre les acteurs. « De multiples modalités de pratique se développent ainsi au cœur

d’une nature extrêmement diverse» (Bessy et Mouton, 2004). L’espace naturel est

source de loisirs autant que de pratiques professionnelles à visée économique : « la

nature est instrumentalisée et se distingue par la présence de fortes potentialités commerciales en terme d'attractivité pour la clientèle.» (Bouhaouala, Corneloup,

Soulé et Vachée, 2001). Dans le domaine du nautisme, là encore, les atouts du territoire sont une évidence pour les acteurs : « c’est unique pour les sports

nautiques, tu peux tout faire » (TR). Un acteur du nautisme le précise en termes

plus techniques : « on a là un espace qui n’a pratiquement pas d’équivalent. Puisque

dans une même séance, c’est lié à des considérations techniques, […] on peut faire quatre types de navigation différente » (PN). Le constat est le même pour la chargée

de mission tourisme à AQTA : « le nautisme devient un facteur d’attractivité du

territoire en terme d’image » (VG). Sur le territoire, 150 entreprises en lien avec le

nautisme (toutes catégories confondues) sont dénombrées et sont créatrices de 750 emplois.

En 2016 (source SOFRES), 28 % des visiteurs ont été sur l’eau en Bretagne dont 10 % qui ont pratiqué une activité nautique. Alors que 60 % des Français évoquent leur envie d’aller sur l’eau, la marge de progression possible pour le tourisme nautique constitue donc une réelle opportunité de développement économique pour le territoire (à titre de comparaison, 50 % des touristes qui vont au ski font du ski). La mer, et les activités nautiques qui lui sont liées, c’est la porte d’entrée promotionnelle et touristique du territoire d’AQTA. Dans cette « carte postale » idéale, le nautisme a toute sa place : « je ne suis pas un spécialiste du tourisme, je

ne vois pas ce qu’on pourrait venir faire en baie de Quiberon si on ne va pas sur les îles. Une fois qu’on a mangé le midi, qu’on s’est baigné, il y a forcément un moment donné l’attrait de l’activité nautique qui arrive par-dessus » (EF).

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Mais c’est aussi le support de plusieurs économies de territoires qui font vivre les hommes autour de plusieurs usages : conchyliculture et pêche, sports et loisirs, tourisme et balnéarité.

L’enjeu qui ressort est donc celui d’une harmonie d’usages souhaitable et souhaitée et, dans cette optique, le tourisme peut être le point d’intérêt dans lequel toutes les économies liées à la mer se retrouvent. La mise en tourisme est d’autant plus à concevoir comme un levier de croissance économique réel pour les professionnels puisque 90% d’entre eux sont des TPE. L’analyse du poids économique du nautisme sur le territoire est un des objectifs assignés à la chargée de mission tourisme d’AQTA. L’enquête est actuellement en cours. Certains acteurs du secteur nautique tentent par eux-mêmes de démontrer l’impact économique réel de l’activité : dans une note interne que nous a communiquée le président de la SNT, lors d’une rencontre dans le cadre de notre stage, la valeur estimative de 2,2 M d’euros est annoncée pour estimer les retombées directes des régates organisées par cette association sur l’économie de la Trinité et des communes avoisinantes, uniquement en termes de dépenses de séjour. Il s’agit juste de données extraites à partir d’un sondage auprès des participants aux régates mais les chiffres autant que la démarche sont significatifs du poids du tourisme nautique. Alors que les chiffres parlent, le président de la SNT regrette que ce potentiel ne soit pas plus affiché. Alors que Lorient et la Sellor ont mis en exergue l’atout nautique, aucun panneau routier, aucune publication touristique officielle ne met en valeur, Saint-Pierre-Quiberon, pour l’ENVSN, ou La Trinité, pour la course au large, comme hauts lieux nautiques alors que les plus grands noms actuels vivent, pratiquent et évoluent dans ces communes.

La baie de Quiberon est un plan d’eau unique : « par sa nature, pas de contraintes.

Du fait qu’il y ait peu de contraintes peut-être qu’il y a beaucoup de personnes qui veulent l’utiliser et sur certains temps il me semble qu’il y ait des difficultés à trouver des zones de mouillage » (EF). Malgré ces atouts, le tourisme nautique peine

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à se développer de manière optimale et raisonnée. Deux aspects seraient à donc développer, en plus des enjeux économiques du développement du tourisme nautique.

Le premier concerne la visibilité des activités nautiques et leur utilisation marketing. Alors que la baie de Quiberon est un site exceptionnel : « avec les îles en face, c’est

juste un territoire exceptionnel la baie, avec l’océan pour le surf et les vagues en planches » (AH),« un lieu génial avec les îles, Belle-île, Houat, Hoedic […],unique »

(TG), le manque de visibilité du nautisme est réel autant pour les professionnels que pour le tourisme. Les professionnels du nautisme en sont conscients pour beaucoup : « on a l’impression que notre sport est confiné et réservé à une élite et c’est un

vrai problème » (FP), il n’y a en effet « pas de spectacle pour les spectateurs et c’est quand même dommage parce que aujourd’hui la voile et le kite un peu plus c’est plus en départ de plage comme le wind surf, les compétitions sont toujours loin du bord jusqu’à deux mille et des fois on voit rien, on se demande ce qui se passe et c’est dommage pour le spectateur que ça soit pas plus près des côtes» (PR).

Concernant les régates, les règles sont en soit parfois difficiles à comprendre contrairement à d’autres activités sportives « comme une course dans une piscine où

on voit le premier, on voit le dernier » (FP), mais il existe un réel potentiel à

développer sur cet aspect. L’image du territoire, en termes de marketing nautique, reste à construire. Certes il est nécessaire de prendre en compte les spécificités de la baie pour imaginer ces développement de manière réaliste : « on pourrait rêver

d’un stade nautique avec des tribunes et des bateaux immédiatement sous la vue du public mais ça c’est difficile à réaliser, c’est le marnage, la marée » (PN) mais

des actions événementielles sont à imaginer autant pour les touristes que pour la population locale, à qui l’on offrirait alors une entrée pour une appropriation culturelle du territoire autant qu’un moyen supplémentaire de dynamiser l’économie locale : une médiatisation supplémentaire du sport nautique peut notamment avoir des conséquences en terme de fréquentation à l’année dans les écoles de sport des clubs nautiques.

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Le deuxième point concerne les pratiques nautiques en développement. Les institutions autant que les professionnels ont peu la main sur les pratiques libres non encadrées. Or le développement très important de ces dernières dans le nautisme, du simple paddle à l’habitable, a des conséquences dans un domaine essentiel : la sécurité. Le constat du développement de ces pratiques est fait par les professionnels : « il y a plus d’écoles, plus d’activités nautiques, ça c’est beaucoup

développé » (AH). Certains ont conscience des possibles dangers liés à ces pratiques

parfois non maîtrisées : « Les gens qui vont sur l’eau estiment cela comme un espace

de liberté et c’est vrai qu’il y a des règles de priorité et tout ça mais quand on est sur l’eau on en est pas encore là. On forme des gens au permis côtier, ce qu’on apprend en théorie et ce qu’on rencontre sur l’eau, alors qu’on fait de la pratique, il y a des fois une sacrée marge et les candidats ouvrent de grands yeux » (FP). Les

supports en vente ou accès libre ne signifient pas que les usagers les maîtrisent, d’autant plus que le terrain de pratique, la baie avec ses courants, ses parcs et ses particularités météorologiques, n’est pas toujours connue des néophytes : « on se

retrouve quelquefois avec des engins mis à l’eau sans discernement » (PN). Les

innovations technologiques actuelles dans le nautisme, notamment le développement des foils, risquent d’augmenter le facteur dangerosité pour les pratiquants libres mais également les professionnels. Parmi ces derniers, tous sont d’accord sur l’intérêt de ces nouveautés, en terme de pratique autant que de visibilité du nautisme : « il y a un potentiel énorme à développer notamment pour

les foils, c’est une sacré opportunité, parce que c’est un plan d’eau protégé» (TG).

Cet aspect non structuré du nautisme peut être une source d’imprévisibilité. Les prestataires privés, considérés comme des acteurs isolés, rajoutés aux pratiques individuelles autogérées et inorganisées constituent ensemble des « zones

d’incertitude », qui peuvent alimenter le « jeu des acteurs ». Les professionnels du

nautisme ont donc ici un rôle à jouer. Certains acteurs en ont déjà conscience : « Nous on a intérêt à faire de la prévention par rapport à tout ça. N’importe qui

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pas de permis » (FP) et équipent « les gens avec des capes, des gilets pour les impacts, le gilet de sauvetage obligatoire» (AH).

Cette lecture croisée « transmoderne » de l’ostréiculture et du nautisme (Corneloup, 2011) permet de chercher à favoriser les pratiques transculturelles fondées autant sur ce qui rapproche que sur ce qui éloigne. Cette approche de « circulation entre

pratiques culturelles » peut être un terreau favorable à l’innovation, inhérente à

chaque pratique professionnelle. Le croisement de ces trois domaines d’analyse permet de mettre en valeur « la part du patrimoine immatériel et matériel, des

ressources culturelles et des jeux socio-politiques autour desquels se définissent les identités territoriales et les logiques d’action des entrepreneurs » (Bouhaouala,

2002).

Le territoire, pensé comme un système touristique local (Marcelpoil et Perret, 1999), participe à structurer le ou les secteurs qui se développent sur les sites de pratique. Des effets territoriaux viennent ainsi bousculer la logique du marché par secteur de pratique. Les enjeux se compliquent évidemment lorsque plusieurs secteurs sont présents sur un même espace de pratique (pratiques libres, libres et payantes, encadrées sur parcours aménagé…). Dès lors se pose la question des liens existants entre les différents acteurs qui agissent sur un même territoire, permettant de définir l’espace commun partagé autour duquel se construit la régulation des échanges entre les différentes parties prenantes.

3. Une cohabitation de pratiques professionnelles problématique ?

Il s’agit ici d’analyser un jeu d’acteurs complexe. L’organisation sociale du jeu d’acteurs est liée à des formes anciennes, actuelles et à venir au cœur d’un développement entrepreneurial et territorial. Les différents acteurs vont se positionner différemment en fonction des enjeux sectoriels qui les concernent sur ce territoire. En fonction de leurs objectifs, ils établissent des stratégies qui leur permettent de conserver une autonomie importante ou, au contraire, de faire peser de l’incertitude sur les autres (Friedberg, 1993). Les interactions entre les deux

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secteurs d’activité sont également à analyser sous cet angle. Pour atteindre leurs objectifs, les différents acteurs ont parfois besoin de nouer des relations entre eux, et d’interagir avec ceux qu’ils côtoient au sein du contexte d’action : ostréiculteurs entre eux, nautiques entre eux mais également les deux professions entre elles en raison d’une cohabitation sur un même territoire. Ces relations de pouvoir, selon Friedberg, ne sont pas toujours conflictuelles. L’analyse des caractéristiques physiques du territoire sont à la base de l’analyse organisationnelle car elles permettent d’appréhender la répartition spatiale des différentes pratiques et des sources de conflits possibles. Notre analyse va permettre de relever la nature des relations entre ces acteurs et de caractériser leurs stratégies.

A. Une cohabitation de fait

Le partage d’un même territoire de pratique est ici lié aux bassins de navigation qui se situent sur la même zone que les bassins de captage et de dragage. La carte ci-après nous montre bien la cohabitation sur un même espace de pratique : pour le nautisme il s’agit d’une cohabitation imposée par la règlementation (en vert foncé : la zone de navigation maximum à deux mille de la côte), pour les ostréiculteurs, cet espace correspond aux zones de captage et d’élevage (bleu clair pour l’élevage sur table et bleu foncé pour l’eau profonde). Une représentation cartographique des deux activités ostréicoles différentes, que sont l’élevage et le captage en eau profonde (bleu foncé) et qui impliquent un balisage différent, aurait été intéressante afin de montrer que le captage a lieu sur la bande la plus proche de l’estran. Sur cette frange côtière, la pratique nautique est plus importante et est surtout un point de passage obligé pour les départs et arrivées des pratiquants.

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