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CHAPITRE 2 : LE CADRE THÉORIQUE POUR EXPLIQUER LES PROBLÈMES

2.1. Les théories économiques du capital humain

2.1.1. La théorie du capital humain

Au chapitre précédent, plusieurs études ont relevé que le capital humain avait un effet important sur la situation des immigrants dans le marché du travail. L’objectif de cette sous- section est d’exposer les principaux principes de la théorie du capital humain et d’illustrer comment cette théorie peut servir à expliquer la situation défavorable des immigrants dans le marché du travail.

Pour la plupart des gens, le capital réfère à un compte bancaire, des actions, des chaînes de fabrication ou des usines d’acier (Becker, 1994 : 15). Dans ses travaux sur la théorie du capital humain qui lui ont valu un prix Nobel en 1992, Becker (1994) prétend que le capital peut aussi prendre une autre forme, soit le capital humain. Selon cette théorie, un individu peut investir dans son propre capital humain au même titre qu’il le fait dans le capital physique ou financier. Pour ce faire, les individus peuvent par exemple se scolariser davantage, suivre des cours d’informatique, dépenser dans des soins de santé ou simplement lire sur la ponctualité et l’honnêteté (Ibid). Pour l’auteur de cette théorie, ces gestes sont des investissements dans le sens où ils ont pour effet d’augmenter les revenus, d’améliorer la santé ou d’accentuer les connaissances de la personne. En outre, il est possible pour un individu d’accumuler du capital humain, c’est-à-dire des connaissances, des compétences, des valeurs ou de la santé, pour ensuite les utiliser et en retirer des bénéfices monétaires. Ainsi, le capital humain peut se

définir comme un ensemble de ressources possédées par un individu qu’il peut accumuler et déployer au moment voulu, qui déterminent ses aptitudes à travailler et qui lui permettent d’en retirer des bénéfices pécuniaires (Ibid). Suivant cette définition, plus un individu possède de capital humain, plus il est productif et donc, mieux il sera rémunéré. En d’autres mots, le capital humain détermine la productivité qui, à son tour, détermine le salaire.

Par ailleurs, pour Becker (1994 : 17), la scolarité et la formation professionnelle sont les principaux investissements dans le capital humain. En fait, il est assez bien documenté que les travailleurs plus scolarisés tendent à gagner des salaires plus élevés (Becker, 1994; Weiss, 1995). Puisque cette théorie s’inscrit dans le cadre économique, un individu rationnel prendra la décision d’investir dans son capital humain s’il calcule que les coûts de l’investissement en scolarité/formation seront inférieurs aux bénéfices (actualisés) qu’il en retirera par la suite (Ibid). Tout comme l’individu, les employeurs aussi appuieraient les décisions d’investir dans la formation de leurs employés sur une évaluation rationnelle des coûts et des bénéfices qui en découleront40. Donc, un premier grand principe de la théorie du capital humain est que la décision d’investir dans le capital humain est fondée sur une évaluation rationnelle des individus de la différence entre les coûts et les bénéfices qu’ils retireront de cet investissement.

Un second grand principe est que les employeurs ont avantage à dispenser ou à financer les formations spécifiques à leur entreprise (Becker, 1994 : 42), c’est-à-dire celles qui ne seront

pas utiles aux travailleurs s’ils décident de changer d’employeur. Ce type de formation aurait pour effet d’accentuer la productivité du travailleur uniquement au sein de la firme qui la prodigue. L’employeur n’a qu’à payer un salaire plus élevé que celui établi dans le marché et moins élevé que la productivité du travailleur après la formation. Cette stratégie permet d’éviter les départs après la formation et assure ainsi à l’employeur de rentabiliser son investissement. Selon Becker, il existe un autre type de formation, soit la formation générale. Ce type de formation est transférable d’une entreprise à une autre et il peut facilement être représenté par la formation sur les bancs d’école. Lorsqu’ils font le calcul des coûts et des bénéfices, il n’est pas très rentable pour les employeurs d’investir dans le capital humain général de leurs employés. En effet, les connaissances acquises dans le cadre d’une formation générale pourront être utilisées dans une autre entreprise. Il y a donc un trop grand risque que l’employé quitte son poste tenté par un meilleur salaire dans une autre organisation avant que l’employeur ait rentabilisé son investissement.

Suivant la définition et les principes de la théorie du capital humain, le désavantage salarial des immigrants par rapport aux natifs peut s’expliquer simplement par l’idée que les personnes ayant accumulé leur capital humain à l’étranger sont moins productives que celles ayant accumulé leur capital humain au Canada. D’ailleurs, au chapitre précédent, certaines études ont montré que le capital humain acquis à l’étranger paraît aboutir à des compétences cognitives inférieures à celui acquis au Canada. En outre, la pertinence de retenir cette théorie

40 Comme il est coûteux pour les individus d’acquérir de la scolarité (frais de scolarité, manque à gagner, etc.), ceux-ci devront être compensés sur le marché du travail par des salaires plus élevés afin de justifier un tel investissement dans le capital humain. Ainsi, il n’y aura de retour positif sur la scolarité que si les employeurs sont disposés à payer des salaires plus élevés aux travailleurs hautement instruits (donc, plus productifs).

pour analyser l’intégration des immigrants dans le marché du travail provient de deux autres faits importants.

En premier lieu, les grilles de sélection fédérale et québécoise s’inspirent fortement de la théorie du capital humain. En effet, les trois principaux critères de sélection en matière de pointage sont le niveau de scolarité, l’expérience de travail et les connaissances linguistiques qui sont toutes des composantes essentielles du capital humain des immigrants (Reitz, 2005). Pourtant, l’efficacité de ce système de sélection peut être amoindrie si le marché du travail canadien accorde peu de valeur au capital humain acquis à l’étranger. Néanmoins, même si les immigrants ayant accumulé leur capital humain à l’étranger sont désavantagés par rapport aux natifs qui possèdent un capital humain acquis localement, l’arrivée massive au Canada d’immigrants peu qualifiés pourrait créer d’autres problèmes.

En deuxième lieu, en plus de cet appui du point de vue des politiques d’immigration, plusieurs études rapportées au chapitre précédent ont donné un support empirique à la théorie du capital humain pour expliquer le désavantage salarial vécu par les immigrants au Canada. Notamment, certaines études ont mis l’accent sur le problème de transfert du capital humain à l’échelle internationale qui s’inspire grandement du principe de la théorie du capital humain qui distingue la formation spécifique de la formation générale. En effet, Chiswick et Miller (2007) prétendent que le capital humain acquis dans un pays donné est spécifique à ce dernier et qu’il n’est pas transférable à un autre pays. Alors, c’est dans ce contexte que le capital humain acquis à l’étranger n’est pas reconnu dans le marché du travail canadien.

D’autres études invoquent l’hétérogénéité du capital humain acquis à l’étranger pour expliquer le manque de reconnaissance de celui-ci. Par exemple, Boudarbat et Cousineau (2009) suggèrent que les meilleurs résultats des immigrants arrivés avant l’âge de 18 ans sont attribuables au fait qu’ils sont moins touchés par le problème de rendement du capital humain acquis à l’étranger. À l’inverse, ils proposent que la détérioration de la situation économique des immigrants arrivés à l’âge adulte puisse s’expliquer, entre autres, par l’hétérogénéité du capital humain étranger. Selon ces auteurs, cette hétérogénéité complique, pour les employeurs, l’évaluation de la valeur du capital humain en question.

De plus, Boniskowska et al. (2008) ont expliqué que les employeurs canadiens étaient mal informés sur les contenus des programmes d’études étrangers. En l’absence d’information sur la valeur de ce type de capital humain, les employeurs ont tendance à dévaluer les qualifications étrangères (Grant, 2005). Cette tendance chez les employeurs peut s’expliquer par leur volonté de minimiser le risque d’embaucher un candidat incapable de remplir les tâches reliées à son poste. Cela revient à dire que le signal déclenché par les qualifications étrangères est indéchiffrable pour les employeurs et que, dans ces circonstances, ces derniers vont privilégier l’embauche d’un autre candidat qui envoie des signaux qu’ils sont mieux en mesure de décoder. Cette présomption se rattache plus particulièrement à la théorie du filtre et du signal qui est détaillée dans la sous-section suivante.