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CHAPITRE 1 : LES POLITIQUES D’IMMIGRATION ET LA PERFORMANCE DES

1.2. La situation des immigrants dans le marché du travail : trois problèmes majeurs

1.2.4. Le salaire des immigrants par rapport aux natifs : le fossé se creuse

1.2.4.1. L’évolution du salaire des immigrants par rapport aux natifs

Pour illustrer l’évolution que suit généralement le salaire des immigrants au fil du temps passé au Canada, nous avons adapté un graphique préalablement présenté par Hum et Simpson (2004) de manière à mieux faire ressortir trois tendances importantes : l’effet d’entrée, la convergence et la détérioration des salaires des immigrants (voir figure 3). Donc, la figure ci- dessous constitue un exemple fictif pour illustrer ces tendances.

Figure 3 : Évolution du salaire des immigrants par rapport aux natifs

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 0 5 10 15 20 25 30 35 Natifs Cohorte 1980 Cohorte 1990

Source : Adapté de Hum et Simpson (2004)

D’abord, à l’aide de cette figure, on peut voir qu’à leur entrée dans le marché du travail, les deux cohortes d’immigrants, soit celle de 1980 et celle de 1990, gagnent un salaire inférieur à

Salaire ($)

celui des natifs qui ont des caractéristiques d’employabilité similaires. Cette première tendance se nomme l’effet d’entrée et elle peut s’expliquer par une période d’ajustement vécue par les immigrants en début d’établissement. En effet, les immigrants, en arrivant dans un nouveau pays, doivent par exemple se chercher un logement, apprendre le fonctionnement du marché du travail et voire même apprendre une nouvelle langue. Dans ces circonstances, au cours de cette période d’ajustement, les immigrants peuvent accepter un premier emploi moins payant pour subvenir à leurs besoins immédiats.

Par la suite, cette figure montre que le salaire des immigrants de la cohorte de 1980 progresse plus rapidement que celui des natifs de sorte qu’un rattrapage s’effectue. Cette seconde tendance reflète la convergence du salaire des immigrants vers celui des natifs au fil du temps. Au fur et à mesure que les immigrants se familiarisent avec le marché du travail canadien, ils deviennent plus aptes à utiliser leur capital humain étranger et à le mettre en valeur, ce qui peut expliquer la progression plus rapide de leur salaire et la convergence de celui-ci vers celui des natifs.

Enfin, c’est la troisième tendance qui attire davantage l’intérêt des chercheurs, soit celle de la détérioration des salaires des nouvelles cohortes d’immigrants. Dans la figure 3, cette tendance ressort lorsqu’on observe que le salaire à l’entrée des immigrants de la cohorte des années 1990 a été tellement plus faible que celui des natifs (et celui des immigrants de la cohorte de 1980) qu’ils parviendront difficilement à atteindre la parité de salaire avec ces derniers même après plusieurs années passées au Canada. La détérioration des salaires des nouvelles cohortes d’immigrants s’avère problématique si l’on considère que ces cohortes sont de plus en plus

scolarisées et qu’une part importante de ces dernières est choisie pour leur profil d’employabilité prometteur ainsi que leur contribution potentielle à l’économie canadienne.

Pourtant, deux consensus ressortent lorsqu’on consulte la littérature empirique sur le sujet : les immigrants gagnent un salaire inférieur à celui des natifs à leur entrée dans le marché du travail et les gains à l’entrée des nouvelles cohortes d’immigrants se sont détériorés substantiellement au cours des années 80 et de la première moitié des années 90 (Aydemir et Skuterud, 2005; Baker et Benjamin, 1994; Bloom et al., 1995; Borjas, 1985; Boudarbat et Boulet, 2007; Frenette et Morissette, 2003; Green et Worswick, 2004; Hum et Simpson, 2004; McDonald et Worswick, 1998; Picot, 2004). Dans les lignes qui suivent, nous rapporterons les résultats de quelques études qui ont chiffré la taille de l’effet d’entrée, la détérioration des salaires et le nombre d’années requis pour que les immigrants atteignent la parité de salaire avec les natifs. Au total, les résultats de cinq études seront présentés.

Dans une première étude sur l’effet d’entrée, Aydemir et Skuterud (2005) se sont appuyés sur les données combinées des recensements de la population de 1981 à 2001. Ces auteurs ont comparé le salaire à l’entrée de sept cohortes d’immigrants de sexe masculin arrivés entre 1965 et 1999 âgés de 25 à 54 ans qui ont travaillé à temps plein toute l’année à celui des natifs. Ils ont trouvé que l’écart dans le salaire à l’entrée des nouvelles cohortes d’immigrants était supérieur à celui des cohortes antérieures par rapport à celui des leurs homologues natifs lorsqu’on contrôle le nombre d’années d’expérience de travail et le niveau de scolarité. Par exemple, les hommes de la cohorte de 1990-1994 présentent un salaire à l’entrée de 34% inférieur à celui de la cohorte de 1965-1969. Chez les femmes immigrantes, ce même

désavantage se chiffre à 30 %. Pour la cohorte de 1995-1999, le retard de salaire à l’entrée est de 27 % chez les immigrants et de 22 % chez les immigrantes.

Dans une deuxième étude réalisée à l’aide des données de l’EDTR de 1993 à 1998, Hum & Simpson (2004a) ont évalué le désavantage salarial des hommes immigrants à l’entrée dans le marché du travail à 24 %, lorsque le nombre d’années de scolarité et d’expérience de travail, le nombre de semaines travaillées, le statut de minorité visible, la connaissance des langues officielles du Canada et le lieu de résidence ont été contrôlés. Précédemment à cette dernière étude, Baker et Benjamin (1994) et Bloom et al. (1995) avaient déjà montré que les cohortes récentes d’immigrants (à ce moment) gagnaient un salaire à l’entrée plus faible que celui des Canadiens de naissance. Par exemple, à partir des données des recensements de la population de 1971, 1981 et 1986, Bloom et al. (1995) ont signalé que l’effet d’entrée des hommes immigrants était de 5,4 % en 1971, de 13,8 % en 1981 et de 22,2 % en 1986 lorsque la scolarité, l’expérience, l’état matrimonial et le nombre d’heures et de semaines travaillées étaient contrôlés. Ainsi, selon cette dernière étude, en plus de gagner un salaire inférieur aux natifs, la taille de l’effet d’entrée des nouvelles cohortes d’immigrants a augmenté entre 1971 et 1986.

La détérioration des salaires des immigrants récents (ceux arrivés depuis moins de 5 ans) âgés de 25 à 54 ans par rapport aux natifs s’est poursuivie de 1980 à 2005 selon Statistique Canada (2008b). Dans cette troisième étude ayant utilisé les données des recensements, Statistique Canada a trouvé que les hommes immigrants gagnaient 85 cents pour chaque dollar gagné par leurs homologues nés au Canada en 1980, alors que ce ratio a diminué à 63 cents en 2005.

Pour les femmes immigrantes, la détérioration a été encore plus sévère passant de 85 cents par dollar gagné par une travailleuse née au Canada en 1980 à 56 cents en 2005. Selon cette étude, en 2005, les immigrants récents, hommes et femmes, étaient donc très désavantagés par rapport aux natifs sur le plan salarial. Antérieurement, Li (2003) en était arrivé à des conclusions un peu différentes en analysant les revenus d’emploi des immigrants âgés de 15 à 49 ans admis au Canada entre 1980 et 1996 à partir de la BDIM. En fait, selon cette étude, le revenu d’emploi des hommes immigrants s’est détérioré davantage que celui des femmes. Un an après leur arrivée au Canada, les hommes immigrants gagnaient 6,1 % de moins que les natifs en 1980, tandis que cet écart s’est accru à 15,5 % en 1996. Pour ce qui est des femmes immigrantes, leur revenu d’emploi était de 4,5 % inférieur à celui des natives en 1980 et ce désavantage s’est accru à 10,1 % en 1996.

Dans une quatrième étude effectuée à l’aide des données des recensements de 1981 à 2001, Frenette et Morissette (2003) ont considéré les individus âgés de 16 à 64 ans ayant travaillé au moins 40 semaines au cours de l’année de référence, et ce, principalement à temps plein (plus de 30 heures par semaine). Ils ont comparé les immigrants et les natifs sur la base des gains annuels qui comprennent le salaire, les revenus d’un emploi autonome et les autres revenus d’emploi.

Le tableau 26 reproduit les écarts entre les gains moyens des immigrants au cours de leurs cinq premières années d’établissement par rapport aux natifs de 1980 à 2000. À partir de ce tableau, on peut voir que les gains moyens des immigrants récents de sexe masculin se sont successivement détériorés par rapport aux natifs entre 1980 et 1995, passant de -12,7 % en

1980 à -45,0 % en 1995. Cependant, en 2000, la situation des immigrants récents s’est quelque peu améliorée par rapport à 1995, car ils affichaient un désavantage de l’ordre de 28,3 % par rapport aux natifs. De leur côté, les écarts entre les gains moyens des femmes immigrantes récentes et des natives sont passés de -19,6 % en 1980 à -39,7 % en 1995 pour revenir à un écart de -30,6 % en 2000. Ces résultats suggèrent donc que les écarts entre les gains moyens des immigrants récents et des natifs se sont amplifiés entre 1980 et 1995, mais que cet écart a légèrement diminué de 1995 à 2000. Dans cette même étude, les auteurs ont refait les mêmes analyses en contrôlant le niveau de scolarité, le nombre d’années d’expérience de travail, le nombre de semaines travaillées, l’état matrimonial, le statut de minorité visible et le lieu de résidence et leurs résultats n’ont que très peu changé. Ceci les a amenés à craindre que les immigrants des nouvelles cohortes soient incapables de rejoindre les gains des natifs, et ce, même après plusieurs années passées au Canada.

Tableau 26 : Écarts entre les gains moyens des immigrants et natifs de 1980 à 2000 (%)

Hommes (cohortes†) 1980 1985 1990 1995 2000 1975-79 - 12,7 1980-84 - 30,6 1985-89 - 31,8 1990-94 - 45,0 1995-99 - 28,3 Femmes (cohortes†) 1980 1985 1990 1995 2000 1975-79 - 19,6 % 1980-84 - 31,7 % 1985-89 - 25,3 % 1990-94 - 39,7 % 1995-99 - 30,6 %

D’autres études canadiennes ont montré que les salaires des immigrants rattrapent ceux des natifs à un certain point dans leur carrière et ont tenté d’évaluer le temps requis avant que cela s’effectue (Bloom et al., 1995; McDonald et Worswick, 1998; Hum et Simpson, 2004a; Li, 2003). Par exemple, Li (2003) a évalué le délai moyen pour que les immigrants atteignent la parité de revenu d’emploi avec la population née au Canada à l’aide des données de la BDIM. Même si les résultats de cette étude ont décelé un agrandissement de l’écart salarial à l’entrée entre les immigrants et les natifs sur la période de 1980 à 1995, l’auteur a aussi trouvé que le nombre moyen d’années requises pour atteindre la parité de revenu d’emploi était inférieur pour les derniers arrivés au Canada, soit les immigrants admis en 1995. Les résultats de cette étude évaluent que le temps requis par les immigrants pour rejoindre le revenu d’emploi de la population née au Canada varie entre 2,0 ans et 15,0 ans.

Cette étude suggère également que, même si les revenus d’emploi à l’entrée des immigrants des cohortes les plus récentes s’éloignent de plus en plus de ceux des natifs, ils parviennent tout de même à rejoindre les revenus d’emploi des natifs plus rapidement que les immigrants admis antérieurement. Or, contrairement à ce que Frenette et Morissette (2003) ont trouvé, l’étude de Li (2003) a indiqué que, malgré la grande détérioration de leur revenu d’emploi à l’entrée dans le marché du travail, la progression plus rapide des revenus d’emploi des immigrants des nouvelles cohortes n’empêche pas la convergence de leur revenu d’emploi avec celui des natifs.

Brièvement, dans cette première sous-section, les études consultées ont fait ressortir que les immigrants récents étaient de plus en plus désavantagés sur le plan des salaires à l’entrée dans

le marché du travail. Selon certains, cette détérioration pourrait compromettre leur espoir de rattraper le salaire des natifs à tout jamais. Ceci s’avère plutôt problématique vu le nombre grandissant de ceux qui sont admis à des fins économiques. En ce sens, plusieurs études ont tenté d’identifier les facteurs explicatifs de cette détérioration des salaires des immigrants. La sous-section qui suit expose ces facteurs.