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Les études ayant utilisé l’approche normative de la surqualification

CHAPITRE 1 : LES POLITIQUES D’IMMIGRATION ET LA PERFORMANCE DES

1.2. La situation des immigrants dans le marché du travail : trois problèmes majeurs

1.2.3. La déqualification professionnelle ou la surqualification chez les immigrants

1.2.3.1. Les études ayant utilisé l’approche normative de la surqualification

La majorité des études consultées sur la surqualification des immigrants se sont basées sur la méthode normative qui s’appuie sur la Classification nationale des professions (CNP). Les études rapportées dans cette sous-section seront présentées en ordre chronologique décroissant, c’est-à-dire de la plus récente à la plus ancienne. En tout, les résultats de cinq études clés seront exhibés.

L’étude la plus récente est celle de Gilmore (2009) réalisée à partir des données de l’EPA de 2008. Pour évaluer l’adéquation entre les compétences de l’individu et celles requises par son emploi, il s’est fondé sur une matrice22 déterminant le niveau de scolarité normalement exigé pour un groupe professionnel (élaborée à partir de la CNP) et il l’a comparé avec le niveau de scolarité de l’individu. Dans cette étude, l’auteur a trouvé que 28 % des travailleurs nés au Canada de 25 à 54 ans étaient surqualifiés pour leur emploi et que le taux de surqualification était plus élevé chez les titulaires d’un diplôme universitaire (40,5 %) (voir tableau 20). Ce même tableau montre que la situation des immigrants est plus problématique que celle des natifs puisque 42,1 % du total des immigrants et 60,1 % des immigrants ayant un diplôme

universitaire étaient surqualifiés en 2008. Comme pour la précarité d’emploi, le temps écoulé depuis l’arrivée au Canada influe positivement sur la probabilité d’occuper un emploi correspondant aux compétences. En effet, 55,7 % des immigrants arrivés depuis moins de 5 ans sont surqualifiés et 67,8 % des immigrants diplômés universitaires de ce groupe sont dans cette situation. Même si le taux de surqualification diminue avec le temps passé au Canada, les immigrants arrivés depuis plus de 10 ans affichent toujours un désavantage statistiquement significatif par rapport à la population née au pays sur ce plan; les taux de surqualification des immigrants de ce groupe sont respectivement de 36,3 et 54,8%.

Tableau 20 : Taux de surqualification des immigrants et des natifs de 25 à 54 ans en 2008 (%) Population née au Canada Total des immigrants Immigrants arrivés depuis moins de 5 ans Immigrants arrivés entre 5 à 10 ans Immigrants arrivés depuis plus de 10 ans Travailleurs surqualifiés* 28,1 42,1** 55,7** 49,2** 36,3** Travailleurs surqualifiés parmi les titulaires d’un diplôme

universitaire*

40,5 60,1** 67,8** 62,9** 54,8**

*Emplois non reliés à la gestion.

**Écart statistiquement significatif par rapport à la population née au Canada au seuil de 5 %.

Source : Gilmore (2009)

22 Cette matrice a été élaborée conjointement par Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) et un groupe de chercheurs universitaires, d’employeurs, de syndicats et de représentants gouvernementaux. Voir le lien internet suivant : http://www5.rhdcc.gc.ca/CNP/Francais/CNP/2006/Tutoriel.aspx.

Avant cette dernière étude, Galarneau et Morissette (2008) s’étaient aussi penchés sur le phénomène de déqualification des immigrants au Canada. Pour évaluer la déqualification, les auteurs ont choisi de calculer le taux de représentation dans les emplois exigeant un faible niveau de scolarité. Pour ce faire, ils ont divisé le nombre de diplômés universitaires âgés de 25 à 54 ans qui occupent un emploi requérant tout au plus un diplôme d’études secondaires par le nombre total de diplômés universitaires occupés du même groupe d’âge. Les professions à faible scolarité ont été identifiées à partir de la CNP, c’est pourquoi cette étude s’insère dans l’approche normative de la surqualification. Les analyses ont été réalisées à partir des données des recensements de la population de 1991 à 2006.

Ce faisant, ils ont trouvé que les immigrants récents de sexe masculin ayant un diplôme universitaire étaient 2,8 fois plus représentés dans les emplois à faible scolarité que leurs homologues natifs en 2006 (28 % contre 10 %), tandis que les immigrantes récentes ayant un diplôme universitaire étaient 3,3 fois plus susceptibles d’occuper ce type d’emploi que leurs homologues natives (40 % contre 12 %). Ils ont aussi observé que le sort des immigrants s’améliorait avec le temps passé au Canada. En effet, en 2006, les immigrants de longue date diplômés de l’université (ceux arrivés entre 11 et 15 ans auparavant) étaient moins représentés dans les emplois à faible scolarité que les immigrants récents (ceux arrivés depuis moins de 5 ans), et ce, pour les deux sexes. Toutefois, les immigrants de longue date sont toujours plus représentés dans les emplois à faible scolarité que la population née au Canada et cela a été vrai pour toute la période entre 1991 et 2006. Antérieurement, Galarneau et Morissette (2004) étaient arrivés à la conclusion que le pays d’origine, la langue maternelle, le statut de minorité

visible et le domaine d’études avaient un effet sur la proportion d’immigrants récents diplômés de l’université qui occupaient des postes de faible scolarité en 200123.

Galarneau et Morissette (2008) ont trouvé que les immigrants de longue date étaient plus représentés dans les emplois à faible scolarité en 2005 qu’ils ne l’étaient en 1990. Leur situation se serait donc détériorée entre 1990 et 2005. En effet, selon leurs résultats, 12 % des hommes immigrants de longue date (arrivés depuis 11 à 15 ans) diplômés de l’université occupaient un emploi à faible scolarité en 1990 contre 21 % en 2005, tandis que pour les femmes ces taux s’élevaient à 24 % en 1990 et à 29 % en 2005. Pour leurs homologues nés au Canada des deux sexes, ce taux est demeuré stable autour de 10 % tout au long de la période analysée. Cela amène les auteurs à penser que les difficultés perçues chez les immigrants récents sont plus que temporaires et perdurent sur une longue période. Leurs résultats indiquent aussi que la hausse du taux de surqualification de 1990 à 2005 est un peu plus forte pour les immigrants plus âgés, les diplômés des domaines de la santé, du génie et des sciences humaines et sociales ainsi que pour les immigrants originaires d’Afrique et d’Asie de l’Est. Dans ce même article, ils ont estimé que les changements dans les profils24 des immigrants de longue date diplômés de l’université entre 1990 et 2005 expliquent seulement un quart de la hausse de leur taux de représentation dans les emplois à faible scolarité. Entre autres, à la toute fin de cet article, ils suggèrent que le reste de l’accroissement de ce taux pourrait être dû à la

23 Les immigrants récents les plus enclins à occuper de tels emplois en 2001 venaient d’Asie du Sud et du Sud- est, n’avaient ni le français ni l’anglais comme langue maternelle, étaient membres d’une minorité visible et étaient des femmes. À l’inverse, les immigrants originaires d’Amérique du Nord, d’Europe du Nord et de l’Ouest ou d’Océanie, qui avaient une maîtrise ou un doctorat, étaient formés en sciences appliquées et avaient l’anglais comme langue maternelle étaient moins représentés dans ce type d’emploi.

24 Les changements de profil touchent la langue maternelle, le pays d’origine, l’âge, la scolarité et le statut de minorité visible.

diminution des compétences linguistiques des nouvelles cohortes d’immigrants, à la non- reconnaissance du capital humain acquis à l’étranger (scolarité et expérience professionnelle) ou à la moindre qualité de l’éducation reçue par les immigrants des nouvelles régions d’origine.

Dans la troisième étude abordée, l’OCDE (2007a) a effectué des comparaisons internationales entre 25 pays. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur l’International standard Classification of Occupation (ISCO) créée par le BIT et l’International Standard Classification of Education (ISCE) créée par l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO). À partir de ces classifications internationales des professions, les niveaux d’études et de qualification des emplois ont été regroupés en trois catégories : faible, intermédiaire et élevé. Les individus surqualifiés sont ceux dont le niveau d’études dépasse d’une catégorie celui requis par le poste occupé. Les données utilisées sont celles des enquêtes sur l’emploi et des recensements de la population propres à chaque pays considéré.

Globalement, les résultats de cette étude ont montré que les immigrants ont des taux de déclassement plus élevés que les natifs dans tous les pays sauf la Nouvelle-Zélande. De plus, les résultats ont révélé que le taux de déclassement des immigrants est très prononcé dans les pays d’Europe du Sud (Italie, Grèce, Portugal et Espagne) et certains pays d’Europe du Nord (Norvège et Suède) avec des taux se situant entre 15,4 % et 32,4 %, tandis que ceux des natifs de ces pays oscillent entre 6,9 % et 10,1 %. Au Canada, les immigrants affichent un taux de déclassement similaire à celui observé dans ces pays (25,2 %), mais il faut souligner que les Canadiens de naissance sont plus surqualifiés (21,3 %) que les natifs des autres pays. Ces

données suggèrent que la progression plus rapide de l’offre de travail qualifié par rapport à la demande aurait provoqué une certaine dévalorisation des diplômes au Canada. Par ailleurs, l’OCDE (2007a) a aussi noté que les femmes sont plus exposées au déclassement que les hommes et que les compétences linguistiques dans les langues officielles du pays d’accueil diminuent la probabilité d’être déclassé. Par rapport aux autres études, celle-ci a aussi trouvé que le lieu d’obtention du diplôme avait un effet sur la probabilité d’être déclassé, c’est-à-dire que les travailleurs diplômés de l’étranger ont plus de risque d’être déclassés que ceux ayant obtenu leur diplôme dans le pays d’accueil.

Dans une quatrième étude, Li et al. (2006) ont analysé la surqualification des immigrants au Canada à l’aide des données de l’EDTR de 1993 à 2001. En s’étayant sur la CNP, ces auteurs ont évalué la surqualification par le taux de représentation des détenteurs d’un diplôme universitaire (baccalauréat ou plus) dans les emplois exigeant tout au plus un niveau d’études secondaires comme Galarneau et Morissette (2008). L’approche utilisée par Li et al. (2006) se distingue des précédentes par son caractère longitudinal selon lequel les individus doivent occuper un emploi qui les déqualifie pendant au moins un mois pour être considérés comme surqualifiés. En ce sens, les auteurs s’intéressent à la durée (persistance) de la surqualification. Ce faisant, ils ont décelé que les nouveaux immigrants (c’est-à-dire ceux arrivés depuis 10 ans ou moins) se sont retrouvés presque deux fois plus souvent dans une situation de surqualification (52 %) que les personnes nées au Canada (28 %) entre 1993 et 2001. Par surcroît, parmi les travailleurs ayant connu la surqualification, 72 % des nouveaux immigrants risquaient de demeurer dans cette situation de surqualification pendant toute la période étudiée comparativement à 36 % de leurs homologues nés au Canada. Ainsi, selon ces résultats, non

seulement les immigrants sont plus susceptibles d’être déqualifiés, mais ils ont aussi deux fois plus de risque de demeurer dans cette position au fil du temps.

Dans la cinquième et dernière étude ayant utilisé une approche normative, la déqualification des immigrants économiques du Québec est au centre des analyses. Renaud et Cayn (2006) se sont appuyés sur les données de l’Enquête sur les travailleurs sélectionnés (ETS) réalisée par MICC en mars 2002. Leur échantillon est composé de 1541 travailleurs qualifiés arrivés au Québec entre janvier 1997 et juin 2000 et dont la durée de résidence varie entre 21 et 63 mois25. Afin de mesurer la déqualification, les auteurs ont comparé le niveau de scolarité du travailleur (auto-déclaré) avec celui officiellement requis par sa profession selon la CNP.

Le tableau 21 illustre qu’une plus grande proportion des travailleurs sélectionnés sont surqualifiés six mois après leur arrivée au Québec (37,0 %) qu’avant leur immigration (21,3 %). Cependant, la part des immigrants surqualifiés diminue au fil du temps passé au Québec de sorte que deux ans après l’arrivée, 30,4 % d’entre eux sont surqualifiés. Les auteurs ont également estimé que 68,7 % des travailleurs sélectionnés avaient occupé au moins un emploi correspondant à leur niveau de scolarité cinq ans après l’arrivée au Québec. Une fois ce but atteint, seulement 12,2 % occupent un emploi les déqualifiant à nouveau.

25 Les auteurs ont écarté des 1875 répondants de la banque de données les conjoints et les aides familiales pour conserver seulement les requérants principaux de la catégorie des travailleurs qualifiés qui ont été sélectionnés par la grille de points québécoise.

Tableau 21 : Prévalence de la surqualification avant et après l’immigration au Québec en 2002 (%) Avant l’immigration 6 mois après l’immigration 1 an après l’immigration 2 ans après l’immigration Surqualifiés 21,3 37,0 35,3 30,4 Adéquatement qualifiés 57,5 43,0 44,4 47,9 Sous-qualifiés 21,2 19,9 20,2 21,7

Source : Renaud et Cayn (2006)

Renaud et Cayn (2006) ont aussi évalué l’effet de plusieurs variables sur la situation de surqualification. Ils ont trouvé que les faits de détenir un doctorat, d’avoir séjourné au Québec avant l’immigration, d’avoir effectué des études postsecondaires en français et d’être arrivé à l’âge de 23 à 30 ans accélèrent la rapidité d’accès à un emploi correspondant aux compétences. De plus, les travailleurs sélectionnés du Maghreb, de l’Europe de l’Est et de l’ex-URSS sont désavantagés sur le plan de l’accès à un emploi correspondant à leur niveau de scolarité en début d’établissement par rapport aux travailleurs sélectionnés de l’Europe de l’Ouest et des États-Unis, mais ce désavantage disparaît au fil du temps. Toutefois, les travailleurs sélectionnés du Moyen-Orient et de l’Asie de l’Ouest subissent aussi un désavantage à ce niveau en début d’établissement, mais sont incapables de le surmonter au cours de leurs cinq premières années d’établissement.

Bref, selon les études ayant utilisé l’approche normative, au Canada et au Québec, les immigrants sont plus touchés par la surqualification que les natifs. Les études ont aussi dénoté une amélioration de la situation de surqualification avec le temps passé au Canada, mais dans

une envergure insuffisante pour rattraper les natifs. Dans la prochaine sous-section, nous verrons si ces résultats persistent lorsqu’on utilise l’approche statistique de la surqualification.