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CHAPITRE 1 : LES POLITIQUES D’IMMIGRATION ET LA PERFORMANCE DES

1.2. La situation des immigrants dans le marché du travail : trois problèmes majeurs

1.2.2. L’emploi atypique : un phénomène plus courant chez les immigrants

1.2.2.2. La prédisposition des immigrants à choisir l’auto-emploi

Le travail autonome est effectivement un volet de l’emploi atypique qui touche particulièrement les immigrants. Dans cette sous-section, les résultats de six études ayant comparé la proportion des immigrants et des natifs à occuper un emploi autonome seront

exposés. De plus, deux pistes explicatives du phénomène de l’auto-emploi chez les immigrants seront proposées.

La première étude a comparé le taux de travailleurs autonomes chez les immigrants de 17 pays par rapport aux natifs de leur pays respectif (van Tubergen, 2005). Cette étude a porté sur les hommes occupés âgés de 25 à 54 ans et elle est principalement basée sur les données de l’International File of Immigration Surveys (IFIS) pour les pays européens et sur les recensements de la population pour l’Australie, le Canada et les États-Unis. Au Canada, ce sont les recensements de la population de 1991 et 1996 qui ont été utilisés. À partir du tableau 16, on observe que la Belgique, le Canada, le Portugal, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis sont les seuls pays où les immigrants ont des taux d’auto-emploi supérieurs à ceux des natifs. Cependant, les écarts entre ces taux sont ne sont pas très grands dans ces six pays; ils oscillent entre 0,7 % et 4,1 %.

Par ailleurs, ce tableau montre aussi que le pays d’origine a un effet sur le taux d’auto-emploi chez les immigrants. Au Canada, les immigrants originaires de la Chine (20,5 %) et de l’Italie (20,4 %) auraient une prédisposition plus prononcée pour l’auto-emploi que les natifs (15,2 %). Tel que nous l’avons mentionné précédemment, le fait que les immigrants de la Colombie-Britannique viennent en grande majorité de l’Asie, il se peut que les immigrants de cette province se tournent davantage vers l’auto-emploi que ceux du Québec où le taux d’immigrants asiatiques est beaucoup plus faible.

Tableau 16 : Taux d’auto-emploi chez les immigrants et les natifs selon le pays d’origine, 1996 (%)

Pays d’origine

Chine Italie Philippines Pologne Turquie Autres Total Natifs

Allemagne - 15,5 - 7,9 5,2 9,0 8,7 10,9 Australie 30,1 26,8 2,3 12,6 8,2 14,5 14,9 19,3 Autriche - 14,4 - 7,8 4,0 8,3 7,6 14,0 Belgique - 16,1 - - - 18,1 17,7 17,0 Canada 20,5 20,4 5,7 15,4 14,2 16,6 16,3 15,2 Danemark - - - - - 11,6 11,6 12,2 Espagne - - - - - 24,5 25,6 22,6 États-Unis 16,1 18,7 5,5 12,4 18,4 13,7 13,6 12,5 Finlande - - - - - 11,9 13,9 21,1 France - 21,0 - - 14,4 12,3 12,9 14,6 Grèce - - - 8,8 35,1 16,8 17,8 39,2 Irlande - 42,0 - - - 26,5 26,9 27,9 Luxembourg - 12,1 - - - 7,4 8,2 11,5 Pays-Bas - 23,8 - - 8,7 11,2 11,3 13,2 Portugal - - - - - 23,7 25,2 23,9 Royaume- Uni 27,0 27,1 - - - 20,6 20,9 16,8 Suède - - - 14,6 15,8 18,8

Source : van Tubergen (2005)

D’ailleurs, Boudarbat (2011) a étudié le pourcentage de travailleurs autonomes de 15 à 64 ans selon le statut d’immigrant et la province de résidence à partir de l’EPA de 2010. Ces résultats indiquent que la proportion d’immigrants qui opte pour le travail autonome est supérieure à celle des natifs, et ce, autant au Québec, en Ontario qu’en Colombie-Britannique. En fait, en 2010, 18,7 % des immigrants du Québec occupent un emploi autonome contre 17,1 % en Ontario et 21,4 % en Colombie-Britannique. Chez les natifs, ces taux sont respectivement de 12,3 %, 13,3 % et 16,9 %. Pour expliquer la plus forte culture entrepreneuriale chez les immigrants, l’auteur suggère que cette décision pourrait résulter des divers obstacles auxquels

font face les immigrants dans le marché du travail. Devant les difficultés d’insertion en emploi, ils choisissent de créer leur propre emploi. Sur le plan provincial, on pourrait ajouter que la forte proportion d’immigrants originaires d’Asie en Colombie-Britannique explique la culture entrepreneuriale plus développée de cette province.

Dans une troisième étude, réalisée à partir des données des recensements de la population de 1981 et 2006, Hou et al. (2011) ont trouvé que le taux de travail autonome avaient augmenté de 1980 à 2005, tant chez les natifs que chez les immigrants. Au cours de cette période, le taux d’emploi autonome des hommes natifs âgés de 20 à 64 ans est passé de 9,4 à 11,5 % contre une hausse de 13,1 à 16,8 % chez les hommes immigrants du même groupe d’âge. Chez les femmes, le taux d’emploi autonome des natives a augmenté de 3,4 à 6,9 %, tandis que celui des immigrantes s’est accru de 5,4 à 9,4 % de 1981 à 2006. Dans cette même étude, les auteurs ont découvert que, contrairement à ce qui était le cas en 1981, les gains des travailleurs autonomes étaient inférieurs à ceux des travailleurs rémunérés en 2006. De plus, les travailleurs autonomes immigrants gagnaient en moyenne 26 % de moins que leurs homologues natifs chez les hommes; ce désavantage était de 19 % chez les femmes.

Dans une quatrième étude portant sur le Canada, Frenette (2004) a utilisé les données des recensements de la population de 1981 à 1996. Dans son échantillon, il s’est concentré sur les hommes âgés de 20 à 59 ans ayant travaillé 40 semaines ou plus au cours de l’année de référence. Le statut de travailleur autonome a été attribué aux individus dont au moins 95 % des revenus provenaient d’un emploi autonome. Les résultats de cette étude ont révélé que les immigrants de la cohorte la plus récente, soit celle de 1991-1995, étaient 26 % plus

susceptibles de se tourner vers le travail autonome que les natifs durant leurs cinq premières années au Canada. Au contraire, les immigrants de la cohorte la plus ancienne, soit celle de 1976-1980, étaient 17 % moins enclins que les natifs à devenir travailleurs autonomes durant leurs cinq premières années au Canada. Or, selon ces résultats, la propension des immigrants des nouvelles cohortes d’immigrants à opter pour le travail autonome s’est beaucoup accentuée par rapport aux cohortes précédentes et par rapport aux natifs. Par surcroît, les résultats de cette étude ont aussi indiqué que le taux d’auto-emploi augmente avec le temps passé au pays. Plus le temps s’écoule depuis leur arrivée au Canada, plus les immigrants sont susceptibles de s’engager dans le travail autonome.

La cinquième étude a été réalisée à partir des données de la Banque de données longitudinales sur l’immigration (BDIM) de 1980 à 1995. Dans cette étude, Li (2001) a identifié les profils d’immigrants qui sont plus susceptibles de travailler à leur propre compte au Canada. Cette recherche a porté sur les individus âgés de 20 à 64 ans. Contrairement à l’étude précédente, le statut de travailleur autonome a été attribué à tous les sujets qui ont déclaré un revenu provenant d’un emploi autonome durant l’année de référence, sans égard à la part de ce revenu dans le revenu total. Li (2001) a aussi trouvé que les cohortes récentes considérées dans sa recherche (soit celles arrivées entre 1987 et 1994) avaient plus tendance à s’engager dans le travail autonome comparativement aux précédentes (soit celles de 1980 à 1986). Tout comme Frenette (2004), ses résultats ont indiqué que la probabilité de choisir l’auto-emploi augmente avec le temps depuis l’immigration. En outre, Li (2001) a relevé que les immigrants arrivés à un âge plus avancé (sauf pour les immigrants arrivés à 50 ans et plus) et les immigrants plus scolarisés sont plus enclins à créer leur propre emploi. Li (2001) a aussi noté des différences

selon le pays d’origine. En effet, il a trouvé que les immigrants du Royaume-Uni, l’Europe, l’Asie de l’Ouest et des États-Unis sont plus susceptibles d’être travailleurs autonomes que les immigrants de l’Afrique, de l’Asie du Sud, de Hong Kong et de l’Amérique latine. Selon Li (2001), ces résultats suggèrent que les immigrants avec un capital humain plus élevé et qui ont eu plus de temps pour accumuler de l’expérience dans le marché du travail canadien sont plus enclins à se tourner vers le travail autonome. Il explique ce phénomène par leur meilleur accès au capital et aux autres ressources ainsi qu’à leur plus grande exposition au monde des affaires au Canada.

Le choix de l’entreprenariat chez les immigrants peut être interprété de différentes manières. Jusqu’à aujourd’hui, les auteurs ont mis de l’avant trois principales théories concurrentes pour expliquer pourquoi les immigrants ont plus tendances à créer leur propre emploi (Abada, Hou et Lu, 2012; Frenette, 2004; Hiebert, 2002; Li, 2001). La première théorie, soit celle de l’attraction, propose que les individus optent pour le travail autonome de façon rationnelle puisque cette option présente une plus grande utilité pour eux. Ainsi, les individus sont attirés vers le travail autonome parce qu’ils croient que cela accroîtra leurs gains. L’entreprenariat chez les immigrants serait donc un phénomène positif. À l’opposé, la théorie du désavantage (ou de la poussée) a une connotation négative puisqu’elle suggère plutôt que le chômage, les barrières linguistiques et la discrimination dans le marché du travail forcent les immigrants à créer leur propre emploi pour avoir de meilleures conditions de travail. La troisième théorie proposée porte sur l’effet protecteur des enclaves ethniques18 où les propriétaires d’entreprises

18 L’enclave ethnique réfère à un groupe d’immigrants concentré dans une même région géographique et qui s’est créé plusieurs entreprises ethniques pour répondre aux besoins de leur propre communauté culturelle (voir Bégin (2004) pour plus de détails sur l’enclave ethnique).

ethniques possèdent un avantage concurrentiel dans les marchés ethniques puisqu’ils ont une meilleure connaissance des besoins et des goûts culturels de cette clientèle.

Dans une sixième étude, Abada et al. (2012) ont utilisé les données des recensements de la population de 1981 et 2006 pour déterminer si les natifs, les immigrants et leurs enfants choisissent le travail autonome pour les mêmes raisons. Les résultats de cette étude révèlent que les enfants des immigrants ont plus tendance à opter pour le travail autonome par choix (théorie de l’attraction) que par nécessité, alors qu’un lien positif a été établi entre les difficultés dans le marché du travail et le travail autonome chez les immigrants de première génération. Enfin, ces auteurs n’ont pas trouvé de lien significatif entre les enclaves ethniques et la probabilité d’opter pour le travail autonome.

Qu’on l’interprète positivement ou négativement, la prédisposition des immigrants à choisir l’auto-emploi semble être une réalité qui s’est accentuée depuis le début des années 1980, mais la littérature est moins consensuelle sur les raisons de cette tendance. Quoi qu'il en soit, l’auto-emploi n’est pas la seule forme d’emploi atypique qui touche particulièrement les immigrants. Les emplois temporaires et le travail à temps partiel sont également des formes d’emploi atypique dans lesquelles les immigrants sont susceptibles d’être surreprésentés. Les études ayant examiné la proportion d’immigrants et de natifs dans ces deux formes d’emploi atypiques seront présentées dans les deux sous-sections suivantes.