• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 : LE CONCEPT DE QUALITÉ D’EMPLOI : UNE APPROCHE

3.2. Les origines théoriques du concept de qualité d’emploi

3.2.2. La qualité d’emploi selon la tradition sociologique

L’école d’économie traditionnelle avec son équation d’utilité et de bien-être a été largement critiquée par les économistes plus radicaux. À travers les théories sociologiques, des approches plus explicites de la qualité de vie au travail ont émergé. Selon Green (2007), ces approches sont reliées par leur présomption théorique fondamentale des besoins humains et de la valeur qui leur est accordée. Ce fondement théorique s’oppose à la notion de rationalité des individus ou « homo economicus » au cœur de l’économie traditionnelle. L’approche sociologique est centrée sur : 1) les besoins objectifs contrairement aux préférences individuelles et 2) le développement social de l’individu à travers les activités créatives libres pour étudier le bien-être (Brown et al., 2007). Donc, cette approche conçoit un dualisme cartésien du corps et de l’esprit et préconise la vision selon laquelle la nature humaine, les activités humaines et les besoins humains sont intimement interconnectés et en continuel développement (Ibid). Par conséquent, le bien-être humain n’est pas une entité fixe, mais plutôt multidimensionnelle, se développant selon l’environnement social et culturel (Ibid). Dans ces conditions, la mesure de la qualité d’emploi doit englober plusieurs dimensions comme le contenu créatif de l’emploi, les perspectives salariales, l’intérêt pour l’emploi, les

font) telles que la satisfaction à l’égard de l’emploi. Ceci s’explique en partie par la méfiance envers la vraie signification des mesures de l’utilité individuelle.

48 Cela peut aussi signifier que les économistes supposent que le salaire reflète les autres éléments de la qualité d’emploi.

relations avec les collègues, la position hiérarchique, la latitude décisionnelle, l’utilisation des compétences et les efforts consentis (Ibid).

La tradition sociologique provient en partie du marxisme qui propose que la distinction fondamentale entre les humains et les animaux soit la planification consciente de leurs activités productives. S’appuyant sur cette prémisse, la tradition sociologique a mis le concept de compétence au centre de la qualité de vie au travail. Pour les tenants de cette approche, le taylorisme et la division scientifique du travail sont vus comme contribuant à la déshumanisation du travail. À l’opposé, les périodes posttayloriste et postfordiste qui donnaient plus d’autonomie aux travailleurs par le biais d’une plus grande participation dans la prise de décision et un plus grand contrôle sur leurs tâches quotidiennes sont considérées plus positivement. Cette approche rallie des penseurs non marxistes qui sont plus positifs quant à la place de la qualité d’emploi dans une économie capitaliste, mais qui mettent aussi l’accent sur l’initiative, le pouvoir, le développement des compétences et la participation au travail.

De son côté, la psychologie organisationnelle a cumulé de nombreux appuis empiriques de la corrélation entre la satisfaction en emploi et le bien-être affectif (Green, 2007). La littérature ne cesse de reconfirmer l’importance pour les travailleurs d’avoir de la latitude décisionnelle et une grande confiance de la part de leur employeur. De plus, l’approche psychologique indique que le milieu de travail est un lieu social, ce qui explique la prise en compte des relations interpersonnelles entre les travailleurs dans l’évaluation de la qualité de vie au travail.

Ainsi, dans la tradition sociologique, la compétence, le pouvoir, l’autonomie décisionnelle, la participation à la prise de décision, la relation avec l’employeur et les relations interpersonnelles avec les collègues sont des facettes de la qualité d’emploi des individus.

Selon Green (2007), l’étude exclusive du salaire par les économistes traditionnelles et la prise en compte de plusieurs facteurs (sauf le salaire) par les sociologues créent un obstacle potentiel à la pleine compréhension de la qualité d’emploi. Conséquemment, dans son livre, il a choisi d’utiliser une approche interdisciplinaire de la qualité d’emploi qui s’appuie sur le concept de « capabilities » popularisé par Amartya Kumar Sen qui a reçu le prix Nobel d’économie en 1998 pour ses travaux sur l’économie du bien-être49. Cette notion de « capabilities » réfère à la capacité de la personne à utiliser une série de modes de fonctionnement qui montrent qu’elle est libre de mener le type de vie qu’elle souhaite. Selon la conception du bien-être de Sen, faire une activité x a une valeur inférieure à choisir et faire une activité x. La liberté de choisir son emploi ou ses tâches accentue ainsi le bien-être au travail.

Or, selon l’approche de Sen, la qualité d’emploi dépend donc d’une série de modes de fonctionnement et de la valeur accordée à chacun de ces modes de fonctionnement. En ce sens, le cadre théorique de Sen est similaire à celui de la tradition sociologique avec son accent sur l’autonomie, la compétence et les relations sociales, mais il inclut aussi les rétributions matérielles présentes et futures de l’emploi (Green, 2007). Sen rejette la loi universelle du marché pour établir la valeur d’un emploi et suggère plutôt de choisir un

ensemble d’items valorisés selon les circonstances. À son avis, les items ou les dimensions à considérer pour évaluer la qualité d’emploi dépendent des préoccupations et des valeurs sous- jacentes. Pour lui, il n’y a pas d’autres issues possibles que de faire un choix (Ibid). À ce sujet, dans ce qui suit, les choix réalisés dans quelques études récentes à propos des dimensions à privilégier pour mesurer la qualité d’emploi seront énoncés.