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CHAPITRE 1 : LES POLITIQUES D’IMMIGRATION ET LA PERFORMANCE DES

1.2. La situation des immigrants dans le marché du travail : trois problèmes majeurs

1.2.2. L’emploi atypique : un phénomène plus courant chez les immigrants

1.2.2.3. Les emplois temporaires chez les immigrants

Souvent utilisée en tant qu’indicateur de la qualité d’un emploi, la stabilité d’emploi se réfère à la permanence et à la durée de l’emploi détenu (Godin et Renaud, 2005). Par contre, lorsqu’on s’intéresse aux immigrants dans le marché du travail, il faut garder en tête que l’instabilité d’emploi ou les changements d’emploi peuvent témoigner d’une mobilité professionnelle. Dans ce cas, le fait de changer d’emploi pour un meilleur ne devrait pas être interprété comme une situation négative (Girard, 2002; Godin et Renaud, 2005). Tant l’absence de permanence que la difficulté à se maintenir en emploi seront associées à un statut précaire dans le marché du travail. Dans les lignes qui suivent, les résultats de cinq études portant sur ces aspects de la relation d’emploi seront exhibés.

Dans la première étude réalisée à partir des données de l’EDTR de 1993 et 1994, Thomas et Rappak (1998) ont analysé la stabilité des immigrants dans le marché du travail qu’ils ont mesurée à l’aide du risque d’être sans emploi ou au chômage. Dans un premier temps, ils ont trouvé que les immigrants couraient un plus grand risque que les non-immigrants d’être au chômage. Dans un second temps, ils ont déterminé que le temps requis pour que la probabilité d’être au chômage des immigrants soit la même que celle des non-immigrants est en moyenne de 15,6 ans. Ce résultat signifie que les immigrants sont plus instables dans le marché du travail que les natifs; une situation de précarité qui perdure pour une période de15 ans.

Dans une deuxième étude réalisée à l’aide des données de l’Enquête longitudinale sur l’Établissement des nouveaux immigrants (ÉNI)19, Girard (2002) a trouvé que l’âge et le niveau de scolarité ont un effet sur la probabilité d’être en emploi de façon continue. En effet, les immigrants arrivés à 51 ans et plus et les immigrants les plus scolarisés sont plus enclins à connaître des épisodes de chômage. De plus, elle a trouvé que la relation entre la stabilité d’emploi et le salaire est curvilinéaire, c’est-à-dire que le fait d’occuper un emploi peu payant accélère le risque de sortie d’une période continue en emploi, et le fait d’occuper un emploi très payant accentue aussi ce risque. Donc, l’auteure a dû infirmer son hypothèse selon laquelle les immigrants qui occupent un emploi peu payant ont une plus grande stabilité dans le marché du travail, car ils sont emprisonnés dans un ghetto d’emploi20. Selon son analyse, les emplois mal rémunérés ne seraient pas plus stables que les emplois bien rémunérés.

Dans une autre étude réalisée à partir des mêmes données, Godin et Renaud (2005) ont aussi trouvé que les immigrants atteignent une certaine stabilité dans le marché du travail avec le temps, c’est-à-dire que leur situation s’améliore. Néanmoins, les résultats de cette étude indiquent que les femmes et les immigrants provenant de l’Afrique du Nord, du Moyen- Orient, de l’Asie de l’Est, du Pacifique et de l’Afrique subsaharienne ont plus de difficultés à se maintenir en emploi que les immigrants originaires de l’Europe de l’Ouest. Le genre et la région d’origine ont donc un effet sur la stabilité des immigrants dans le marché du travail. Par surcroît, cette étude a aussi révélé que la connaissance prémigratoire du français et de l’anglais n’améliore pas la stabilité des immigrants dans le marché du travail, et ce, peu importe le

19 Ces données ont été recueillies auprès de 1000 immigrants arrivés au Québec en 1989 et suivis sur une période de 10 ans.

temps écoulé depuis l’arrivée au Canada. Ce fait est plutôt inusité, car on aurait pu s’attendre à de meilleurs résultats des immigrants qui maîtrisent mieux le français ou l’anglais, mais il paraît logique que les barrières linguistiques n’agissent plus sur la situation en emploi après l’embauche. En effet, ces barrières ont peut-être davantage un effet négatif lorsque les immigrants cherchent un emploi plutôt que lorsqu’ils en possèdent déjà un.

Plutôt que de se centrer sur la probabilité de se maintenir en emploi, les deux études suivantes se sont intéressées à la probabilité qu’un immigrant occupe un emploi temporaire. L’emploi temporaire se définit comme étant un emploi qui ne dure pas toute l’année ou qui a une durée déterminée. On peut en distinguer quatre formes selon l’EDTR : i) les emplois saisonniers, ii) les emplois à durée déterminée ou contractuels, iii) les emplois occasionnels et iv) les emplois trouvés par l’intermédiaire d’une agence de placement temporaire (Fuller et Vosko, 2008).

La première des deux études établit une comparaison de la prévalence de l’emploi temporaire chez les femmes, les minorités ethniques et les immigrants récents (Fuller et Vosko, 2008). Dans cette étude réalisée à l’aide de l’EDTR de 2002-2004, quatre groupes ont été comparés selon leur probabilité de se retrouver dans un emploi temporaire : i) les non-immigrants et non membres d’une minorité visible (groupe de référence), ii) les non-immigrants membres d’une minorité visible, iii) les immigrants récents membres d’une minorité visible, iv) les immigrants récents non membres d’une minorité visible. Ces analyses ont été effectuées séparément pour les hommes et les femmes. Contrairement à la plupart des études, les immigrants récents de

20 Selon Girard (2002), un « ghetto d’emploi » est un regroupement d’emplois stables, mais de mauvaise qualité. Les enclaves ethniques sont souvent vues comme des ghettos d’emploi.

cette étude réfèrent à ceux arrivés au Canada au cours des 15 dernières années, c’est-à-dire ceux arrivés après 1987. Les non-immigrants regroupent les personnes nées au Canada ainsi que les immigrants arrivés au pays avant 1987. Le tableau 17 expose les probabilités de chacun des quatre groupes de travailleurs d’avoir occupé un emploi temporaire au cours de la période 2002-2004 lorsque l’âge, la scolarité, l’expérience de travail, l’état matrimonial, le fait d’avoir des enfants à charge et le lieu de résidence sont contrôlés.

Tableau 17 : Probabilité d’avoir occupé un emploi temporaire comme emploi principal selon le sexe, le statut d’immigrant et l’appartenance à une minorité visible en 2002-2004

(%) Hommes Emploi occasionnel Emploi contractuel Emploi saisonnier Agence de placement Non-immigrants et non membres d’une

minorité visible (groupe référence) 7,1 13,5 11,2 0,5 Non-immigrants membres d’une

minorité visible 4,7 12,3 5,5 2,1

Immigrants non membres d’une

minorité visible 4,2 17,0 8,1 0,0

Immigrants membres d’une minorité

visible 10,4 14,6 3,6 2,6

Femmes Non-immigrants et non membres d’une

minorité visible 11,0 16,7 6,9 0,7

Non-immigrants membres d’une

minorité visible 14,8 21,2 3,9 0,7

Immigrants non membres d’une

minorité visible 12,5 12,8 10,2 0,7

Immigrants membres d’une minorité

visible 11,6 10,5 4,2 3,0

Ce tableau nous apprend que les probabilités d’avoir occupé un emploi temporaire ainsi que la répartition dans chaque forme d’emploi temporaire varient selon le sexe, le statut d’immigrant et l’appartenance à une minorité visible. Pour les hommes, les immigrants membres d’une minorité visible ont plus de risque que le groupe de référence d’occuper un emploi occasionnel, un emploi contractuel et un emploi trouvé par l’intermédiaire d’une agence de placement. On peut donc conclure que ce groupe est désavantagé sauf sur le plan de l’emploi saisonnier. Les immigrants qui ne sont pas membres d’une minorité visible ont plus de risque que le groupe de référence d’occuper un emploi contractuel et les non-immigrants membres d’une minorité visible ont plus de risque d’occuper un emploi trouvé par l’entremise d’une agence de placement que le groupe de référence.

Pour ce qui est des femmes, les non-immigrantes membres d’une minorité visible ont plus de risque d’occuper un emploi occasionnel et un emploi contractuel que le groupe de référence. Les immigrantes non membres d’une minorité visible ont plus de risque d’occuper un emploi occasionnel et un emploi saisonnier que le groupe de référence, tandis que les immigrantes membres d’une minorité visible ont plus de risque d’occuper un emploi occasionnel et un emploi trouvé par le biais d’une agence de placement que le groupe de référence. Ainsi, selon ces résultats, tant le sexe que les statuts d’immigrants et de membres d’une minorité visible ont un effet sur la probabilité d’occuper un emploi temporaire.

Le tableau 18 rapporte les résultats d’une autre étude sur les emplois temporaires qui est fondée sur les données de l’EPA de 2008. Dans cette étude, Gilmore (2009) a trouvé que la proportion d’immigrants récents (ceux établis au Canada depuis 5 ans ou moins) de 25 à 54

ans qui occupaient un emploi temporaire (16,0 %) en 2008 représentait près du double de celle de la population née au Canada dans le même groupe d’âge (8,3 %).

Tableau 18 : Pourcentage des travailleurs de 25 à 54 ans occupant un emploi temporaire selon le statut d’immigrant en 2008 (%)

Population née au Canada Total des immigrants Immigrants arrivés depuis moins de 5 ans Immigrants arrivés entre 5 à 10 ans Immigrants arrivés depuis plus de 10 ans Emploi temporaire1 8,3 9,7** 16,0** 11,7 7,2**

1Les travailleurs autonomes ont été exclus.

**Écart significatif par rapport à la population née au Canada au seuil de 5 %. Source : Gilmore (2009)

Au contraire, les immigrants arrivés au pays depuis plus de 10 ans avaient moins de risque d’occuper un emploi temporaire dans le marché du travail (7,2 %) que les natifs. Par conséquent, le temps écoulé depuis l’arrivée au Canada semble jouer un rôle positif dans l’accès à un emploi permanent. Dans un autre ordre d’idées, l’auteur a aussi trouvé que les travailleurs nés au Canada âgés de 25 à 54 ans avaient plus d’années d’ancienneté (expérience de travail) que les immigrants, et ce, même pour les immigrants arrivés au Canada depuis plus de 10 ans. Selon l’auteur, ce point est un aspect important de la sécurité d’emploi, ce qui peut expliquer en partie que les immigrants se retrouvent moins fréquemment dans les emplois permanents que les natifs.

En résumé, dans cette sous-section, les études présentées ont indiqué que les immigrants ont une moins grande stabilité dans le marché du travail et que les immigrants récents sont plus enclins à occuper un emploi temporaire que les natifs. Le temps écoulé depuis l’arrivée au

Canada ressort donc parmi les déterminants importants de l’accès à un emploi permanent. Le genre, l’âge, le niveau de scolarité, l’expérience de travail, le pays d’origine et le fait d’être membre d’une minorité visible ont aussi été identifiés comme facteurs qui peuvent influer sur la stabilité dans le marché du travail et le fait d’occuper un emploi temporaire. Dans ce qui suit, les études qui ont comparé la prévalence des immigrants et des natifs dans les emplois à temps partiel seront au centre des analyses.