LA GESTION DIFFÉRENCIÉE DES ESPACES VERTS
5.4 Les thèmes abordés
Initiées à l’été de 1998, les discussions de groupe entre les quatre principaux intervenants visent à définir les directives d’un protocole d’entretien dont la mise en application sur le terrain permet de créer un type particulier de paysage, un paysage que l’on juge acceptable pour le public. Tout en cherchant à réduire au minimum les interventions d’entretien, ce qui permet de générer des économies de main-d’oeuvre, d’équipement et de pesticides, ce protocole doit également déboucher sur l’aménagement de sites esthétiquement agréables, susceptibles de récolter l’approbation du public. Le défi des intervenants consiste dans ces circonstances à trouver un équilibre d’approche entre un “laisser-aller”, favorable à la réalisation d’économies d’échelle, et un certain ”interventionnisme”, perpétuant une forme de gestion onéreuse et peu écologique des espaces verts. Une lecture attentive des verbatims de discussion de groupe fait ressortir que les échanges ayant eu lieu entre les acteurs à ce sujet se sont concentrés autour de six thèmes. Chaque thème est un segment de prise de décision qui participe en bout de piste à définir une représentation spécifique des sites à naturaliser. Ces thèmes vont comme suit: le moment approprié de la fauche, le mandat du spécialiste en écologie végétale, les espèces appropriées à introduire, la problématique de l’herbe à poux, les techniques de naturalisation à utiliser, le rapport aux citoyens.
Chaque thème fera l’objet d’un développement en quatre temps. Dans un premier temps, est expliqué le thème proprement dit, en quoi il consiste et quels sont les éléments sur lesquels les intervenants prennent position. Dans un deuxième temps, est décrite la façon caractéristique de chacun des intervenants d’aborder le thème. Dans un troisième temps, sont exécutées les étapes deux à cinq de notre méthodologie d’analyse. Rappelons qu’il s’agit (étape 2) de diviser les extraits de discussion réunis sur chacun des thèmes en “scènes” et en “interventions”, (étape 3, premier temps) de préciser les dispositifs de coordination mobilisés par les acteurs dans leurs interventions (instruments de mesure, équipements, directives, statistiques, connaissances formelles, savoir d’expérience, normes, procédures, principe, etc.), (étape 3, deuxième temps) d’identifier dans quels principes supérieur d’organisation sociale s’inscrivent les dispositifs mobilisés, (étape 4) de repérer à quels régimes d’action correspond le travail d’accommodement réalisé par les acteurs, et enfin, (étape 5) de mettre en lumière le registre d’accord en vertu duquel se règle le litige engendré par la présence de principes supérieurs d’organisation sociale différents. Dans un quatrième temps (étape 6), un bref retour sera effectué sur l’analyse
précédente. Seront identifiés les dispositifs de coordination sur lesquels s’articule la décision finale ainsi que les principes d’organisation sociale auxquels renvoient ces dispositifs55.
Pour des fins de clarté, nous emploierons au cours du texte les trois règles de présentation suivante. Nous mettrons entre guillemet chacun des dispositifs de coordination utilisé par les acteurs. Par exemple, “une date d’échéance”, “un processus biologique”, “un savoir d’expérience”. Nous mettrons en italique les principaux concepts relatifs à notre cadre conceptuel:
dispositif de coordination, régime d’action, registre d’accord, principes d’organisation sociale.
Nous mettrons enfin entre guillemet et en italique les extraits de discussion de groupe que nous utiliserons afin de rendre visible notre propos. Par exemple, “Plus on va avoir des sols riches, plus on va avoir une diversité d’espèce” (acteur B). Ces quelques élément étant précisé, nous pouvons maintenant procéder à la première analyse.
5.4.1 Le moment approprié de la fauche
D’après les commentaires reçus en 1997, lors de la première année d’expérimentation, les citoyens n’étaient pas prêts à un retour complet de la nature sur les sites de gestion différenciée.
Dans ce contexte, les acteurs de la prise de décision s’entendent pour dire que le changement de végétation doit être introduit de façon graduelle. En 1998, lorsque débute la première réunion, ils conviennent de faucher les sites de temps à autre, mais empruntent des points de vue différents quant à la fréquence de fauche à adopter. La discussion qui s’engage entre eux vise donc à préciser à quelle intervalle la couverture végétale des sites doit être coupée, et à quel moment de l’année cette coupe doit avoir lieu. Ce thème est le premier à avoir été traité par les participants lors de la première réunion. Leurs échanges dévoilent à ce chapitre tout le travail d’ajustement qui s’amorce entre eux. Avant d’en saisir tous les détails, il convient de rappeler en quelques mots leur position initiale.
Dans le but de matérialiser sa vision idéale des sites de gestion différenciée, le spécialiste en écologie végétale exprime sa préférence envers la croissance ininterrompue de la végétation: “Ça
55Rappelons que l’étape 7 de notre méthodologie d’analyse s’applique à la cinquième partie de ce chapitre. Dans la construction sociale de la représentation de l’environnement, sont mis en lumière les dispositifs de coordination et les principes d’organisation sociale qui sont sédimentés dans la représentation finale des sites à naturaliser.
va changer si on donne la chance à la végétation de changer. Il faut laisser le temps à la nature de faire son oeuvre et ça, on ne peut pas passer à coté de ça” (entretien acteur B). Il ajoute que cette orientation s’inscrit dans la philosophie de la gestion différenciée dont “le but final reste de ne pas intervenir” (ibid.). Par la même occasion, il précise que la tonte des milieux devrait être effectuée juste avant que les semences d’arbres ne prennent racine dans le milieu. Dans ce contexte, dit-il, ”il est peut-être important de couper de temps en temps, mais pas de façon annuelle, aux trois, quatre mois” (ibid.)56. Le responsable du projet épouse de son côté une conception plus interventionniste: “On a besoin d’avoir des milieux qui donnent l’impression d’être ordonnés et entretenus. Il faut mettre de l’ordre dans la nature” (4e discussion de groupe).
À la différence du spécialiste en écologie végétale qui exclut un intervalle de fauche annuelle, le responsable du projet favorise plutôt cette option: “Il faut que ça soit organisé, ordonné un peu plus. D’où la tonte une fois par année” (ibid.). Partant de leur position respective, voyons comment les deux acteurs en arrivent à s’entendre sur un intervalle et un moment approprié de fauche. Un examen approfondi de l’ensemble des extraits de discussion de groupe réuni sur cette question amène à conclure que la prise de décision se déroule en trois scènes.
Scène 1. Dans la première scène, la succession des interventions effectuées par les acteurs dénote