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DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

4.2   Stratégie  de  l’étude  de  cas

La  stratégie  d’étude  de  cas  permet  de  comprendre  les  phénomènes  humains  dans  les  contextes  où   ils  se  déroulent  afin  de  voir  comment  ils  s’y  manifestent  et  se  développent  (Yin,  1994). Dans le cadre de notre recherche, on y reconnaîtra plus particulièrement une stratégie générale de cueillette,  de  traitement  et  d’analyse  de  l’information  permettant  de  mettre  en  relief  le  caractère   évolutif  et  complexe  d’un  phénomène  qui  comporte  sa propre dynamique (Collerette, 1996).

4.2.1 Principes généraux

On   recourt   à   l’étude   de   cas   lorsqu’on   s’intéresse   à   un   phénomène   (une   situation   ou   une   expérience)  de  la  vie  courante  qui  a  un  caractère  unique  et  sur  lequel  on  n’a  peu  de  contrôle.  

L’étude  du cas permet de retracer et de mettre en relation la pluralité des facteurs et des rapports sociaux  qui  contribuent  à  la  mise  en  forme  d’un  phénomène.  Le  cas  donne  en  ce  sens  à  voir  un   segment  de  réalité  “en  train  de  se  faire”.  Au  plan  méthodologique,  il  joue  un  rôle  d’intermédiaire.  

Il  n’intéresse  l’analyste  que  dans  la  mesure  où  il  constitue  un  support  facilitant  sa  compréhension   d’un  ensemble  de  réalités  de  même  type  ou  encore,  de  phénomènes  sous-jacents. Au-delà de ses propriétés intrinsèques, le cas permet  d’accéder  à  un  niveau  de  logique  supérieur.

Un   cas   peut   recouvrir   une   grande   diversité   de   situations.   Il   peut   s’agir   d’une   école,   d’un   programme,  d’un  projet  spécifique,  d’un  réseau,  d’une  communauté,  etc.  L’étude  de  ces  situations   permet  d’expliciter des phénomènes aussi divers que les cycles de vie individuels, les processus organisationnels, les processus de prise de décision, les relations internationales, etc. Les caractéristiques   de   l’un   ou   l’autre   de   ces   phénomènes   ne   peuvent   être   immédiatement ni nécessairement généralisées sous forme de propositions théoriques. Dans une perspective déductive (Yin,  1994),  l’étude  d’un  cas  permet  pour  l’essentiel  de  vérifier  la  valeur  explicative  ou   prédictive   d’une   théorie   précédemment   élaborée.   Les   informations rassemblées peuvent

éventuellement enrichir ou nuancer le modèle explicatif déjà constitué. Dans une perspective inductive (ibid.),  l’étude  de  cas  est  une  source  de  connaissance  en  vue  de  mieux  comprendre  une   situation plus vaste ou un type de situation. En  conjonction  avec  d’autres  études  de  cas,  c’est-à-dire dans une perspective multi-cas,  elle  permet  d’expliciter  les  traits  récurrents  d’un  phénomène,   débouchant  éventuellement  sur  la  formulation  d’une  théorie  explicative.  Qu’elle  emprunte  l’une   ou   l’autre   de   ces   perspectives,   l’étude   de   cas   ne   saurait   être   appréhendée   en   terme   de   représentativité au sens statistique (Collerette, 1996). Les savoirs inférés de ce mode de connaissance   ont   un   caractère   de   validité   parce   qu’ils   nous  apprennent  quelque  chose  sur le phénomène lui-même, permettant de considérer sa dimension proprement idiosyncrasique, et aussi,  parce  qu’ils  sont  transférables  à  des  cas  semblables,  permettant  de  mieux  comprendre  des   phénomènes communs.

Stake  (1994)  précise  par  ailleurs  qu’il  existe  trois  types  d’étude  de  cas:  instrumentale,  intrinsèque   et  multiple.  L’étude  de  cas  instrumentale se  concentre  sur  les  situations  qui  permettent  d’illustrer   un modèle interprétatif déjà défini. La connaissance proprement dite de la situation (du phénomène  ou  de  l’expérience)  importe  moins  que  sa  capacité  à  apporter  des  précisions  quant  aux   propriétés   explicatives   de   la   théorie.   L’étude   de   cas  intrinsèque s’intéresse   pour   sa   part   aux   phénomènes, aux situations ou aux expériences qui ont un caractère unique ou très rare. Leur investigation   vise   à   rendre   compte   d’une   information   particulièrement   riche.   L’étude   de   cas   multiple examine enfin plusieurs phénomènes de façon simultanée. Le plus souvent utilisé dans les recherches adoptant une approche inductive, ce  type  d’étude  vise  à  repérer  les  traits  récurrents   de ces différents phénomènes.

Sur la base des informations qui précèdent, nous pouvons maintenant préciser que notre intérêt envers   les   mécanismes   de   la   prise   de   décision,   d’une   part,   et   les  cités au fondement de la représentation  des  sites,  d’autre  part,  s’incarnera  à  travers  l’examen  attentif  de  deux  cas  de  prise   de  décision.  Il  s’agira  d’une  étude  multi-cas, empruntant une orientation instrumentale, laquelle vise à confirmer, à contraster ou encore à compléter une théorie explicative déjà définie. Notre étude multi-cas articulera par ailleurs une démarche déductive à une démarche inductive. Le raisonnement déductif est lié au fait que la cueillette des données, leur traitement et leur analyse sont en bonne  partie  informés  par  les  concepts  d’analyse  du  cadre  conceptuel.  En  ce  qui  nous  

concerne, rappelons-le, nous allons tenter de rendre compte des mécanismes de la prise de décision  à  l’aide  de  quatre  concepts:  1)  les  régimes  d’action  dans lesquels évoluent les acteurs, 2) les dispositifs de coordination (ressources,  références  ou  repères)  qu’ils  mobilisent  dans  leurs   interactions, 3) les cités auxquels  renvoient  l’usage  de  ces  dispositifs,  et  4)  les  registres  d’accord en vertu desquels se dénoue le litige entre les cités impliqués  dans  l’action.  Le  raisonnement   déductif  s’applique  aussi  à  notre  second  objectif  de  recherche.  Nous  voulons  préciser  sur  quelles   cités s’articule   la   représentation   finale   des   sites   à   naturaliser.   Le   fait   que   nous   n’ayons   pas   d’hypothèse forte a priori sur la façon dont se construit la coordination proprement dite des sujets nous conduit également à emprunter un raisonnement inductif. Suivant ce raisonnement, nous partirons de nos données empiriques afin de reconstruire la trame de la négociation entre les acteurs.  C’est  une  fois  la  morphologie  des  processus  d’accord  reconstruite  (raisonnement  inductif) que  nous  pourrons  repérer  lesquels  des  éléments  de  notre  cadre  conceptuel  s’applique  au  travail   d’accomodement  proprement  dit  des  acteurs (raisonnement déductif).

La   mise   en   oeuvre   d’une  étude  multi-cas se caractérise par ses étapes 1) de cueillette, 2) de traitement et  3)  d’analyse des informations. Les phases de cueillette et de traitement renvoient à l’ensemble  des  processus  de  sélection,  d’organisation  et  d’abstraction  des  données.  Ces  étapes   sont explorées dans la partie qui suit, techniques de cueillette et de traitement des données.

L’étape  de  l’analyse  vise  pour  sa  part  à  faire  ressortir  les  significations  manifestes  du  matériel recueilli. Il en sera question dans la partie technique  d’analyse  des  données.  Avant  d’aborder  ces   deux sections, nous précisons brièvement les démarches qui ont présidé à la sélection de nos trois étude de cas.

4.2.2 Sélection des études de cas

Le terrain de notre enquête est constitué de deux cas de processus de prise de décision. Chacun de ces  processus  se  déroule  dans  le  cadre  d’un  projet  de  naturalisation  d’espaces  verts  en  milieu   urbain. La première démarche de notre enquête a consisté à nous renseigner sur les projets de restauration  qui  étaient  en  cours  ou  qui  allaient  être  entrepris  au  Québec  entre  les  mois  d’avril   1998  à  décembre  1999.  Une  première  série  de  contacts  téléphoniques  effectuée  au  mois  d’avril   1998 a permis de dégager un portrait exhaustif de ces réalisations. Dans un cahier de cheminement, nous avons noté quelle était la nature de chacun des projets, qui en était le responsable  et  quelle  était  sa  durée.  Partant  de  cette  vue  d’ensemble,  nous  avons  établi  des  critères  

permettant de sélectionner  les  projets  les  plus  appropriés.  A  priori,  quatre  critères  s’imposaient.  Le   projet devait 1) correspondre à la définition courante de la restauration des écosystèmes, 2) avoir une certaine ampleur (plusieurs partenaires impliqués, plusieurs rencontres prévues), 3) être situé à  une  distance  raisonnable  et  4)  être  conciliable  avec  notre  présence  à  titre  d’observateur  extérieur.

La  sélection  d’un  projet  sur  la  base  de  ces  critères  s’est  avérée  rapidement  difficile.  Bon  nombre   de réalisations qui correspondaient à la définition de la restauration des écosystèmes se déroulaient en effet en région37. Certains projets étaient déjà terminés (ce qui nous empêchait de capter  les  détails  fins  de  l’ajustement  des  acteurs)  alors  que  d’autres  allaient  être  entrepris dans un avenir incertain. Dans certains cas, les rencontres entre les partenaires de la planification se déroulaient  de  façon  informelle  et  ponctuelle.  Dans  d’autres,  l’idée  que  les  rencontres  allaient  être   éventuellement enregistrées faisait problème. Ces difficultés initiales nous ont amené à revoir nos deux premiers critères de sélection. Suite à cette révision, certains projets a priori exclus devenaient  susceptibles  d’intérêt.  Notamment  les  projets  de  naturalisation  passifs  (où  on  laisse   libre-cours à la végétation spontanée) et actifs (par ensemencement et mise en terre de plantules) ainsi  que  les  projets  plus  modestes  en  terme  d’intervenants  et  de  rencontres  prévues.  Suivant  ces   réajustements, nous avons effectué une deuxième série de contacts téléphoniques au mois de mai 1998. Notre attention se centrait sur les réalisations locales, initiées par les membres de la communauté ou encore par les autorités locales. Dans ce contexte, plusieurs organismes à but non lucratif et municipalités de la grande région de Montréal ont été contactés. Ces démarches nous ont permis de repérer trois projets de naturalisation.

Le  premier  projet  est  celui  d’une  municipalité  de  l’île  de  Montréal  qui  a  entrepris  de  naturaliser   quelques-uns  de  ses  1800  hectares  d’espaces  verts.  Lors  de  la  première  année  d’expérimentation,   cette  municipalité  s’est  engagée  dans  un  processus  de  naturalisation  “passif”.  Elle  a  réduit  au   minimum ses interventions sur ces espaces afin de voir quelle végétation y poussait spontanément.

Très tôt  cependant,  les  réactions  des  citoyens  l’ont  amenée  à  abandonner  cette  approche  en  faveur   d’un  mode  de  naturalisation  “actif”.  À  l’été  de  1998,  a  débuté  une  série  de  réunions.  L’objectif  de  

37Par  exemple,  la  restauration  d’un  marais  situé  près  de  l’autoroute  Jean-Lesage à Rivière-du-Loup,  la  restauration  d’une  tourbière  située  le  long  du  Saint-Laurent  à  L’Isle-Verte,  la  restauration  d’un   marais en bordure du port de Cacouna en Gaspésie.

ces  réunions  était  de  définir  un  protocole  d’entretien  et  d’interventions dont la mise en application sur le terrain allait permettre de créer un type particulier de paysage, un paysage jugé acceptable par le public. Ce protocole a été défini au cours de cinq discussions de groupe auxquelles ont participé quatre intervenants.   Une   dizaine   d’employés   municipaux   (surintendants et agents techniques) ont pris part à deux de ces rencontres.

Le deuxième projet est un partenariat entre cette municipalité et un organisme provincial de mise en  valeur,  de  protection  et  d’aménagement des habitats fauniques. Sur trois espaces verts de la municipalité laissés à la naturalisation, ont été aménagé un habitat pour la faune aviène et les petits  mammifères.  Le  projet  a  consisté  à  développer  un  protocole  d’aménagement  pouvant  être   repris et  appliqué  par  d’autres  municipalités  québécoises  n’ayant  pas  de  service  d’entretien  et   d’horticulture  à  leur  actif.  Ce  protocole  a  été  défini  lors  de  six  discussions  de  groupe  auxquelles   ont participé six personnes (quatre occasionnelles et deux régulières).

Le troisième projet est une collaboration entre une municipalité de la rive-sud de Montréal, un organisme  régional  d’aménagement  du  territoire  et  un  organisme  de  développement  local.  Ce   projet  visait  à  naturaliser  les  berges  d’une  île,  propriété  de  la municipalité, située au centre du fleuve Saint-Laurent. Après une première discussion de groupe entre les trois intervenants38, le projet   avorta.   D’après   la   version   du   promoteur   du   projet,   représentant   de   l’organisme   de   développement local, la municipalité   n’était   pas   prête   à   libérer   le   personnel   et   l’outillage   nécessaire à la réalisation des travaux. Quelques jours avant la première discussion de groupe, nous avons réalisé trois entretiens semi-directifs avec les représentants des trois parties impliquées.   Ces   entretiens   ont   été   explorés   mais   n’ont   pas   été   retenus.   Ils   dévoilent   des   informations importantes sur les objectifs, les enjeux et retombées du projet, mais restent silencieux  sur  les  détails  relatifs  à  l’ajustement  réciproque  des  acteurs.  Pour  mettre en lumière les mécanismes proprement dit de la prise de décision, et les cités au fondement de la représentation des  sites,  nous  sommes  dès  lors  dans  l’obligation  de  restreindre  notre  recherche  aux  deux  premiers   cas sélectionnés.

38Nous  n’avons  pas  pu  assister  à  cette  rencontre  parce  qu’elle  se  déroulait  au  même  moment   qu’une  discussion  de  groupe  menée  dans  le  cadre  du  premier  projet.

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