qui ont eu lieu sur ces thèmes. Pour fins de clarté, nous reconstituerons la généalogie des échanges au moyen des notions de “scène” et d’“intervention”. Un exemple relatif au thème des “espèces à introduire” permettra de comprendre de quoi il s’agit. Les extraits de discussion de groupe réunis sur ce thème démontrent que les acteurs ont discuté tour à tour de trois aspects. Ils ont échangé sur la hauteur des espèces à introduire, sur leur capacité à coloniser rapidement le milieu et sur le coût respectif de leurs semences. Chacune de ces trois facettes de la question renvoie à ce que nous appelons une “scène”, c’est-à-dire, à une succession d’interactions relatives à un aspect ou à une dimension particulière d’un thème. L’acte au cours duquel un acteur exprime ses préférences envers un type particulier d’espèce constitue par ailleurs une “intervention”. Une intervention est en ce sens la parole que prend un acteur afin d’adresser un message à son interlocuteur. Sur la base de ces deux notions, on constatera donc que chaque thème est divisé en une ou plusieurs scènes, et que chaque scène est une succession d’interventions effectuées par chacun des acteurs.
Étape 3. La troisième étape est notre proposition d’analyse des “interventions” effectuées par chacun des acteurs. Comme nous le disions plus tôt, il n’existe pas de modèle préétabli en analyse de contenu. Si les grandes phases de traitement de l’information propre à cette technique ont été synthétisées par plusieurs auteurs45, il revient néanmoins à chaque analyste à les transposer à son corpus d’étude. Aussi chaque chercheur a-t-il à faire “un effort d’innovation dans l’élaboration de ses techniques” (Pourtois et Desmet, 1988, 201). Dans cette voie, la troisième étape de notre méthodologie d’analyse se divise en deux. Dans un premier temps, elle consiste à repérer, dans chacune des interventions effectuées par les acteurs, les ressources et les références qu’ils mobilisent afin de rendre intelligible la nature de leurs propres intentions ou propositions auprès d’autrui. Ces ressources et ces références, rappelons-le, peuvent être de nature matérielle ou immatérielle. Il peut s’agir de livres, d’articles, d’instruments de mesure, d’équipements, de
45On consultera entre autres, A. Blanchet et A. Gotman (1992), R. Landry (1993), R. Lécuyer (1987), Guibert et G. Jumel (1997), Pourtois et H. Desmet (1988).
directives, de statistiques, de connaissances formelles, de savoir d’expérience, de normes, de procédures, etc. Ces ressources et ces références peuvent correspondre à un mot, à un groupe de mots ou plus exceptionnellement, à une phrase ou à une portion de phrase. Dans les termes de Bardin (1977, 103), ces entités sur lesquelles s’effectue l’analyse sont appelées “unité d’enregistrement”. En ce qui nous concerne, nous retiendrons l’expression dispositif de coordination, une expression utilisée par Boltanski et Thévenot (1991) ayant une signification identique à celle de Bardin, et qui réfère aux ressources matérielles et immatérielles auxquelles recourent les acteurs afin d’expliciter un message ou une intention auprès d’autrui.
Dans un deuxième temps, il s’agit de regrouper en catégories d’analyse les dispositifs de coordination qui ont des caractéristiques semblables46. Le choix des catégories est une étape importante de la recherche, car de ces catégories dépend en fin de compte la mise au jour des caractéristiques spécifiques du phénomène étudié. Les catégories opèrent un lien entre l’objectif initial de la recherche et les résultats finaux (Grawitz, 1996). C’est sur la base de l’information qui s’y trouve rassemblée que l’analyste peut en fin de compte dire quelque chose sur le matériel recueilli. Aussi conviendrons-nous avec Berelson que “l’analyse de contenu tient ou s’effondre par ses catégories” (cité par L’Écuyer, 1987, 56). La définition des catégories d’analyse, rappelons-le, peut s’effectuer de trois façons: inductive, déductive ou mixte. Dans le cadre de notre recherche, les catégories dans lesquelles nous allons répertorier nos dispositifs de coordination sont déjà données par la théorie des régimes d’action. Ces catégories sont les sept principes d’organisation sociale repérés par Boltanski et Thévenot (1991). Il s’agit des principes civique, industriel, domestique, du renom, marchand, de l’inspiration et écologique. Tout en obéissant aux critères normalement attendus d’exhaustivité, d’objectivité et de pertinence, on remarquera que ces catégories, de l’avis même des auteurs47, n’ont pas la prétention à
46La mise en catégories des dispositifs de coordination n’est pas toujours un exercice facile à réaliser. Certains dispositifs se prêtent à plus d’un principe. Pour effectuer une mise en catégorie rigoureuse, il faut en conséquence s’imprégner du texte. Comme nous l’avons déjà dit lors d’une note précédente, c’est dans la structure, la forme et l’organisation de ce qui est dit, que se révèle le sens des mots.
47Les auteurs disent ceci: “Nous avons pu ainsi observer la mise en oeuvre de six principes supérieurs communs auxquels les individus ont, aujourd’hui en France, le plus souvent recours pour asseoir un accord ou soutenir un litige. On peut dire que ces principes constituent, à ce titre, un équipement politique fondamental pour confectionner un lien social. La liste de ces principes n’est d’ailleurs pas fermée, et on peut observer l’ébauche de constructions d’autres cités conformes au modèle proposé”
l’exhaustivité. D’autres principes supérieurs d’organisation sociale (ou cité) peuvent en effet se constituer. Or, comme le précise Bardin (1977), l’exhaustivité est l’une des qualités essentielles auxquelles doivent répondre les catégories pour que l’analyse soit valide. Dans ces circonstances, notre analyse de contenu procédera par catégorisation mixte. Grâce à cette approche, nous nous donnons la possibilité de repérer des dispositifs de coordination que les catégories déjà définies n’avaient pas anticipés. Le but est d’en arriver à élaborer un guide définitif de codification qui épuise la totalité du texte.
Au terme de cette troisième étape, nous sommes en mesure de suivre la trame de la discussion relative à chacun des thèmes abordés par les acteurs. Un tableau relatif à chacun de ces thèmes, présenté en appendice B et C, permet de suivre le déroulement de leurs échanges. Pour chaque scène, on y voit quel acteur intervient, sur la base de quel dispositif de coordination et à quelle(s) cité(s) renvoie le dispositif mobilisé. Après avoir complété cette étape descriptive, nous passerons à une étape d’avantage explicative.
Étape 4. Comme le précise Yin (1994), il y a peu de formules ou de recettes préétablies permettant de guider le chercheur à l’étape de l’exploration des données qualitatives. Aussi revient-il à chaque chercheur de développer son propre style. Cela étant, l’auteur fait mention de trois modèles d’analyse et d’interprétation possibles. Le modèle d’appariement amène le chercheur à interpréter les données empiriques qu’il a récoltées à la lumière d’un modèle théorique déjà donné. L’homologie plus ou moins grande qu’il constate entre les données et la théorie lui permet de valider ou d’invalider la force de cette dernière. Le modèle itératif est à l’inverse une approche d’interprétation lorsqu’aucun modèle théorique n’est proposé a priori. Le chercheur construit l’explication au fur et à mesure du dépouillement attentif de ses données. Le modèle historique consiste enfin à comparer ses prédictions sur l’évolution d’un phénomène quelconque avec les données empiriques accumulées.
Notre cadre interprétatif du processus de prise de décision, inspiré des théories de l’action, nous amène à adopter le modèle interprétatif de l’appariement. Dans ce type de raisonnement déductif, (Boltanski et Thévenot, 1991, 92).
il s’agit de voir en quoi les données manifestes, répertoriées dans les différentes catégories d’analyse, nous apprennent quelque chose sur le phénomène proprement dit de l’ajustement des acteurs. L’exercice consiste en d’autres mots à comparer les configurations empiriques observées avec les configurations théoriques (Yin, 1994). Dans la mesure où certaines conclusions inédites émergeraient de l’exploration de nos données, nous nous laissons également la latitude de raisonner en terme inductif. L’approche itérative permet à ce sujet de demeurer à l’affût d’éléments explicatifs qui se situent en dehors du cadre théorique au sens strict.
La quatrième étape de notre démarche d’analye consiste à repérer, pour chacun des thèmes abordés par les acteurs, l’ensemble caractéristique des compétences auxquelles ils recourent pour s’ajuster les uns aux autres dans les différentes circonstances d’interaction. Les régimes d’action représentent à ce titre des situations typiques d’interaction où l’élaboration d’une intersubjectivité fait appel à un répertoire de ressources mentales et gestuelles différents. Ces régimes d’action, rappelons-le, sont au nombre de cinq: en justice, du consensus, en autorité, de l’agapé, tactique-stratégique. Au-delà de l’identification du régime d’action proprement dit, cette étape explicative cherche à explorer les passages ou les basculements entre les régimes d’action.
Étape 5. La cinquième étape consiste à expliciter, pour chacun des thèmes abordés, de quelles