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3. Cas particulier du cinéma indien

1.2 Texte et image en conflit Ŕ l‟exemple de Slumdog Millionaire

Slumdog Millionaire, film marquant de l‟année 2009, réalisé par le Britannique Danny Boyle, et portant sur la société indienne, n‟a pas été reçu de la même manière en Inde et en Occident. L‟histoire est tirée du roman Les fabuleuses aventures d’un Indien malchanceux qui devint milliardaire (titre en anglais : Q & A), écrit par Vikas Swarup, écrivain d‟origine indienne. Danny Boyle nous apprend que Simon Beaufoy, le scénariste du film, « adapted

[this book] and made a lot of changes »357. De fait, le film est devenu un récit montrant l‟Inde selon l‟image que l‟Occident Ŕ ou du moins l‟équipe de réalisation Ŕ se fait de ce pays.

Nous pouvons noter que si ce film a connu un énorme succès en Occident, en Inde en revanche, il a reçu un accueil plutôt mitigé car les Indiens y ont vu une présentation de l‟Inde telle qu‟« imaginée par les Blancs ».

Dans un commentaire publié le 15 janvier 2010, Shobhaa De, journaliste et romancière indienne, déplorait en effet le succès du film en tenant les propos suivants : « […] The world is looking at India… and shivering. […] Then along comes Slumdog Millionaire […] and we are back to square one »358. Au lieu d‟être le symbole d‟un pas en avant pour l‟Inde, le film est considéré par certains comme rabaissant ce pays à une image caricaturale. Salman Rushdie quant à lui avait protesté contre l‟intrigue du film qui est selon lui « d'une prétention véritablement ridicule »359.

Suite au succès de ce film en Occident, plusieurs documentaires ont vu le jour à la BBC, et notamment Slumming It, de Kevin McCloud. Ce documentaire a provoqué un sentiment d‟indignation en Inde : l‟industrie touristique a accusé Kevin McCloud de faire du « "poverty porn" as it portrays a very wrong image of India‟s commercial capital and will affect its tourism »360. Il est vrai que le journaliste britannique dressait un portrait plutôt sombre des bidonvilles de Bombay, suscitant une vive réaction de l‟industrie touristique indienne. Selon lui, il existe néanmoins « a sense of community »361 que nous avons perdu dans nos sociétés occidentales. On peut penser après-coup que le film Slumdog Millionaire a provoqué un sentiment identique, même si cela n‟a pas été clairement exprimé. Il est certain que loin des paillettes de l‟univers bollywoodien, ce film possède une structure basée sur une série de flashbacks qui conduisent les spectateurs des bidonvilles de la ville de Bombay, jusqu‟au plateau télévisé du jeu Qui veut gagner des Millions ?

357 « A adapté ce livre et a effectué de nombreux changements ». (Notre traduction) Slumdog Millionnaire, Dvd 2 Ŕ Les Suppléments, « Interview de Danny Boyle par Laurent Weil », London: Celador Films Ltd and Channel 4 Television Corporation, 2008, 26 minutes.

358 « […] Le Monde se tourne vers l‟Inde… et frémit. […] Mais alors survient Slumdog Millionaire […] et nous retournons à la case de départ ». (Notre traduction) http://shobhaade.blogspot.com/2009/01/lets-go-slummingagain.html (consulté le 30/04/2010).

359 RUSHDIE, Salman, “A Fine Prickle” (on celluloid adaptations of novels), The Guardian, 28 February 2009, p 2

360 « "Poverty porn" puisque le documentaire dresse un faux portrait du capital commercial de l‟Inde qui aura des conséquences graves sur son tourisme ». (Notre traduction) http://www.dailymail.co.uk/news/article-1245838/Slumming-It-TV-presenter-Kevin-McCloud-accused-making-poverty-porn-India-show.html (consulté le 10/05/2010).

À travers cet exemple récent mais qui ne doit pas faire office de généralité, nous pouvons constater que l‟image de l‟Inde telle que véhiculée par ce film, n‟est pas une image dans laquelle le public indien se retrouve ou aime à se retrouver. Le passage du texte (indien) à l‟image (occidentalisée), semble poser problème et créer un conflit. Or, comme le cinéma populaire indien est encore peu connu en France, de même que dans d‟autres pays européens, le succès planétaire de Slumdog Millionaire a eu pour conséquence de diffuser une tout autre image de l‟Inde que celle véhiculée par le cinéma populaire.

Ce film présente donc une certaine image de l‟Inde, tout comme la littérature contemporaine en langue anglaise émanant de ce pays. Maintenant, il va de soi que pour comprendre les implications quasi politiques des images véhiculées et comprendre qui décide de celles-ci, il faudrait réaliser une étude complète de la diaspora indienne. Notons simplement que les images filmiques, qu‟il s‟agisse ou non de films populaires, sont des outils de communication donnant un aperçu de la culture du pays qu‟elles mettent en lumière Ŕ ou de celle dont est issue l‟équipe de réalisation. Et qu‟en cela, elles véhiculent une certaine image d‟un pays, de sa culture, de sa société ou de son organisation politique. Mais au-delà, lorsqu‟il est question d‟industrie cinématographique, les images rendent compte avant tout de la manière dont un pays décide de se montrer aux autres et, en cela, elles sont aussi un outil de communication politico-culturel.

Pour appuyer ces propos, nous pouvons avancer que les films indiens sont exportés en grande partie dans les pays où se trouve la diaspora indienne, sans oublier les pays du Maghreb. Dans le milieu cinématographique, la diaspora indienne est composée de personnes comme la réalisatrice Mira Nair qui, si elle ne respecte pas les codes des films bollywoodiens (avec la présence de danses, par exemple), n‟en aborde pas moins des sujets spécifiquement indiens, et rencontre un succès international.

La langue contribue également à la diffusion de la culture indienne dans le monde : en littérature, certains grands écrivains choisissent la langue anglaise pour avoir une portée internationale. En matière de cinéma, et notamment dans les films bollywoodiens, on utilise l‟Inglish : mélange de hindi et d‟anglais.

Après cette courte parenthèse, abordons à présent la question initiale de cette partie Ŕ à savoir comment les films bollywoodiens adaptent les mythes anciens Ŕ et voyons comment ils les transposent de différentes façons.