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1.2 La mythologie hindoue

1.2.5.3 Le Ramayana

C‟est tout naturellement que notre étude nous amène à aborder le deuxième grand poème épique indien qu‟est le Ramayana. Pour celui-ci comme pour le précédent, il est difficile de déterminer à quelle date il a été écrit. Jean-Claude Carrière nous apprend que dans la version longue du Mahabharata, nous pouvons trouver un résumé du Ramayana. Mais il est possible que cette référence ait été rajoutée plus tard et, de ce fait, son existence ne prouve rien. Selon Madeleine Biardeau, des éléments similaires dans les deux œuvres laissent à croire qu‟elles auraient été composées à des époques rapprochées.

De plus « Rama est le septième avatar de Vishnou, et Krishna […] le huitième. Cet argument n‟est pas plus décisif que le précédent, car personne ne peut dire à quelle date précise, et par qui, fut établie la liste des avatars : peut-être pas avant le XIIe siècle de notre ère, bien après la composition des deux poèmes »104.

103 Georges Dumézil, op cit, p 21

Si la question de la date de composition de cette épopée reste pour certains sans réponse, Serge Démétrian affirme pourtant que le Ramayana « aurait été écrit en langue sanskrite il y a environ trois mille ans, précédant de quelques siècles le Mahabharata, son épopée sœur »105

. Les opinions sont divergentes et tandis que certains spécialistes préfèrent avancer leur hypothèse, d‟autres laissent planer le doute.

Précisons que le fait d‟avoir positionné l‟étude du Ramayana en deuxième partie n‟est pas, pour nous, une manière de présenter ce récit comme postérieur. Notre choix résulte du fait que l‟histoire du Ramayana est beaucoup plus brève, certains diront même plus simple que celle de l‟autre épopée. « Alors que la structure du Mahabharata est composite, celle du

Ramayana est beaucoup plus unifiée »106. En effet, il y a moins d‟histoires secondaires dans le

Ramayana. Par ailleurs, nous pouvons ajouter que, selon Louis Renou, autre spécialiste de l‟Inde, il ne fait pas l‟ombre d‟un doute que le Ramayana a été écrit par un seul auteur ayant pour nom Valmiki. Ce dernier était un sage dont le personnage n‟apparaît qu‟à la fin de l‟œuvre, comme nous le verrons plus loin.

Nous avons vu que l‟histoire du Mahabharata était fondée sur des faits historiques. Or, selon Serge Démétrian, il en va de même du Ramayana. En effet, d‟après lui : « L‟épopée, née, comme nous l‟apprend la tradition, dans le nord de l‟Inde, a eu probablement comme point de départ un événement historique. Les exploits de quelque prince vaillant et généreux ont été chantés, repris ensuite par plusieurs générations de bardes errants ; ce fut une profusion de ballades et de légendes. Elles inspirèrent enfin un poète de génie, Valmiki » (Serge Démétrian, 2006, p 14).

Le terme Ramayana signifie « L‟histoire du Prince Rama » ou encore « La marche de Rama ». Il s‟agit avant tout d‟un poème d‟amour, à la différence du Mahabharata qui nous contait l‟histoire de la fin de l‟Univers avec la guerre qui opposait les Pandava et les Kaurava. Dans le Ramayana, l‟intrigue tourne autour de trois personnages principaux : Rama, Lakshmana (son frère), et Sita (l‟épouse de Rama). Tous représentent le bien et, pour sa part, Sita symbolise la femme parfaite et l‟épouse modèle. Toute femme indienne essaie de suivre son exemple. Mais à ces trois personnages doit être ajouté un quatrième : le démon Ravana, représentant le mal.

105 DÉMÉTRIAN, Serge, Le Râmâyana conté selon la tradition orale, Paris : Éditions Albin Michel, 2006, p 14 106Ibid, p 10

Rama et Lakshmana sont les deux fils du roi d‟Ayodhya. Ils vivent dans la cité d‟Ayodhya qui n‟est autre que la capitale du royaume Kosala, situé au Nord de l‟Inde. (Voir

Annexe 2 : l‟Inde au temps du Ramayana, p 345). Son nom signifie d‟ailleurs

« l‟Imprenable », mais on la surnomme également « la villefameuse » : dans cette cité, la joie régnait dans tous les cœurs.

Le roi d‟Ayodhya, qui avait pour nom Dasharatha, était un souverain exemplaire. Il avait trois épouses : Kausalya, Sumitra et Kaikeyi, mais aucune d‟entre elles ne lui avait donné de descendance, ce qui avait rendu le roi très malheureux. Il décida donc de rendre un hommage aux dieux en effectuant l‟une des plus importantes cérémonies : le sacrifice du cheval107. Il obtint la faveur des dieux et ses trois épouses donnèrent naissance à quatre fils.

En effet, l‟histoire raconte que Kausalya, la première épouse de Dasharatha, enfanta le premier des quatre enfants tant attendus : Rama, lequel était la moitié de Vishnou. En d‟autres termes, Rama était un avatar de Vishnou, comme nous l‟avons précisé auparavant. Deux jours après, Kaikeyi, la plus jeune épouse du roi, donna naissance à Bharata, un huitième de Vishnou. Le jour même, Sumitra, la deuxième épouse, mit au monde les jumeaux Lakshmana et Shatrughna ; chacun portait en lui un sixième du grand dieu Vishnou.

Dès leur plus jeune âge, Rama et Lakshmana nourrirent une grande affection l‟un pour l‟autre et, de ce fait, devinrent inséparables. Un jour Rama et ses frères se rendirent à la capitale du royaume de Videha pour rendre visite au roi Janaka, ami de longue date de leur père. Janaka avait une fille qui s‟appelait Sita. La jeune femme était d‟une beauté exceptionnelle, raison pour laquelle son père se montrait réticent à la marier avec le premier venu ; seul un être exceptionnel pouvait aspirer à la main de Sita. Il proposa donc d‟organiser une mise à l‟épreuve : le prince qui arriverait à soulever, bander et tendre l‟arc de Rudra pourrait épouser sa fille. L‟arc de Rudra était un cadeau du dieu de l‟Océan, Varuna. Cet instrument pesait si lourd qu‟aucun homme jusqu‟ici n‟avait réussi à le soulever.

Rama passa l‟épreuve et obtint la main de Sita. Emporté par la joie, Janaka proposa la main de sa deuxième fille à Lakshmana. Lors des cérémonies, le roi de Mithila qui avait fait le déplacement pour l‟occasion, annonça que son jeune frère allait se joindre à eux avec ses deux filles, elles-mêmes en âge de se marier. Finalement, le roi Dasharatha accepta que ses

107 Cette cérémonie, propre à l‟ancienne civilisation indienne, était accomplie par les rois désireux d‟avoir des héritiers ou qui aspiraient à une certaine prééminence par rapport aux autres rois.

deux autres fils, Bharata et Shatrughna, se marient avec elles. C‟est ainsi que les quatre fils du roi Dasharatha trouvèrent des épouses.

Ils menèrent une vie heureuse jusqu‟au jour où Dasharatha décida de léguer son royaume et son trône à Rama. Il estimait qu‟il était temps de céder sa place à son fils aîné, le plus sage de tous. Mais tout le monde n‟était pas de cet avis. En effet, Manthara, la dame de compagnie de la reine Kaikeyi (la troisième épouse du roi Dasharatha), eut le cœur rempli de colère à l‟annonce de la nouvelle et mit en garde Kaikeyi. Elle tint ce discours :

Si Rama monte sur le trône, Bharata [le fils de Kaikeyi] sera menacé directement ; mieux vaudrait qu‟il reste en exil dans quelque pays étranger. Kausalya [la première épouse du roi] non plus n‟est pas ton amie : elle t‟envie parce que le roi te préfère à elle et te gâte. Elle se vengera de toi sans aucun doute. La haine d‟une épouse ennemie est un feu destructeur. Sois-en sûre : si Rama devenait roi, Bharata serait comme mort. Décide-toi. Choisis et reste fidèle à ton choix. Bharata doit devenir roi par tous les moyens. Rama doit être banni du royaume108.

La servante Manthara parvint à convaincre Kaikeyi d‟agir au plus vite et de là, le cours de l‟histoire s‟en trouva irrémédiablement changé. Elle finit par obtenir ce qu‟elle souhaitait : la couronne pour Bharata et le départ de Rama, contraint de s‟exiler pendant quatorze années dans la forêt Dandaka.

Dans un premier temps, Bharata refusa sa position par amour pour son frère, mais très vite, il fut contraint d‟accepter l‟exil de Rama. Le roi Dasharatha, impuissant à empêcher le bannissement de son fils, succomba à son chagrin et quitta le monde terrestre. Du même coup, la joie quitta les cœurs au royaume d‟Ayodhya.

Pour sa part, Rama accepta son destin avec sagesse et quitta la cité sur-le-champ. Il était accompagné de Lakshmana et Sita qui, tous deux, avaient refusé de se séparer de lui. Vêtus d‟écorce d‟arbre, les trois exilés s‟éloignèrent dans la forêt Dandaka.

Leur vie d‟exil au cœur de la forêt se déroula paisiblement jusqu‟au jour où le magicien et démon Ravana, personnage aux cent têtes, entendit parler de la beauté inégalée de la jeune Sita. Son armée de démons venait d‟être anéantie par Rama, raison pour laquelle le roi des démons voulut à tout prix se venger.

108 Serge Démétrian, op cit, p 89

Par la ruse, il réussit à kidnapper Sita et à l‟emmener dans son royaume, l‟île de Lanka où il régnait en tant que roi des démons. L‟île de Lanka est maintenant appelée le Sri Lanka, mais auparavant, elle avait pour nom l‟île de Ceylan.

Ravana garda Sita prisonnière dans son fameux jardin nommé Ashoka Ŕ lieu à la beauté et à la luxuriance paradisiaques. La jeune femme y était surveillée en permanence par des ogresses d‟une laideur terrifiante. Amoureux de Sita, Ravana ne lui fit pourtant aucun mal car il voulait la prendre pour épouse : « Je te donnerai tout ce dont tu peux rêver : j‟irai conquérir l‟Univers pour te l‟offrir en entier. […] Ne reste pas si froide, si distante : accepte-moi dans ton cœur. Je ne te forcerai pas ; je désire que tu m‟aimes »109

. Sita, quant à elle, perdit tout espoir de revoir un jour son bien aimé Rama et ne souhaitait qu‟une chose : que la mort la délivre de son triste sort.

Pendant ce temps-là, Rama et Lakshmana firent la connaissance du singe Hanuman, le fils du Vent, et constituèrent une armée de singes et d‟ours pour délivrer la belle Sita. La bataille eut lieu sur l‟île de Lanka, dans la cité des démons, et fut appelée « la Guerre de Justice ». Face à l‟échec de son armée contre les habitants de la forêt, Ravana décida de monter sur son immense char tiré par huit chevaux, et d‟affronter Rama en personne. Lorsqu‟il sortit de son palais prêt à combattre, nombre de mauvais présages le mirent en garde : « le Soleil s‟entoura de brumes, les oiseaux criaient malheur ; ses chevaux trébuchèrent en terrain plat ; un vautour sinistre se tenait perché sur la hampe de l‟étendard »110

, mais Ravana les ignora. La bataille entre les deux hommes fut terrible. Les dieux qui regardaient les événements depuis les nuages observèrent que le combat était inégal : en effet, Rama luttait à pied tandis que Ravana avait son énorme char. Quelques secondes plus tard, Rama vit surgir du ciel le char unique d‟Indra, « véhicule grandiose recouvert de plaques d‟or fin incrustées de pierres précieuses, tiré par des coursiers à la crinière flamboyante »111. Regagnant confiance, Rama reprit sa lutte acharnée contre Ravana et parvint à prendre le dessus : il utilisa l‟arme redoutable de Brahma et envoya un dard dans la poitrine du monstre dont il transperça le cœur. Ravana s‟effondra à terre.

Rama et Sita se retrouvèrent, mais le roi ne parvenait pas à croire que son épouse avait pu lui rester fidèle durant sa longue période de captivité. Ce pourquoi, il décida de la mettre à l‟épreuve. La jeune femme, afin de prouver à son mari qu‟elle était restée pure, fit appel au

109

Serge Démétrian, op cit, p 309 110Ibid, p 423

jugement des dieux et se jeta sur un bûcher. Les dieux l‟épargnèrent, établissant ainsi sa fidélité. De là, ils purent regagner le royaume d‟Ayodhya, les quatorze années d‟exil étant écoulées.

Mais une fois rentré au royaume, Rama dut faire face au mécontentement de son peuple. En effet, « le peuple le blâmait d‟avoir repris Sita, restée si longtemps dans la maison de Ravana. "Si Rama se comporte ainsi, qu‟attendre de nous, ses sujets ?" chuchotaient entre eux les citoyens »112. Rama était persuadé de la fidélité de son épouse mais il dut faire passer l‟avis de son peuple avant le sien. Accablé par la douleur, il demanda à son frère Lakshmana d‟emmener Sita loin du royaume, près de l‟ermitage du sage Valmiki, à qui Sita voulait rendre visite. Lakshmana avait comme ordre de rentrer seul au royaume.

Sita fut accueillie par le sage Valmiki qui la prit sous son aile pendant son second exil. Dans cet ermitage, elle mit au monde des jumeaux, Lava et Kusha, deux beaux garçons, engendrés peu avant son départ. Tous deux furent élevés et instruits par le sage.

De retour à Ayodhya, Rama décida d‟accomplir le grand sacrifice ashvamedha, l‟offrande du cheval, pour se racheter de tous les péchés qu‟il avait pu commettre jusqu‟alors. Tout le monde était invité. Valmiki vint accompagné de deux disciples, Lava et Kusha, dont l‟origine était demeurée secrète. Les jumeaux se présentèrent devant Rama et lui racontèrent son histoire, le Ramayana. Les gens murmuraient entre eux ; la ressemblance entre le roi et ces deux garçons était flagrante. Arrivée à la fin du poème où Lava et Kusha chantaient la répudiation de Sita, Rama reconnut instantanément ses deux fils. Il demanda à ce que Sita revienne parmi eux afin de réaffirmer sous serment son innocence devant le peuple. Rama avait énormément souffert de l‟absence de son épouse, ce pourquoi il voulait à tout prix se faire pardonner.

Sita arriva le lendemain et se présenta devant Rama et le peuple. Elle prononça les paroles suivantes : « Si, dans mes pensées intimes, / j‟ai été fidèle à Rama, / Viens, déesse de la Terre, / emmène ta fille, ô mère »113. La terre se mit alors à trembler et s‟ouvrit sous les pieds de Sita, engloutissant la belle et pure jeune femme qui, une fois de plus, avait prouvé son innocence. Rama, en compagnie de ses fils, pleura sa bien aimée toute la nuit. Le dieu créateur Brahma consola le souverain avec ces paroles : « Ton irréprochable épouse laissera

112 Serge Démétrian, op cit, p 456 113Ibid, p 464

son corps périssable dans la terre, mais tu la retrouveras dans les cieux. Sois en paix, Rama »114.

Plusieurs années après, Rama finit par quitter le monde terrestre pour retrouver sa forme du dieu Vishnou. Ainsi s‟acheva l‟histoire de Rama, le Ramayana.

Ce poème dédié à l‟histoire d‟amour de Rama et Sita, donne l‟exemple du couple parfait, tel que représenté en Inde. Sita, épouse fidèle, ne vit que pour Rama. Nous pouvons souligner que l‟épisode où Sita se jette sur le bûcher pour prouver son innocence est devenu ensuite une pratique courante en Inde, appelée la sati. D‟après Madeleine Biardeau, la sati

qualifiait avant tout la femme parfaite et l‟épouse modèle, « celle dont la littérature britannique du XIXe siècle a fait pour nous la veuve qui se jette sur le bûcher funéraire de son mari »115. La sati consiste donc, pour une épouse devenue veuve, à se jeter sur le bûcher funéraire de son mari. L‟âge de la veuve importe peu ; les jeunes filles ayant perdu leur mari prématurément devaient également l‟accomplir. Les Britanniques interdirent cette pratique au début du XIXe siècle, mais il existe encore quelques cas isolés. Il s‟agit d‟une tradition fortement ancrée dans l‟esprit du peuple hindou et qui peut faire l‟objet d‟un culte religieux.

En Inde, l‟histoire du Ramayana serait donc à l‟origine de cette pratique. Mais avant tout, ce à quoi les femmes indiennes aspirent le plus, c‟est suivre l‟exemple de Sita en tant qu‟épouse fidèle et femme parfaite. Dans le chapitre suivant, nous verrons plus en détail l‟importance de la femme à travers les films indiens en nous appuyant sur cette célèbre histoire d‟amour.

Nous venons d‟aborder l‟histoire de la deuxième grande épopée indienne, le

Ramayana. Afin de poursuivre notre analyse qui porte sur le cinéma indien des années 1970-80, il est essentiel de connaître l‟intrigue principale des deux poèmes épiques. L‟étude du

Ramayana nous sera utile pour les parties à venir sur le cinéma puisque nous allons voir que cette œuvre a une influence sociologique sur la place de l‟homme et celle de la femme dans la société indienne, que nous retrouverons dans les films bollywoodiens. De plus, cette célèbre histoire d‟amour autour de la notion de sacrifice, est un thème courant dans ces films.

Le rôle du peuple dans cette épopée nous intéresse tout particulièrement. C‟est lui qui condamne Sita en influençant le roi Rama pour la bannir du royaume. Par ailleurs, il assiste au sacrifice de l‟épouse du roi en tant que spectateur ; il regarde le sacrifice comme s‟il était « au

114 Serge Démétrian, op cit, p 465 115 Madeleine Biardeau, op cit, p 78

cinéma ». Or, cela fait du spectateur regardant un film, le descendant direct des personnes ayant, naguère, imposé et assisté au sacrifice de Sita. En cela, les spectateurs ne s‟identifient pas aux personnages : au contraire, ils sont bien plus satisfaits dans leur simple rôle de « spectateur ». Nous aurons l‟occasion de revenir sur cet élément plus loin dans notre travail. Il va de soi que nous définirons le terme spectateur et nous étudierons la place, voire le rôle, des spectateurs indiens de films bollywoodiens.

2. Réflexions autour de la notion de re-présentation et de l’image dans différentes