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3. Cas particulier du cinéma indien

3.1 La naissance du cinéma en Inde

3.1.1 L‟arrivée du cinéma et la période du muet

Dès son apparition, les Indiens se sont vite appropriés cette nouveauté occidentale que constituait le cinéma. Cette réception et cette assimilation rapides marquèrent le début d‟une ère cinématographique inégalée dans le monde.

Une fois la démonstration du cinématographe faite en Europe, les frères Lumière envoyèrent des représentants parcourir le monde afin de faire découvrir leur incroyable invention, et surtout, d‟en tirer quelques profits. Le 7 juillet 1896, Maurice Sestier, un des opérateurs des frères Lumière, débarqua à Bombay pour y organiser la première projection du cinématographe.

À l‟époque, Bombay était « la métropole des élites indiennes anglophones et de nombreux résidents britanniques »308. Pour la première fois en Inde, on assista à la projection de L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat et de La Sortie de l’usine, six mois seulement après la diffusion à Paris. Les films et le projecteur furent achetés par deux commerçants indiens à Bombay qui installèrent le tout dans un théâtre populaire au centre de la ville, le Novelty.

Les places se vendirent rapidement, et toutes les classes sociales vinrent au spectacle : en effet, des rangées spécialement conçues permirent de maintenir la division des castes. De plus, un orchestre fut installé ce qui montre que d‟entrée de jeu, la musique occupa une place importante dans le cinéma en Inde, tout comme ce fut le cas en Occident.

La presse indienne accueillit favorablement cette nouveauté. Par exemple le Times of India encouragea le peuple à aller découvrir « la merveille du siècle, l‟admiration du monde, les images photographiques vivantes des frères Lumière reproduites grandeur nature »309.

Comme nous l‟avons vu, la photographie constituait « un jalon important vers le cinéma » (Yves Thoraval, 1998, p 18), et il serait intéressant de faire brièvement un rappel de son arrivée en Inde. En effet, un grand nombre d‟Indiens, les plus hauts placés dans la société, ont pu se familiariser avec la photographie

grâce à l‟existence de clubs amateurs et de studios photographiques, anglais principalement, existant en Inde dès les années 1840 : par exemple les "Photographic Societies" créées à Calcutta, Bombay et Madras (années 1850) et le célèbre studio "Bourne et Shepherd" de Calcutta (1868) entre autres initiatives, qui vendaient ou louaient du matériel photographique bien avant que "Pathé" commence à en proposer pour le cinéma à partir de 1907310.

Mais pour revenir au cinéma, des courts métrages européens continuèrent à être projetés, même si le public indien cessa de se déplacer pour aller les voir. On comprit qu‟il fallait chercher des films inédits et accessibles au large public et qu‟avant tout, il fallait

308

Yves Thoraval, op cit, p 17 309 Christophe Jaffrelot, op cit, p 690 310 Yves Thoraval, op cit, p 18

trouver des images issues de la culture indienne, car les images occidentales n‟évoquaient rien aux Indiens qui ne s‟y intéressaient pas. Le culte de l‟image en Inde faisant partie de la tradition depuis des millénaires, il fallait adapter les images animées pour satisfaire la demande.

En 1897-98, des scènes furent filmées en Inde, comme Un Train entrant en gare de Bombay. Ces images furent rapidement diffusées dans les principales villes, et dès 1898, « un pionnier du cinéma et premier réalisateur indien autochtone avec Bhatavdekar, le Bengali Hiralal Sen (1868-1917), tourna Dancing Scenes from the "The Flowers of Persia", ce qui recula l‟âge du cinéma indien à 100 ans… »311

.

On continua de tourner sans relâche, comme le fit Bhatavdekar qui enregistra tous les événements importants de l‟histoire indienne. À partir de 1900, l‟Inde importa des pellicules de 23 mètres (correspondant à environ une minute), ce qui permit d‟augmenter la durée des bandes. Dans le pays, la diffusion de ces bandes se fit grâce à des opérateurs itinérants qui allèrent de ville en ville, et même jusque dans les zones rurales éloignées. « Le rôle des projectionnistes forains, travaillant souvent dans des conditions extrêmement difficiles, est prédominant pour populariser l‟habitude de voir des films de cinéma dans l‟Inde entière Ŕ au-delà des élites sociales plus ou moins occidentalisées Ŕ et pour jeter les bases d‟une industrie cinématographique dans le pays » (Yves Thoraval, 1998, p 19). Dans les villages, les habitants se regroupaient sous des tentes pour assister à ces diffusions de films, souvent des comédies à base de gags, qu‟ils payaient parfois en nature (riz ou autres produits).

Ces forains s‟improvisaient aussi commentateurs des scènes qui se déroulaient à l‟écran, et pour la première fois, on assista à la promotion du cinéma dans les campagnes, le « pays profond », et « la leçon ne sera pas oubliée, puisque, aujourd‟hui encore, le public indien, citadin et campagnard, reste le plus "cinéphage" du monde »312.

La progression et l‟évolution du cinéma ne cessèrent de surprendre en Inde : le nombre de salles augmenta à une vitesse fulgurante313. Les films indiens continuèrent à être tournés mais on ne délaissa pas non plus le cinéma occidental qui fut diffusé à partir de 1905 à Calcutta sous la direction de l‟Elphinstone Bioscope Company, créé par Jamshedjee Framjee Madan, homme d‟affaires prospère. L‟élite indienne remplaça rapidement le théâtre par le

311 Yves Thoraval, op cit, p 19 312

Ibid, p 19

313 Ne serait-ce que l‟exemple du réseau de cinémas appelé « Madan Theaters » qui comptait 30 salles en 1909, 51 en 1920, 85 en 1927 et 126 en 1931.

cinéma, celui-ci faisant office de nouvelle tendance. Cependant, de plus en plus de films d‟actualité furent tournés, et ce, pour répondre à la demande de la majorité du public indien. Ainsi, dès les débuts du cinéma en Inde, le public occupait une place primordiale. La demande était d‟autant plus importante qu‟à l‟époque, des événements importants eurent lieu, en rapport avec la montée du nationalisme sous la domination britannique. Les films d‟actualité furent, de loin, le meilleur moyen pour suivre l‟évolution de la vie indienne à l‟époque coloniale.

En outre, la volonté d‟indépendance commençait à se faire sentir et le peuple voulait s‟informer sur les événements nationaux, mais également internationaux. En effet, le public indien se hâta dans les salles obscures pour voir les obsèques de la Reine Victoria (1901), la guerre des Boers en Afrique du Sud (terminée en 1902) et la guerre russo-japonaise « qui montra la première défaite en 1905 d‟une puissance européenne, l‟empire russe, devant une nation asiatique, le Japon »314.

Sur le plan du cinéma, un nom en particulier doit être cité. Celui de Dhundiraj Govind Phalke (1870-1944), plus connu sous le nom de Dadasaheb Phalke ou encore le « père du cinéma indien » (Yves Thoraval, 1998, p 21), qui fut le premier véritable professionnel du 7e Art indien et qui prônait le besoin d‟un cinéma indien pour les Indiens.