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2. Réflexions autour de la notion de re-présentation et de l’image dans différentes

2.2 L‟image animée et son lien avec le spectateur

2.2.2 Place et rôle du spectateur

Dans un premier temps, nous étudierons le rôle et la place du spectateur en basant notre réflexion sur la différence existant entre le spectateur occidental et le spectateur indien. Pour ce faire, il nous faudra remonter aux premiers êtres ayant joué un rôle de spectateurs et nous intéresser aux réflexions qu‟une telle place a suscitées.

Au fil de cette étude, nous avons vu que les hommes primitifs ayant réalisé des peintures dites pariétales sur les parois des cavernes étaient, eux aussi, fatalement spectateurs

de leurs œuvres. C‟est en tout cas l‟hypothèse avancée par Marie José Mondzain, dans son ouvrage Homo spectator. Selon elle, en tant que spectateurs de leurs œuvres, les hommes primitifs ont défini le rôle même du spectateur. Et pour le prouver, Marie José Mondzain s‟appuie sur le vocabulaire grec attenant aux choses de la vision, dans lequel le terme opsis

désigne « l‟opération du voir, l‟organe de la vision mais aussi le spectacle qui est son objet dans l‟exercice de l‟organe lui-même ». Elle aboutit à l‟idée que : « Le spectateur n‟est plus

215 Suzanne Liandrat-Guigues, Jean-Louis Leutrat, op cit, p 103 216 Gilles Deleuze, op cit, p 10

l‟homme qui se sert de ses yeux quand tous ses autres sens sont au repos mais le théatès, celui qui regarde ou contemple ce que le monde ou un autre homme lui donne à sentir pour le lui faire comprendre » (Marie José Mondzain, 2007, p. 15).

La définition de spectateur nous permet de souligner l‟importance capitale du regard dans toute réflexion théorique sur l‟art visuel. Ici, le spectateur est qualifié d‟inactif, voire de passif. Notre objectif est de tenter de déterminer en quoi le spectateur de cinéma indien est différent des spectateurs occidentaux. Afin d‟arriver à mettre en avant la particularité du spectateur indien dans son lien à l‟objet représenté, en l‟occurrence l‟image sur l‟écran, nous proposons de nous intéresser d‟abord aux différentes études déjà réalisées sur le statut du « spectateur », spectateur de pièces de théâtre ou d‟œuvres cinématographiques, et ce dans la culture occidentale. Nous tâcherons de voir ensuite si, en Inde, le spectateur joue un rôle similaire, en se limitant à la définition du dictionnaire Ŕ à l‟instar du peuple qui, dans l‟épopée indienne le Ramayana, assiste au sacrifice de Sita sans réagir Ŕ ou si, au contraire, nous pouvons le qualifier de « spectacteur », néologisme inventé par Jean-Louis Weissberg.

Pour Marie José Mondzain, la vue n‟est pas obligatoirement le seul sens requis pour faire d‟un être, un spectateur. Et cela suppose que le spectateur puisse prendre part et réagir face à ce qu‟il regarde. Ce point est intéressant à souligner pour notre étude puisqu‟en Inde, pour les spectateurs de cinéma, quasiment tous les sens entrent en jeu : la vue et l‟ouïe bien évidemment, mais aussi le toucher Ŕ comme nous le verrons ultérieurement.

L‟art primitif n‟est pas seulement intéressant pour ce qu‟il représente (des formes, des animaux Ŕ éléments picturaux possédant une éventuelle valeur artistique, didactique ou symbolique), mais il définit l‟individu qui a réalisé telle œuvre comme étant un « auteur ». « L‟homme des grottes est un auteur, son œuvre c‟est le spectateur »217. Un certain nombre de ces dessins primitifs ont été réalisés dans l‟obscurité d‟une grotte, et ne peuvent donc être vus à la lumière du jour. Pour les réaliser et ensuite les regarder, l‟homme des cavernes a dû utiliser une lumière artificielle. De nombreux spécialistes ont tenu compte de cette caractéristique pour avancer l‟idée d‟un investissement de type magique.

Si l‟on suppose que cet art a bel et bien un caractère magique et que les espaces de création / exposition que sont les grottes n‟ont pas été choisis au hasard mais parce qu‟ils sont les lieux de « véritables "pratiques chamaniques" », nous pouvons affirmer que l‟univers de la

217 Marie José Mondzain, op cit, p 40

grotte fut associé à la magie dès la Préhistoire, pour former un monde surnaturel où l‟illusion était censée se confondre avec la réalité.

La grotte, ou caverne, peut même être considérée comme le premier lieu de culte et de recueillement. Il s‟agit donc d‟un lieu sacré qui, par la suite, donna notamment naissance aux temples. Aussi, la caverne « a-t-elle joué, et joue-t-elle, un rôle dans les opérations magiques. […] Elle est propice aux initiations, à l‟ensevelissement simulé, aux cérémonies qui entourent l‟imposition de l‟être magique. Elle symbolise la vie latente qui sépare la naissance obstétricale des rites de la puberté […] »218.

En ce qui concerne les hommes primitifs, la véritable fonction des grottes restera à jamais inconnue. Nous avançons des hypothèses « modernes », c‟est-à-dire issues de notre culture et de notre temps. Nous portons ainsi un regard contemporain sur des œuvres datant de plus de trente mille ans. Comme le remarque Régis Debray : « Là est "le miracle de l‟art" : la suppression des distances. "Miracle" veut simplement dire : pérennité du précaire, coextension de l‟origine à l‟histoire »219. L‟auteur ajoute que : « Cette nappe souterraine qui relie du dedans, par en bas, les civilisations et les époques les plus éloignées les unes des autres, nous rend en un sens contemporains de toutes les images inventées par un mortel, car chacune d‟elles, mystérieusement, échappe à son espace et à son temps » (Régis Debray, 1992, p 53). C‟est pourquoi il est possible d‟avancer une hypothèse concernant la fonction des dessins primitifs. En effet, ces dessins nous « parlent » toujours.

Tout comme nous avons tenté de démontrer que le mythe se situait hors du temps historique, l‟image peut également être considérée comme intemporelle, ou du moins : « Ce qui est intemporel, c‟est la faculté qu‟elle a d‟être perçue comme expressive même par ceux qui n‟en ont pas le code » (R. Debray, 1992, p 53).

En somme, selon cet auteur, le temps et l‟espace ne constituent pas obligatoirement un obstacle à la lecture des images. En revanche, la culture peut en constituer un, du fait que nous ne sommes pas à l‟abri d‟une mauvaise interprétation d‟une image, lorsque nous ne connaissons pas le « code » permettant de la déchiffrer.

Ce que nous pouvons affirmer c‟est que, dès la Préhistoire, la grotte occupait une place primordiale, ne serait-ce que pour servir de support à la réalisation des premiers dessins. Dans l‟obscurité, elle supposait une part de mystère que l‟homme contemporain cherche à percer en

218 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op cit, p 181

s‟appuyant sur des interprétations elles-mêmes basées sur le savoir actuel se rapportant à cette période. Nous savons, par exemple, que les grottes servaient avant tout à se protéger du froid, à faire du feu et à cuire les aliments. De plus, il s‟agissait d‟un lieu propice pour regrouper tous les membres de la tribu.

Outre cette fonction de survie, nous pouvons remarquer que dans la plupart des cultures, « la caverne figure dans les mythes d‟origine, de renaissance et d‟initiation de nombreux peuples »220. Dans la culture occidentale, elle représente la terre. Ce trou béant dans la terre peut à la fois attirer et repousser. Nul ne sait quel animal ou créature réside à l‟intérieur. La curiosité peut amener une personne à entrer mais, la plupart du temps, la peur l‟entraîne à l‟extérieur afin de retrouver la sécurité de la lumière du jour. Dans la tradition occidentale, le dragon est lié à la terre et la grotte représente son habitat. Cet habitat terrestre signifie que c'est une divinité chthonienne, c‟est-à-dire résidant à l‟intérieur de la terre. Certains dragons sont des gardiens. Ils protègent aussi bien les richesses que certaines personnes, en particulier les princesses. La grotte est donc le lieu de recel de ces trésors et c‟est pour cela qu‟elle est située loin de toute civilisation.

Dans la culture hindoue, ce n‟est pas le dragon qui est le gardien de trésors mais le serpent221.Il est précisé que le serpent vit également sous la terre : « […] Its secret life in dark holes under the ground has spun exotic stories. It is regarded as the custodian of buried treasures, the guardian of a secret subterranean world of strange mysteries »222. Ce lieu souterrain est également propice au mystère, renforcé par l‟absence de lumière, source de questionnements.

La caverne peut donc être un lieu propice aux cérémonies d‟initiation Ŕ comme cela a pu être le cas dès l‟époque des cavernes préhistoriques Ŕ ainsi que l‟habitat du dragon ou encore du serpent.

Par ailleurs, dans la civilisation arabe, en l‟occurrence dans un texte rattaché aux contes des Mille et une nuits, la caverne d‟Ali Baba recèle également quantités de richesses. L‟expression même de « caverne d‟Ali Baba » désigne aujourd‟hui un lieu renfermant des objets cachés de grande valeur. Tout comme la célèbre expression « Sésame, ouvre-toi » est

220 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op cit, p 180

221 « Le dragon comme symbole démoniaque s‟identifie en réalité au serpent », les deux sont donc étroitement liés. Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op cit, p 366

222 KRISHNA, Nanditha, Sacred Animals of India, New Delhi: Penguin Books, 2010, p 209

« Sa vie secrète sous la terre, au fond des trous noirs, fut à l‟origine de nombreuses histoires exotiques. Il est considéré comme le protecteur de trésors enfouis, le gardien d‟un monde souterrain secret, qui recèle d‟étranges mystères ». (Notre traduction)

désormais utilisée couramment lorsque l‟on souhaite accéder rapidement à quelque chose. Ainsi la grotte et la caverne sont-elles considérées toutes deux symboliquement comme des lieux mystérieux renfermant potentiellement des trésors. Rattachées à la terre, elles sont bien cachées et peuvent être gardées par un dragon ou un serpent pour décourager les plus curieux. Il semblerait que l‟homme, pour accéder au trésor, doive affronter un obstacle. La grotte est toujours gardée, soit par un animal, soit par un mot de passe permettant d‟en franchir le seuil.

Néanmoins, la symbolique de la caverne va plus loin. Dans de nombreuses civilisations, la caverne représente le monde et « […] symbolise l‟exploration du moi intérieur, et plus particulièrement du moi primitif, refoulé dans les profondeurs de l‟inconscient »223

. Le philosophe grec Platon a rendu la caverne célèbre dans la culture occidentale en associant ce monde à « […] un lieu d‟ignorance, de souffrance et de punition […] »224. En effet, l‟allégorie de la Caverne raconte comment des hommes enfermés dans une caverne et ne voyant que des ombres projetées sur les murs, considéraient ces ombres comme étant la réalité : « Il est indubitable […] qu‟aux yeux de ces gens-là la réalité ne saurait être autre chose que les ombres des objets confectionnés »225. Cela rejoint en quelque sorte la théorie sur la fonction de l‟art pariétal. Ces dessins réalisés il y a plus de trente mille ans, que nous imaginons au fond d‟une grotte, invisibles à moins d‟être éclairés par une lumière artificielle projetant l‟ombre des hommes sur les murs, représentaient peut-être la réalité, telle que vue par les hommes primitifs. Et s‟ils associaient un caractère magique ou sacré à ces images, cela voudrait supposer qu‟ils croyaient en leur pouvoir de générer une certaine force.

Quant à l‟allégorie de la Caverne de Platon, elle met en scène les notions fondamentales de réalité et d‟illusion, point soulevé dans notre étude sur la photographie et le cinéma. Dans cette histoire, le lecteur est prévenu qu‟il ne doit pas être trompé par les ombres projetées sur le mur. « On sait que dans les ténèbres platoniciennes l‟homme est prisonnier des ombres, entravé par les chaînes de l‟erreur et l‟opacité des corps. Il lui faut un maître pour le conduire de la nuit vers le jour »226. Cette allégorie assure donc « la souveraineté du logos » comme « maître » pour accéder à la lumière, en d‟autres termes à la connaissance. « La

223 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op cit, p 181 224

Ibid, p 180

225 DROZ, Geneviève, Les Mythes Platoniciens, Paris : Éditions du Seuil, 1992, p 89. 226 Marie José Mondzain, op cit, p 40

caverne et ses spectacles d‟ombres ou de marionnettes représentent ce monde d‟apparences agitées, d‟où l‟âme doit sortir pour contempler le vrai monde des réalités, celui des Idées »227

. Ce point peut être mis en relation avec certains mythes dans la célèbre épopée indienne, le Mahabharata. L‟un des enjeux principaux de ce poème épique, explicité dans la

Bhagavad Gita, est de sortir de son état d‟ignorance pour accéder à la connaissance Ŕ idée fondamentale dans la

République de Platon et raison pour laquelle nous mettons en relation le mythe hindou et le mythe platonicien. De plus, nous souhaitons faire ressortir les éléments structurels universels que l‟on retrouve dans les différentes mythologies, point que nous développerons dans le deuxième chapitre.

Le premier chapitre du Mahabharata fait démarrer l‟histoire dans le brouillard. En effet, le poème commence par la naissance du « fils du brouillard », qui n‟est autre que le narrateur. Le brouillard peut représenter un voile empêchant de

voir Ŕ voile qui nous renvoie à la maya puisque la maya est également représentée par un voile. En effet, l‟une des seules

représentations du voile de la maya se trouve sur l‟île d‟Elephanta, non loin de la ville de Bombay (voir l‟image ci-dessus). La statue de Shiva Nataraja représente le dieu sous forme de danseur cosmique. Shiva accomplit la danse cosmique de la destruction et de la création de l‟univers. Cette danse symbolise ainsi le renouvellement périodique du monde, en un rythme infini de dissolution et de naissance. L‟un des bras de Shiva (en haut à droite de l‟image) brandit une étoffe aux plis souples : il s‟agit d‟une représentation concrète, et quasi unique, du voile de la maya.

Ainsi, dans le Mahabharata, l‟histoire ne peut démarrer qu‟une fois le brouillard dissipé. De plus, nous retrouvons la trace du brouillard dans le dernier chapitre sous la forme d‟une « brume glacée » (Jean-Claude Carrière, 1989, p 311). En effet, Yudishsthira, l‟aîné des cinq frères Pandava, doit franchir un dernier obstacle avant de rejoindre ses frères et sa femme dans l‟autre monde. La dernière illusion228 qu‟il doit percer est celle de voir ses proches souffrir en enfer pour pouvoir, ensuite, accéder au paradis.

227

Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op cit, p 180

228 Cette épreuve que Yudishsthira doit surmonter peut être interprétée différemment : il ne s‟agit pas forcément d‟une illusion puisqu‟il souffre réellement.

Shiva Nataraja

Photographie de Wendy Cutler, (février 2010)

L‟illusion, telle que produite par la maya, est un besoin humain. Les hommes ressentent ce besoin de croire dans les rêves, de pouvoir échapper à la réalité. Le théâtre, ainsi que le cinéma, sont des moyens pour l‟homme de se « noyer » dans l‟illusion et d‟oublier pendant un instant la réalité qui les entoure. Cela ne va pas sans rappeler la fonction cathartique des arts en général, que nous développerons à la page suivante.

N‟oublions pas que Platon dans le dernier livre de la République affirme « que l‟art est imitation (mimèsis) » et que « le caractère mimétique de l‟art entraîne l‟éloignement de l‟art par rapport à la vérité »229. Cette « dépréciation ontologique de l‟art, qui [selon Platon] n‟est que l‟apparence d‟une apparence, et se trouve donc au "troisième degré d‟éloignement par rapport à la vérité" »230 a été contestée par la suite, et notamment par Aristote, comme nous le soulignerons plus loin. En revanche, ce que nous pouvons avancer comme idée est que la

maya (ou illusion créée par l‟art), entraîne le spectateur hors du monde réel et, en cela, constitue le moyen d‟aboutir à la catharsis. Toutefois, selon nous, elle n‟est pas totalement éloignée de cette réalité. Elle est une représentation Ŕ et non une imitation Ŕ du monde réel qui nous entoure.

D‟autre part, notons qu‟au théâtre, « la totalité de l‟expérience empirique, spéculations comprises, est l‟effet de ce pouvoir d‟illusion, c‟est-à-dire encore énergie divine : sans elle, il n‟y aurait ni mondes, ni hommes, ni transmigration, ni avatars, ni dieux peut-être »231

. Le voile de la maya, ce voile d‟illusion parfaite, constitue l‟essence même du théâtre indien en instaurant un « contrat de feintise » (Lyne Bansat-Boudon, 2004, p 61) entre le théâtre et le spectateur.

Nous ne pouvons continuer notre réflexion sans faire référence au théâtre grec et à la

catharsis d‟Aristote. En effet, dès l‟Antiquité, Aristote s‟est intéressé de près au théâtre. Dans son ouvrage intitulé Poétique, le philosophe effectue une étude complète et une comparaison de la tragédie et de l‟épopée. D‟après lui, « le théâtre est un art de l‟imitation (mimesis), qui suscite un plaisir esthétique par la représentation même du réel »232. Néanmoins, à la différence de Platon, Aristote souligne dans son texte l‟importance du plaisir à imiter et ne

229 NARBOUX, Jean-Philippe (textes choisis par), L’Illusion, Paris : Flammarion, 2000, p 195 230

Ibid, p 233

231 Lyne Bansat-Boudon, op cit, p 42

pense pas que l‟imitation soit dangereuse en soi. Le passage qui nous semble intéressant d‟aborder pour notre étude est celui de la catharsis.

La célèbre « purification des passions » d‟Aristote suppose que le théâtre Ŕ notamment la tragédie Ŕ crée chez le spectateur des émotions de pitié et de crainte : « L‟âme n‟y est troublée que pour être finalement apaisée, comme si elle avait trouvé "une médication et une

catharsis". […] Tous doivent éprouver la catharsis et un "soulagement accompagné de plaisir" »233.

La catharsis agirait comme un « médicament » dans le but de soulager le spectateur. Elle aide le spectateur à se sentir mieux puisque le personnage sur scène accomplit ses propres désirs, et ce faisant, ses désirs inconscients. Le père d‟Aristote était médecin et Aristote était lui-même intéressé par les sciences naturelles. Cela explique l‟utilisation par le philosophe de termes médicaux, comme « médication » et « remède ». Selon lui, le spectateur assistait aux représentations théâtrales pour évacuer ses émotions et, d‟une certaine façon, « guérir » son âme.

L‟importance du spectateur était donc mise en avant dès l‟Antiquité par le biais du théâtre, et plus spécifiquement de la tragédie. Le spectateur pouvait regarder une représentation et se sentir libéré de ses angoisses, pulsions ou fantasmes en s‟identifiant au héros jouant sur scène. Comme le souligne Aristote lui-même : « La tragédie, comme le chant et au contraire de la vie réelle, nous permet d‟éprouver ces émotions sans dommage pour nous et avec plaisir ; et il y a là pour l‟âme une catharsis, c‟est-à-dire une sorte de médication, de traitement, d‟hygiène »234. L‟on pouvait donc se rendre au théâtre pour apprécier un spectacle mais aussi soigner ses maux et libérer son âme235. D‟où l‟emploi fréquent des termes « purification des passions » ou « purgation dans passions », expressions devenues courantes dans la langue française.

Notons également qu‟aboutir à la catharsis peut se faire également par le biais du rire. Il s‟est passé tellement d‟horreurs au cours du XXe

siècle que « les dramaturges [ont] [choisi] d‟exorciser leurs angoisses à travers le rire »236. À titre d‟exemple, nous pouvons citer Ionesco ou encore Samuel Beckett, tous deux à l‟origine de « farces tragiques ». Nous reviendrons sur la fonction cathartique du rire au fil de notre analyse filmique.

233 HARDY, M. J., « Introduction » dans l‟ouvrage d‟ARISTOTE, Poétique, [Ve siècle avant J-C] Paris : Les Belles Lettres, 1932, pp. 17-18

234Ibid, p 18

235 Précisons néanmoins que le théâtre ancien était surtout un lieu d‟instruction et d‟action politique dans un cadre consacré par des rituels religieux. Même si la catharsis était déclarée par Aristote comme le but ultime de la tragédie, les spectateurs de l‟époque n‟allaient pas au théâtre pour se purifier.