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3. Cas particulier du cinéma indien

1.4 Analyse filmique

Après nous être intéressée au rapport texte/image, qui peut parfois être conflictuel, nous proposons d‟aborder à présent l‟analyse des films sélectionnés. Nous prendrons appui sur la réflexion de Jacques Aumont, et sur les deux ouvrages auxquels il a participé :

Esthétique du film et L’Analyse des films. Par l‟étude de ses théories, nous proposons d‟approfondir l‟étroite relation existant, au sein des films, entre le texte et l‟image, et pour ce faire, reviendrons notamment sur le langage cinématographique.

Les films constituant notre corpus se situent dans ce que l‟on appelle le « […] cinéma "narratif et représentatif" Ŕ c‟est-à-dire des films qui, d‟une façon ou d‟une autre, racontent une histoire en la situant dans un certain univers imaginaire qu‟ils matérialisent en le représentant »369.

En Inde, le cinéma remplit d‟autant plus cette fonction consistant à narrer une histoire que dans ce pays, la tradition orale est toujours de mise et que raconter une histoire fait partie de la vie de tous les jours.

Aujourd‟hui, le cinéma narratif domine la production, tout au moins sur le plan de la consommation (Jacques Aumont, 1983, p 65). Pourtant, à ses débuts, le 7e Art remplissait d‟abord une fonction documentaire, d‟investigation scientifique, ou tout simplement constituait un objet de curiosité. De fait, la rencontre entre cinéma et narration s‟est faite progressivement. Nous pouvons également noter que :

Le narratif est, par définition, extra-cinématographique370 puisqu‟il concerne aussi bien le théâtre, le roman ou simplement la conversation de tous les jours : les systèmes de narration ont été élaborés hors du cinéma, et bien avant son apparition. Cela explique que les fonctions des personnages de films puissent être analysées avec les outils forgés pour la littérature par Vladimir Propp (interdiction, transgression, départ, retour, victoire…) ou par Algirdas-Julien Greimas (adjuvant, opposant…)371.

Il est donc courant d‟évoquer métaphoriquement le travail d‟écriture (Jacques Aumont, 1983, p 19) en faisant référence à la réalisation d‟un film. Mais n‟oublions pas que

369 Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie, Marc Vernet, op cit, p 16

370 « On définira le cinématographique, à la suite de Christian Metz, non pas comme tout ce qui apparaît dans les films, mais comme ce qui n‟est susceptible d‟apparaître qu‟au cinéma, et qui constitue donc, de façon spécifique, le langage cinématographique au sens étroit du terme ». (Ce sont les auteurs qui soulignent) Ibid, p 67

tout film commence de fait par un travail d‟écriture avec l‟élaboration d‟un scénario, et c‟est en tant que texte que nous souhaitons considérer les films que nous allons étudier.

Pour ce faire, nous nous appuierons sur le schéma narratif archétypal du mythologue

américain, Joseph Campbell, et étudierons différentes séquences clés des films en question. Nous procéderons, en d‟autres termes, à une modélisation. Par la suite, nous expliquerons plus en détails ce que le célèbre mythologue a mis en lumière de l‟étude de plusieurs grandes mythologies. Notre objectif dans ce chapitre est de relever les mythes anciens réactualisés dans les films contemporains. De ce fait, il nous a semblé judicieux de comparer ces films, qui ne sont pas considérés comme des films mythologiques, à un schéma que l‟on retrouve dans toutes les grandes mythologies.

Dès lors, notre analyse filmique s‟inscrira dans ce que, dans le champ de la littérature, on nomme une analyse structurale372. De là, nous verrons que la structure décrite dans le « Voyage du Héros » de Joseph Campbell se retrouve dans tous les films de la période étudiée.

Précisons toutefois que, dans ce travail de thèse, nous ne nous positionnons pas comme analyste structuraliste. Nous souhaitons seulement analyser les films en suivant une structure propre aux mythes. Ce faisant, nous verrons que le lien entre texte et image, film et mythologie, est particulièrement fort. Pour approfondir cette idée, signalons que « le film de fiction, comme le mythe ou le conte populaire, s‟appuie sur des structures de base dont le nombre d‟éléments est fini et dont le nombre de combinaisons est limité »373

.

En cela le lien que nous souhaitons établir entre film et mythologie semble pertinent.

Pour comprendre notre sujet, il est important en premier lieu d‟apporter quelques définitions :

1°) Le texte filmique est le film comme "unité de discours, en tant qu‟actualisée, effective" (= mise en œuvre d‟une combinatoire de codes du langage cinématographique). 2°) Le système textuel filmique, spécifique à chaque texte, désigne un "modèle" de la structure de cet énoncé filmique ; le système correspondant à un texte est un objet idéal, construit par l‟analyste Ŕ une combinaison singulière, selon une logique et une cohérence propres au texte donné, de certains codes.

372 « L‟analyse structurale littéraire a mis en évidence que toute histoire, toute fiction peut se réduire au cheminement d‟un état initial à un état terminal, et peut être schématisée par une série de transformations qui s‟enchaînent à travers des successions du type : méfait à commettre Ŕ méfait commis Ŕ fait à punir Ŕ processus punitif Ŕ fait puni Ŕ bienfait accompli ». Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie, Marc Vernet, op cit, p64 373Ibid, p 90

3°) Le code est lui aussi un système (de relations et de différences), mais non pas un système textuel : c‟est un système plus général, qui peut, par définition, "resservir" dans plusieurs textes (dont chacun devient alors un "message" du code en question)374.

À ce stade, il paraît essentiel d‟approfondir la notion de langage cinématographique, évoqué dans ces définitions car il est évident que l‟on ne procède pas de la même manière pour analyser un film, un livre ou un tableau.

Selon les auteurs de l‟ouvrage Esthétique du film, le langage cinématographique « […] a stratégiquement servi à postuler l‟existence du cinéma comme moyen d‟expression artistique. Afin de prouver que le cinéma était bien un art, il fallait le doter d‟un langage spécifique, différent de la littérature et du théâtre »375. Le débat reste ouvert concernant l‟utilisation du terme « langage ». D‟autres formulations ont vu le jour, telles : ciné-langue, grammaire du cinéma, ciné-stylistique, rhétorique filmique, etc. (Jacques Aumont, 1983, p 111).

Sans entrer dans le débat, précisons seulement que Ferdinand de Saussure distingue la langue du langage : selon lui, la langue « est à la fois un produit social de la faculté de langage et un ensemble de conventions nécessaires. Pris dans son tout, le langage est multiforme et hétéroclite ; la langue au contraire est un tout en soi et un principe de classification. […] La parole est au contraire un acte individuel de volonté et d‟intelligence […] »376

.

Il est évident qu‟il existe un nombre important de langues dans le monde tandis qu‟il est question d‟une unicité du langage cinématographique (Jacques Aumont, 1983, p 126). Il nous semble pertinent d‟adopter le terme de « langage », vu l‟outil de communication que s‟avère être le cinéma populaire indien. S‟agit-il néanmoins d‟un langage que l‟on pourrait qualifier d‟ « hermétique » puisque les films sont issus d‟une culture différente de la nôtre et qu‟ils paraissent avant tout être réalisés pour être compris par les Indiens ? Le langage cinématographique s‟opère-t-il de la même façon en Inde qu‟en Europe ?

Nous allons voir que pour percer le mystère des films indiens, notre outil sera la mythologie. Les mythes fondamentaux formeront des passerelles entre les différentes civilisations permettant ainsi l‟accès à la compréhension et à une interprétation des œuvres, sachant que bien évidemment il peut y en avoir plusieurs.

374

Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie, Marc Vernet, op cit, p 70 375Ibid, p 111

Qui plus est, à propos du langage cinématographique, il faut savoir que « pour les esthéticiens français surtout, il s‟agissait d‟opposer le cinéma au langage verbal, de le définir

comme un nouveau moyen d‟expression »377

. Ainsi, non seulement le cinéma en Inde serait un nouveau mode de représentation des mythes anciens, mais également un moyen d‟expression qui permettrait de les faire vivre. Nous rejoignons par-là la définition du terme mythe dans le premier chapitre, à savoir, une « réalité vivante ».

Certes, les opinions sont divergentes quant à la notion de langage cinématographique. Cependant, nous avons fait le choix de l‟utiliser, du fait que les films populaires indiens, qui en apparence sont des films d‟action et de divertissement, sont avant tout un support de communication. En cela, ils entretiennent un échange avec le public indien ; mais, puisqu‟ils établissent un rapport particulier avec les mythes fondamentaux que l‟on retrouve dans toutes les grandes mythologies, ils rendent du même coup ces films accessibles à un large public378. Nous allons donc procéder à une « mise en mots » des films que nous avons choisis d‟étudier, et pour cela, commencerons par raconter l‟histoire de chaque film pour en donner une vue d‟ensemble, tout en essayant d‟éviter de sombrer dans le descriptif.

Dans cette étude, il nous a également semblé judicieux d‟aborder la quête du héros et les différentes étapes de son voyage, suivant par là une analyse plus structurale que thématique. Mais précisons d‟entrée de jeu que, les films populaires indiens étant très longs (au minimum 2h30-3h), nous n‟étudierons que les séquences clés de certaines étapes du « Voyage du Héros » et pas toutes.

Pour en venir à présent à l‟analyse filmique, commençons par introduire le mythologue américain Joseph Campbell et le schéma narratif qu‟il a mis en lumière qui va nous servir de modèle.

377 Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie, Marc Vernet, op cit, p 112

378 D‟après notre propre expérience, il semblerait que la barrière de la langue (en l‟occurrence le hindi) ne soit plus un problème pour la compréhension d‟un film bollywoodien. Comme nous l‟avons signalé précédemment, certaines scènes sont tellement explicitées (le jeu des acteurs est également très prononcé) qu‟un spectateur ne comprenant pas la langue peut suivre aisément un film en « lisant » seulement les images diffusées à l‟écran.