• Aucun résultat trouvé

Alors que les Évangiles ne fournissent guère de textes prescriptifs visant à réguler le comportement des femmes, les Épîtres de Paul sont, elles, riches en conseils adressés à la gent féminine : elles ont, de ce fait, constitué un répertoire dans lequel les auteurs des œuvres qui composent notre corpus (entre autres) ont puisé pour justifier leurs propres propositions. À ce titre, il nous semble donc indispensable de revenir brièvement sur ces textes, afin de pouvoir prendre pleinement la mesure de la façon dont on les a utilisés et adaptés. Il faut cependant d’emblée préciser que les préceptes pauliniens sont souvent réduits à des maximes, à des phrases sorties de leur contexte et citées comme preuve de ce qui vient d’être dit, le simple nom de l’Apôtre permettant, par l’autorité dont il est porteur, de s’abstenir de toute justification1.

Cependant, au-delà de ces maximes, le discours paulinien sur les femmes imprègne en profondeur l’écriture des éducateurs chrétiens, notamment dans les textes que nous nous proposons d’étudier. Ce discours se déploie dans sept des quatorze épîtres de l’Apôtre conservées dans le Nouveau Testament : c’est dire toute l’importance qu’il accordait à la régulation des mœurs féminines pour la construction et la pérennité des nouvelles communautés chrétiennes. Sa réflexion s’organise autour de quelques thèmes récurrents, dont, entre autres, l’institution matrimoniale et la vie conjugale, les droits et devoirs des veuves, et le comportement des femmes durant la liturgie. Concernant le premier point, Paul conseille la continence (I Cor, 7 : 1 et 8), mais accepte le mariage pour éviter toute impudicité (I Cor, 7 : 9 : « Mais s’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient : mieux vaut se marier que de brûler »)2. Dans le cadre matrimonial, les époux se doivent l’un à l’autre (I Cor, 7 : 3-4), et ne peuvent, à moins d’un commun accord, renoncer au devoir conjugal, car ils seraient alors conduits au péché (I Cor, 7 : 5)3. Cependant, la

1 On trouve par exemple ce procédé dans l’Avisación a María Pacheco, de Hernando de Talavera (Bibliothèque de l’Escurial, b-IV-26 f. 11vº) : « y d’estos dize el Apóstol que serán de Dios ignorados, porque quisieron ignorar ». L’auteur souhaite ici fustiger ceux qui refusent de savoir comment on peut faire le bien, afin de pouvoir s’abstenir de pratiquer la vertu, et reprend une phrase de l’épître aux Corinthiens (14 : 38), sans chercher à en définir plus précisément le contexte.

2La Bible de Jérusalem, trad. sous la direction de l’École Biblique de Jérusalem, Paris : Éditions du Cerf, 1998.

3 On retrouve cette même idée, par exemple, dans l’Avisación a María Pacheco (H. DE

TALAVERA, op. cit. fol. 9vº) : « no solamente tomó el marido el señorío de vuestro cuerpo, commo vós tomastes del suyo ».

32

fin des Temps approchant, il serait bon que ceux qui ont une femme se conduisent comme s’ils n’en avaient pas (I Cor, 7 : 29), c’est-à-dire qu’ils renoncent aux plaisirs de la chair. Si Paul semble sans cesse hésiter entre la reconnaissance du mariage et de la nécessité du devoir conjugal et la promotion de la continence, voire de la virginité, c’est que le mariage a des avantages (l’époux chrétien pouvant sanctifier son partenaire païen, selon I Cor, 7 : 14), mais aussi beaucoup d’inconvénients, dont celui de détourner les croyants du service exclusif de Dieu (I Cor 7 : 32-34). La relation de couple est, par ailleurs, définie comme une relation hiérarchique, alors même que le baptême a fondé l’égalité de tous les chrétiens, indépendamment de leur sexe et de leur origine sociale ou ethnique (Gal 3 : 28-29). En effet, Paul invite les femmes à être soumises à leurs maris, tandis que ceux-ci doivent aimer leurs femmes comme le Christ a aimé l’Église, se livrant pour elle afin de la sanctifier (Eph 5 : 25). Cette dichotomie entre soumission d’une part et amour bienveillant et édifiant de l’autre sera reprise de nombreuses fois par les auteurs des textes de notre corpus et fonde l’idée que l’amour conjugal est de nature différente en fonction des sexes. Enfin, l’Apôtre affirme également que, si c’est la femme qui a été séduite et a entraîné l’homme à la transgression, elle peut être sauvée par la maternité, pourvu qu’elle persévère dans la foi et la sainteté, ce qui implique un comportement exemplaire. La chrétienne doit ainsi renoncer aux coiffures sophistiquées, aux bijoux et aux vêtements coûteux au profit des bonnes œuvres (I Tim 2 : 9), elle doit être honorable et s’abstenir de toute médisance (I Tim 3 : 11). Paul établit également une différence entre les femmes âgées, à qui il demande notamment de ne pas s’enivrer et de prodiguer de sages conseils aux plus jeunes, et les jeunes femmes qui doivent aimer leurs maris et leurs enfants et être occupées aux travaux domestiques (Tite, 2 : 2-5).

On retrouve cette même division des âges dans le cas des veuves. S’il est clair que le mariage ne dure que tant que les deux époux sont en vie et que la mort rompt le lien qui unissait la femme à son mari (Rom 7 : 1-3 et I Cor 7 : 38-40), le destin de la veuve reste à la discrétion de celle-ci, même s’il est, bien entendu, préférable de ne pas se remarier (I Cor 7 : 8-11 et I Cor 7 : 40). Une nouvelle union est donc un pis-aller et, même si la veuve est libre de la conclure, elle ne doit être considérée que comme un moyen de contrôler une concupiscence effrénée. Ainsi, la hiérarchie des âges va de pair avec une

33

hiérarchie des vertus : la veuve exemplaire est âgée, elle n’a été mariée qu’une fois, a bien élevé ses enfants et a pratiqué toutes sortes d’actions vertueuses (I Tim 5 : 9-10). Au contraire la jeune veuve se laisse emporter par le désir sensuel et profite de son statut pour s’adonner à l’oisiveté et au bavardage : pour celle-ci, donc, le mariage et la maternité sont la seule solution afin qu’elle ne mette pas en danger sa réputation et ne tombe pas dans le péché (I Tim 5 : 11-15).

Enfin, saint Paul s’attache également à définir le comportement des femmes dans les assemblées et au cours des cérémonies. En ce qui concerne la première question, l’un des points fondamentaux de la doctrine paulinienne est que les femmes doivent se taire dans les assemblées, car il ne leur appartient pas de prendre alors la parole (I Cor 14 : 34-35). Dès lors, le mari devient un intermédiaire incontournable : si elles ont une question à poser, qu’elles s’adressent à lui une fois rentrées chez elles (I Cor 14 : 35). Ce point est développé dans l’Épître à Timothée, où l’Apôtre insiste sur l’interdiction pour les femmes d’enseigner (I Tim 2 : 12)4, et sur l’obligation pour elles de recevoir l’enseignement dans le silence (I Tim 2 : 11-12). À ce silence dans les assemblées et au moment de recevoir l’instruction s’ajoute un signe de soumission lors des actes religieux : le voile (I Cor 11 : 5). Il s’agit là d’une coutume instaurée par Paul, et qui n’apparaît pas dans les textes de l’Ancien Testament5. Cependant, cette idée, et surtout l’image de la femme qui la sous-tend (l’homme ne doit pas se couvrir la tête, étant l’image et la gloire de Dieu, alors que la femme est la gloire de l’homme) seront souvent reprises par les auteurs soucieux d’éduquer les femmes, et notamment par ceux dont les œuvres constituent notre corpus.

4 Cette idée est reprise dans l’Instructión de la muger christiana, sans qu’apparaisse une référence explicite à saint Paul : « Quando digo que la muger no debe mostrar ni alabarse de que sabe mucho, más la diré que no debe enseñar ni tener escuela para enseñar hijos agenos » (Juan JUSTINIANO, Instructión de la muger christiana, [1528], Madrid : impr. de don Benito Cano, 1793, p. 27). Le texte original, l’Institutione foeminae christianae, fut écrit en latin en 1524 par Juan Luis Vives. Juan Justiniano a introduit de nombreuses modifications dans le texte dont il a, notamment, supprimé des passages. Dans la mesure où c’est dans sa version castillane que le texte a circulé parmi le public espagnol de l’époque, je citerai de préférence la traduction.

5 Pauline BEBE, Isha. Dictionnaire des femmes et du Judaïsme, Paris : Calmann-Lévy, 2001, p. 83. Dans l’article qu’elle consacre au « couvre-chef », elle affirme : « La tradition juive a pendant longtemps considéré qu’une femme devait se couvrir les cheveux en signe de modestie devant les hommes. Dans la Bible [hébraïque], cependant, on ne trouve aucune trace de cette coutume ». Elle explique ensuite que, selon la tradition, le voile s’imposait surtout aux femmes mariées, et qu’une femme qui n’attachait pas ses cheveux et ne les couvrait pas était considérée comme vierge. Cependant, toutes les femmes, célibataires ou mariées, devaient se couvrir les cheveux à la synagogue : on retrouve, dans cette dernière coutume, la prescription paulinienne.

34