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Carro de las donas : faire évoluer un héritage

D. Conclusions de la première partie

Nous avons donc, dans cette première partie, adopté une perspective diachronique afin de situer les textes de notre corpus dans la lignée des ouvrages destinés à l’éducation des femmes. Notre premier chapitre a permis d’établir que les œuvres produites pour les femmes espagnoles entre 1454 et la fin des années 1520 s’inscrivent dans une longue tradition, qui débute avec les Pères de l’Église. Certains des textes écrits au cours des premiers siècles du christianisme seront amplement utilisés par les auteurs postérieurs, et, entre autres, par ceux qui composèrent les textes de notre corpus. Ainsi, saint Paul, dont l’autorité suffit bien souvent à garantir la validité d’un argument, ou saint Jérôme, dont les lettres fournissent un discours éducatif adapté à de nombreux profils féminins, sont des références incontournables. L’importance accordée à

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la question de l’éducation des femmes au cours des premiers siècles du christianisme est manifeste dans l’intérêt que lui portent des prélats aussi importants qu’Ambroise de Milan ou, en Espagne, Léandre de Séville. Celui-ci est l’auteur d’un opuscule qui restera longtemps sans héritier autochtone, tandis que, dans d’autres pays européens, des prélats, mais aussi des nobles et même des rois et des reines écrivent pour l’éducation des femmes et des jeunes filles. Par l’absence d’une production littéraire autochtone dans ce domaine, l’Espagne se distingue donc des autres territoires européens.

Ce long silence est rompu par un ouvrage dont les auteurs de la fin du Moyen Âge reconnaîtront le rôle fondateur : le Libre de les dones de Francesc Eiximenis. Ce texte est si important qu’il va accompagner l’éducation des femmes catalanes, puis de celles de toute la péninsule Ibérique jusqu’au XVIe

siècle, où il est en quelque sorte remis au goût du jour par le Carro. Mais le Libre est encore, par la langue dans laquelle il a été composé, difficilement accessible pour les femmes castillanes, comme en témoignent les nombreuses traductions dont il a fait l’objet tout au long du XVe siècle. Ce n’est, en effet, qu’à partir des années 1450 que des auteurs castillans vont, eux-aussi, développer une littérature didactique qui s’adresse spécifiquement aux femmes. Nous avons montré, dans notre premier chapitre, les raisons de ce retour en grâce, qui dure jusqu’à la fin des années 1520. Au cours de cette période sont en effet produits un certain nombre de textes qui, bien qu’ils présentent des caractéristiques très variables, ont tous comme point commun de s’adresser au public féminin, et ce, dans un but pédagogique.

Cette période présente une unité, en ce qu’elle se caractérise par l’intensité de la production didactique destinée aux femmes espagnoles. Alors que la période précédente est marquée par l’absence d’ouvrages didactiques destinés aux femmes dans la littérature castillane et que, dans les années 1530-1580, les auteurs espagnols ne créent guère de nouveaux textes dédiés à cette question, les quelques décennies qui s’écoulent entre ces deux bornes sont, au contraire, rythmées par l’apparition régulière d’œuvres ayant pour finalité d’éduquer les femmes. Ce rythme s’accélère juste avant qu’Isabelle I monte sur le trône et tout au long de son règne, avant de décélérer à partir de 1504. Ainsi, ce règne, qui se caractérise également par l’émergence d’un certain nombre de femmes cultivées et actives sur le plan politique voit aussi la publication

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d’ouvrages didactiques qui leur sont dédiés. Cependant, il ne faut surestimer ni l’augmentation du nombre de titres par rapport à la période précédente, ni l’importance de la littérature didactique dans l’ensemble de la production livresque.

Cette première partie nous a également permis de déceler quelques changements, quelques évolutions qui se font jour au fil du temps dans la littérature didactique destinée aux femmes. On peut ainsi être sensible aux tentatives de certains auteurs pour adapter leur propos aux mœurs des femmes de leur temps, même si leur objectif reste bien souvent de garantir la stabilité du couple, de la famille et de la société, et qu’ils sont, par conséquent, rétifs à tout changement trop important ou trop brusque à leurs yeux. Il ne faudrait pas en déduire, pourtant, que cette littérature se limite à la réitération plus ou moins cyclique des mêmes idées et des mêmes arguments. L’originalité d’un pédagogue tel que Vives, par exemple, doit nous inciter à prêter attention aux détails du discours développé par chaque auteur. C’est dans ce but que nous allons analyser, dans notre deuxième partie, chacun des textes de notre corpus en le replaçant dans son contexte de production, afin de comprendre les enjeux qui en guident l’écriture. En outre, nous allons tenter de montrer en quoi s’y mêlent un discours théorique sur ce que doit être l’éducation des femmes et un aspect pratique, dans la mesure où ils cherchent à influencer directement le comportement de leurs lectrices, qui doivent suivre les consignes données pour espérer atteindre le but fixé : celui d’être une femme vertueuse. Dès lors, il faut également s’interroger sur les moyens rhétoriques employés pour assurer l’application de ces consignes, et ainsi établir ce qui, dans nos textes, relève d’une stratégie didactique.

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D

EUXIÈME PARTIE

C

ONTENUS ET

MÉTHODES

D

ENSEIGNEMENT

:

UNE