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Un exemple d’éducation dans la plus haute société : celle d’Isabelle de Castille

b. Enseignements honnêtes et déshonnêtes

3. Un exemple d’éducation dans la plus haute société : celle d’Isabelle de Castille

Comme nous le verrons, certaines de ces femmes vont faire partie de l’entourage d’Isabelle la Catholique qui se montrera soucieuse de valoriser leur travail et d’inclure dans l’éducation de ses filles les nouvelles exigences de la fin du XVe siècle211. L’éducation qu’Isabelle, pour sa part, a reçue durant son enfance, est encore pleinement médiévale212, et similaire à celle que reçurent d’autres filles de haut lignage à la même époque213, même si les chercheurs n’ont que très peu de certitudes à ce sujet. Il faut cependant distinguer au moins trois temps dans l’éducation de la reine, outre ses premières années (1451-1454) : les sept années qu’elle passe dans un couvent d’Arévalo avec sa mère, caractérisées par un certain isolement, les quelques six années passées à la cour à partir de 1461, qui la mettent en contact avec un univers mondain jusqu’alors largement ignoré, et sa formation proprement politique, qui débute avec les luttes qui l’opposent à son demi-frère Henri et se complète avec l’apprentissage de son rôle de souveraine. Des premières étapes de cet enseignement, on ne conserve que des bribes, notamment, par exemple, le

211 Parmi celles-ci, on peut citer, notamment, l’apprentissage du latin, mais aussi de langues vernaculaires autres que le castillan. De même, les princesses pourront acquérir des connaissances en matière d’histoire, et recevoir la formation nécessaire pour mener une cour royale.

212 Sur cette question, on peut consulter notamment : Nicasio SALVADOR MIGUEL, « La instrucción infantil de Isabel, infanta de Castilla (1451-1461) », in : Julio VALDEÓN BARUQUE

(éd.), Arte y cultura en la época de Isabel la Católica, Valladolid : Ámbito 2003, p. 155-177 ; « La instrucción de Isabel la Católica. Los años cruciales (1451-1467) », Arbor, CLXXVIII, 701, 2004, p. 107-128 ; « Isabel, infanta de Castilla, en la corte de Enrique IV (1461-1467) : educación y entorno literario », in : Rafael ALEMANY, Josep Lluís MARTOS et Josep Miguel

MANZANARO (éd), Actes del X Congrés Internacional de l’Associació Hispànica de Literatura Medieval, ,

Alicante : Institut Interuniversitari de Filologia Valenciana « Symposia Philologica », 10, 2005, 2 vols., I, p. 185-212 ; Alfredo ALVAR, « La educación de Isabel la Católica », Torre de los Lujanes, 8, 2002, p. 221-238 ; Cristina SEGURA GRAÍÑO, « Influencias de Isabel de Portugal en la educación y formación política de su hija Isabel I de Castilla », in : María del Val GONZÁLEZ

DE LA PEÑA, Estudios en memoria del profesor Dr. Carlos Sáez: Homenaje, , Alcalá de Henares :

Ediciones de la Universidad, 2007, p. 383-390.

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nom d’une nourrice, María López, femme de Juan de Molina. La présence de cette femme dans l’entourage de la future reine signifie que sa mère, comme la plupart des femmes de l’aristocratie et malgré les demandes des prédicateurs, ne l’allaitait pas214. Par contre, elle vivait avec elle à la cour, entourée sans doute d’un certain nombre de personnes d’origine portugaise. À la mort de son père (1454), Isabelle de Portugal, désignée par celui-ci comme « tutriz y administradora » des infants Isabelle et Alphonse avec l’aide de trois testataires215, choisit de vivre à Arévalo, ville qui présentait l’avantage d’être bien approvisionnée et fortifiée. De nouveau, il semble que le personnel portugais y jouait un rôle crucial, puisque, selon la Crónica castellana : « principalmente quedó por aya de la infanta una virtuosa dueña portoguessa llamada Clara Fernandes, cassada con un noble cavallero llamado Gonçalo Chacón »216. Elle apprit ainsi à parler le castillan217, mais également le portugais, langue qui était à proprement parler sa langue maternelle et qui devait être d’usage quotidien à Arévalo. La reine devait ainsi être présente auprès de ses enfants et participer à leur éducation, malgré sa santé mentale défaillante. En effet, dans la société noble, le rôle de celle-ci dans l’éducation était absolument capital, et d’autant plus en cas de veuvage. Nicasio Salvador Miguel affirme même que :

es muy probable que la reina, manteniendo un trato asiduo en portugués con la hija, se implicara de modo más personal en su instrucción alrededor de los siete años, si bien su labor no iría mucho más allá de inculcarle algunas normas de buena conducta, unas someras pautas de comportamiento y alguna buena oración218.

Vers sept ans, cependant, Isabel devait également bénéficier d’autres enseignements, dans la mesure où cet âge marquait le passage entre l’enfance proprement dite, principalement placée sous l’égide de la mère, et la jeunesse :

214 Nicasio SALVADOR MIGUEL, Isabel la Católica. Educación, Mecenazgo y entorno literario, Alcalá de Henares : Centro de Estudios Cervantinos, 2008, p. 24.

215Ibid., p. 89-91.

216 Cité par N. SALVADOR MIGUEL, op. cit., p. 102.

217 Elisa Ruiz García, qui dédie un long chapitre à l’étude de l’écriture de la reine, affirme que sa graphie ressemblait beaucoup à celle d’autres personnes appartenant également à la noblesse, ce qui suggère qu’il ne s’agit pas d’une graphie purement personnelle, mais qu’elle est le résultat d’un enseignement dispensé spécialement aux membres de la noblesse, les clercs, par exemple, apprenant à tracer les lettres d’une autre façon. La reine a cependant pris goût à la pratique de l’écriture, comme l’attestent, outre la fluidité de son trait, une remarque qu’elle glisse dans une lettre à Hernando de Talavera (Saragosse, 4 décembre 1493) : « que si tuviese espacio, sin duda no ay pasatiempo en que yo más huelgue que el escrivir » (cité par E. RUIZ GARCÍA, Los libros de Isabel la Católica. Arqueología de un patrimonio escrito, Salamanque : Instituto de Historia del Libro y de la Lectura, 2004, p. 187-188).

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des précepteurs, notamment issus des rangs ecclésiastiques, pouvaient alors également participer à l’éducation de la princesse. Elle apprit ainsi à lire et à écrire le castillan, mais aussi à faire quelques opérations rudimentaires de calcul et, bien entendu, progressa dans sa connaissance de la foi et des rites catholiques. De même, il est probable qu’elle acquit également dès cette époque quelques connaissances en musique et en danse, qu’elle ne fera que développer plus tard.

Elle intègre en effet la cour peu avant la naissance de l’infante Jeanne, alors qu’elle a environ dix ans et demi, et son frère huit. Elle restera dans l’entourage de Jeanne de Portugal jusqu’au 17 septembre 1467, c’est-à-dire pendant environ six ans, au cours desquels elle l’accompagne même dans ses voyages, notamment au Portugal (été 1465). Faire partie de l’entourage de la reine lui permet de poursuivre son apprentissage dans un contexte essentiellement féminin et familial, mais également, toujours, dans une ambiance très influencée par l’esprit portugais. Le contrat de mariage de Jeanne de Portugal stipulait en effet qu’elle pouvait emmener avec elle un certain nombre de demoiselles portugaises pour la servir, et elle vivait donc au milieu d’une cour de jeunes femmes caractérisées par leur bonne humeur, mais surtout leur goût du luxe, des cosmétiques et des fêtes219. Ainsi, tout en poursuivant son apprentissage de la lecture, de l’écriture et de la religion, Isabelle put également bénéficier auprès de Jeanne d’une éducation aux pratiques de cour. Elle put donc approfondir sa connaissance de la musique et de la danse, mais aussi apprendre l’équitation, la chasse, les jeux courtois comme les échecs, ainsi que divers jeux de cartes. Plus largement, en étant à la cour, Isabelle était au centre des nouveaux courants culturels et d’une partie de la production littéraire.

Enfin, c’est dans un troisième temps qu’Isabelle a pu approfondir sa maîtrise des règles de la politique, notamment au cours de ses années de gouvernement qui lui ont permis d’apprendre l’art de la diplomatie et de l’exercice du pouvoir, tandis qu’elle complétait sa formation initiale par l’apprentissage du latin, qu’elle fera d’ailleurs enseigner à ses enfants220.

219Ibid., p. 168.

220 Le désir de la reine d’apprendre le latin et de permettre à d’autres de le comprendre facilement sera d’ailleurs à l’origine de la production de manuels spécifiques, notamment ceux de Nebrija. Ainsi, on sait que la publication d’une édition bilingue de ses Introductiones latinae

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Cependant, ses premières années à Arévalo et à la cour de la reine Jeanne ont joué un rôle fondamental dans la considération qu’elle portera, en tant que souveraine, à toutes les manifestations intellectuelles. Nicasio Salvador Miguel affirme notamment que :

Por tanto, al acceder al trono, Isabel había adquirido una profunda inclinación hacia todo tipo de saberes y una honda predilección por el estudio que contagió a quienes se movían a su alrededor, procuró instruirse en otras lenguas, como prueba su tardío aprendizaje del latín, del que comprendió su significación histórico-cultural y su valor para la diplomacia; se preocupó de la educación de sus hijos, de los vástagos de la nobleza y de los allegados a la corte, y se esforzó por hablar y escribir con pulcritud el castellano, del qual supo valorar su alcance como instrumento político y cultural, apoyando su difusión221.

N’oublions pas, cependant, qu’Isabelle n’était nullement destinée à régner, et n’a donc pas été éduquée en tant que future souveraine. Certains, notamment fray Martín de Córdoba avec son Jardín de nobles doncellas, tenteront donc d’écrire pour elle un miroir semblable à ceux qu’avaient reçus ses prédécesseurs masculins. En tant que destinataire de ce texte, Isabelle bénéficie de la résurgence d’une pratique que le Moyen Âge hispanique a pendant longtemps ignorée : celle d’écrire des textes destinés à éduquer la gent féminine.

C. La réapparition des traités d’éducation