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a. Des femmes sur le devant de la scène politique (première

moitié du

XVe

siècle)

Du point de vue politique, le début du XVe siècle s’ouvre sur la minorité du roi Jean II, quatrième roi de la dynastie Trastamare. Or, cette branche bâtarde de la famille royale de Castille, montée sur le trône à la faveur d’une guerre fratricide, cherche pendant longtemps à établir sa légitimité. Dans cette entreprise, les femmes ont joué un grand rôle, en tant qu’éléments d’une politique matrimoniale fondée sur la recherche d’alliances profitables247. C’est ainsi que Catherine de Lancastre, descendante de Pierre I, épouse Henri III en 1388, puis exerce la régence pendant la minorité de son fils Jean II, en compagnie de Ferdinand d’Antequera248. Le siècle commence donc sous l’égide d’une figure féminine qui, si elle apporte un surcroît de légitimité à la famille régnante, n’en convainc pas pour autant les chroniqueurs de ses qualités politiques : Fernán Pérez de Guzmán, dans ses Generaciones y semblanzas, la décrit comme une reine à l’identité sexuelle indécise, et gouvernée par ses favoris249.

La première femme de Jean II, Marie d’Aragon, mène en revanche sur

247 Jean-Pierre JARDIN, « Le rôle politique des femmes dans la dynastie Trastamare », E-Spania,…, § 1 et 8.

248 Également roi d’Aragon à partir de 1412, il contribua à l’influence que ce royaume exerça sur la Castille pendant une partie du XVe siècle.

249 Voici comment il la décrit : « Fue esta reina alta de cuerpo e muy gruesa, blanca e colorada e rubia. En el talle e meneo del cuerpo tanto pareçía onbre como muger. Fue muy onesta e guardada en su persona e fama, liberal e manífica, pero muy sometida a privados e muy regida dellos, lo cual, por la mayor parte, es biçio común de los reyes » (F. PÉREZ DE GUZMÁN, Generaciones y semblanzas, J. Domínguez Bordona [éd.], Madrid : Espasa Calpe, 1965, p. 19).

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le plan politique des actions qui, bien qu’elles ne soient guère favorables à son mari, correspondent à ce que les chroniqueurs de l’époque considéraient comme relevant d’une attitude féminine. De plus, par les liens qu’elle entretient avec sa famille d’origine, elle contribue à la diffusion des productions culturelles aragonaises à la cour de Castille, et donc, peut-être, à celle du débat touchant aux qualités et aux défauts des femmes. Même si, selon Federica Accorsi, nous n’avons aucune preuve qu’elle ait réellement lancé une croisade pour rétablir la réputation du beau sexe, on peut néanmoins estimer qu’elle n’est pas totalement étrangère à la publication, à quelques années d’intervalle, de trois défenses des femmes par des personnages proches de la cour250. La première, d’un point de vue chronologique, fut sans doute la Defensa de virtuosas mujeres, de Diego de Valera, dédiée à la « muy exçelente e muy ilustre prinçesa doña María, reina de Castilla y León », dont il est dit qu’elle est la plus vertueuse des femmes et, comme telle, digne dédicataire du traité251. Suivit ensuite le Triunfo de las donas (a. 1445), de Juan Rodríguez del Padrón, qui est également dédié à la reine Marie252. Elle y est cette fois qualifiée de « en graçia e virtudes singular », mais également de « muy enseñada », ce qui signifie qu’elle incarnait, aux yeux de l’auteur, la perfection en termes de beauté, de vertu, mais aussi d’éducation253. Cet éloge est renforcé à la fin du traité, puisqu’ayant achevé son raisonnement, l’auteur se rend compte qu’il doit choisir comme dédicataire la reine Marie, considérée comme le parangon de la vertu, de la noblesse et de l’honneur, et désignée par une périphrase qui met en avant son rôle dans les alliances politiques de la péninsule Ibérique : « hermana de las tres reales coronas »254. Enfin, la troisième défense la plus célèbre de l’époque atteste de la popularité du sujet à la cour puisqu’elle fut écrite par un de ses personnages les plus importants : il s’agit du Libro de las virtuosas e claras mujeres, d’Álvaro de Luna (1446). Le fait qu’en si peu de temps, trois œuvres aient été composées sur le même sujet ne peut néanmoins être dû à la seule influence de la reine255, ou, du moins, suggère

250 F. ACCORSI, op. cit., p. 56.

251Ibid., p. 230.

252 Florence Serrano, cependant, date l’écriture de ce texte de la période 1438-1441 : il pourrait donc être antérieur à la Defensa de Valera (Florence SERRANO, La Querelle des Femmes à la cour, entre la Castille et la Bourgogne, au XVe siècle. Etude et édition critique du Triunfo de las donas / Triumphe des dames de Juan Rodríguez del Padrón, thèse de doctorat soutenue le 09/06/2011 à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, p. 34.

253Ibid., p. 372.

254Ibid., p. 459.

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également que ce type d’œuvres a rapidement suscité l’adhésion des représentants de la culture de cour, qui voyaient dans la défense de la femme l’un des apanages de l’esprit chevaleresque. Les poètes et courtisans de l’époque y ont également vu un espace apte à favoriser l’émulation et le jeu littéraire. En outre, le sujet est propice à la diffusion de la culture classique, qui s’imposait de plus en plus, sous le règne de Jean II, comme un élément de la culture nobiliaire. Enfin, ces textes rencontrent aussi un public féminin, composé des dames de la cour, dont ils contribuent à garantir la dignité, certes, mais auxquelles ils permettent également d’acquérir une certaine culture (touchant aux chroniques, aux mythes antiques, etc.), sur un mode plaisant. C’est là un aspect fondamental, y compris pour la renaissance de la littérature didactique destinée aux femmes : celles-ci sont désormais peu à peu perçues, non seulement comme un lectorat, mais comme un public désireux d’apprendre256. Les catalogues de femmes illustres ont donc une certaine portée éducative, mais tel n’est pas leur intention première : écrits dans un but polémique, mais aussi exercices littéraires et courtois, ils cherchent par ailleurs d’abord à convaincre les détracteurs des femmes – et non celles-ci – des mérites du beau sexe. Le débat sur la nature féminine (composé de plus de défenses que d’attaques) a donc rencontré à la cour de Castille dans la première moitié du XVe siècle un terrain favorable à son développement257. Nous allons à présent aborder plus en détails les propos tenus par les défenseurs et les détracteurs des femmes, notamment en ce qui concerne l’éducation de ces dernières, leur relation au savoir et la figure de la femme savante.

plan politique. Ainsi, selon Florence Serrano, son Libro peut être compris comme un manifeste politique dans lequel il choisit notamment des femmes présentées comme des modèles de justice. À l’opposé de l’échiquier curial, Juan Rodríguez del Padrón choisit également des exemples propres à guider la reine Marie sur la voie qu’il souhaiterait lui voir prendre (ibid., p. 110). Les traités composés pour défendre les femmes contre leurs détracteurs à la cour de Jean II ne sont donc pas exempts de préoccupations idéologiques plus larges que la revalorisation du beau sexe.

256 Bien entendu, les femmes n’ont pas attendu le XVe siècle pour avoir envie d’acquérir des savoirs de tous types, pas plus que l’on a attendu cette époque pour les leur transmettre, comme nous l’avons vu. Mais ce qui est nouveau à la fin du Moyen Âge est que ce désir de savoir va se tourner davantage vers l’écrit, les femmes ayant en effet plus facilement accès aux livres. L’Avisación a la virtuosa y muy noble señora doña María Pacheco, condessa de Benavente, de cómmo se debe cada día ordenar y occupar para que expienda bien su tiempo reflète ce processus, dans la mesure où c’est bien le désir de savoir, la concupiscentia sciendi de la destinataire qui a motivé l’écriture de l’ouvrage, (H. DE TALAVERA, op. cit., particulièrement p. 125-127).

257 Federica Accorsi fait ainsi remarquer, dans son édition de la Defensa de Diego de Valera : « In sostanza dunque, al di là dell’indubbia esistenza di una sorta di moda letteraria, pare che le tre principali difese degli anni 30-40 rispondano anche a un movente socio-culturale sostanzialmente identico, declinato secondo le istanze specifiche della condizione, alquanto diversa, dei tre autori » (op. cit., p. 94).

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