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LA TERRITORIALITE DES STATUTS, FACTEUR D’ACCUEIL OU DE REJET DE LA LOI ETRANGERE AU NOM DE LA SOUVERAINETE

ETATIQUE

(XVI

E

-XVII

E

SIECLES)

Jusqu’à l’apparition d’une École dite « Hollandaise », au milieu du XVIIe siècle, tous les

discours et tous les systèmes qui avaient porté sur le conflit de lois s’étaient conformés aux enseignements du statutisme traditionnel hérité de la romanistique médiévale. La consonance pouvait s’avérer étroite ou lâche, car l’acclimatation d’un tel héritage ne pouvait se faire sans difficultés, ni aménagements, eu égard à la diversité des contextes, politiques ou intellectuels, auxquels il était appelé à s’adapter. La fidélité à la méthode statutiste – sinon à ses solutions – ne s’en était pas démentie pour autant. Il était, du reste, périlleux, pour qui s’attelait à étudier les conflits de lois, de se défaire de l’emprise de l’influence civiliste, dans la mesure où elle demeurait, en la matière comme en d’autres, la référence absolue et où aucun autre système ne pouvait lui être opposé en guise d’alternative.

S’il faut reconnaître à l’École Hollandaise quelque titre à la postérité, c’est sans doute pour avoir su proposer – et, dans une certaine mesure, imposer – un renversement de perspective par rapport à l’approche de la théorie des statuts. En effet, à maints égards, l’École hollandaise rompt avec l’héritage bartoliste et post-bartoliste. Une rupture « idéologique », tout d’abord, dans la mesure où elle puise son inspiration, non dans l’idéal médiéval d’une Chrétienté assujettie à un Empire et à une Eglise aux prétentions universelles, mais dans l’esprit des Traités de Westphalie et dans le nouvel ordre international articulé autour de la primauté des Etats-Nations et de la notion de souveraineté. La territorialité du droit – quel qu’en soit le support : statut, coutume, loi – se fait dès lors plus intransigeante, plus absolue, plus protectrice encore des intérêts de l’Etat et de ses ressortissants. Une rupture formelle, ensuite, en ce qu’elle s’émancipe de l’autorité parfois écrasante de ses prestigieux aînés en contestant frontalement l’autorité et la primauté du jus commune au profit des législations particulières – et, notamment, nationales. Une rupture méthodologique, enfin, qui ne s’approprie les cadres intellectuels de la théorie des statuts que pour mieux les dévoyer : ainsi, la classification, bipartite ou tripartite, des statuts est priée de se conformer au dictat de la territorialité. Ce mariage forcé entre le reliquat de la théorie des statuts et l’exigence toujours plus pressante de la souveraineté conduit même, in fine, un Ulrich Huber à répudier toute classification des statuts pour privilégier une approche nouvelle, tout entière ancrée dans le jus gentium et donner son visage définitif au statutisme hollandais.

La conjonction de ces tendances sourdes a pour conséquences principales d’inscrire au cœur même des réflexions doctrinales l’idée d’une souveraineté/territorialité de la loi (qui se substitue, peu à peu, au statut) et d’articuler autour de cette idée-force les principes de solution qu’ils dégagent. Mettant leur pas dans ceux de Bertrand d’Argentré, les juristes de cette Ecole, Christian Rodenburg, Paul et son fils, Jean Voet, et Ulrich Huber, finissent par reléguer

l’extraterritorialité du statut personnel au rang d’exception, d’anomalie. Dès lors, les lois et statuts, parce qu’ils émanent d’une autorité qui se veut souveraine sur son territoire, se font toujours plus impérieux et le respect de cette compétence exclusive suppose désormais d’instaurer un filtre pour accueillir ou rejeter la loi étrangère qui se serait vu accorder le bénéfice de l’extraterritorialité. Ce filtre – qui prend le relais du jus commune pris dans sa teneur matérielle – préfigure la moderne exception d’ordre public.

L’importance des thèses de l’Ecole Hollandaise ne saurait s’apprécier sans rappeler l’influence qu’a exercé sur elles les œuvres de Bertrand d’Argentré et, à un moindre degré, des juristes qui ont été ses relais dans les Flandres, dont la figure la plus remarquable demeure celle de Nicolas de Bourgogne, dont les ouvrages ont produit une forte impression sur Paul Voet. S’il est moins en rupture, du point de vue de la méthode, avec l’héritage bartoliste et avec les positions de Dumoulin qu’il lui arrive de le prétendre, Bertrand d’Argentré est, à ce point, pénétré de la souveraineté des coutumes qu’il en exalte leur réalité/territorialité de principe. En effet, la réalité des statuts, bien loin de révoquer ou d’abolir les préoccupations de publica utilitas, tend pleinement, au contraire, à les garantir. Cette réalité, qu’il se plaît, par ses définitions péremptoires, à confondre avec la territorialité, est, dès lors, envisagée comme une projection de la puissance publique. Ainsi, dans la perception qui est celle du juriste breton, la souveraineté de la coutume sur son territoire symbolise l’indépendance juridique du duché, qu’il conçoit de la manière la plus absolue (Chapitre 1er). Mais le constat vaut tout autant pour les autres coutumes : son point de vue est territorialiste et

« nationaliste », mais non particulariste. Dans la mesure où la puissance politique dérive directement de la puissance foncière, alors, la réalité/territorialité investit certaines dispositions d’une coutume d’une force impérative qui doit traduire, au sein du conflit de coutumes, la prise en considération des intérêts supérieurs de l’ordre juridique coutumier, qui doivent nécessairement transcendent les intérêts privés en cause. La véritable présomption de réalité qu’il forge devient non seulement un instrument de défense des intérêts fonciers et des intérêts familiaux et sociaux qui sont attachés traditionnellement aux immeubles, mais, aussi et surtout, une arme destinée à refouler la coutume étrangère en lui interdisant de produire effet sur un intérêt ainsi sanctuarisé.

Si le glissement de sens de la réalité des statuts, au sens matériel du terme, vers la réalité, au sens de souveraineté territoriale, trouve son amorce dès Bertrand d’Argentré, ce n’est qu’avec les travaux des Hollandais, au XVIIe siècle, que cette mutation – qui est aussi une mutation du conflit

de lois vers le conflit de souverainetés – est définitivement consommée : la systématisation des thèses défendues par ces auteurs et la rigueur axiomatique qu’ils leur imposent épousent parfaitement le double mouvement d’indépendance des Etats-Nations en voie d’affirmation internationale et d’essor des droits nationaux. L’Ecole Hollandaise a attaché son nom à l’affirmation d’une vraie souveraineté/territorialité des statuts, qui est la conjonction de deux principes cardinaux : la territorialité, parce que le territoire est perçu comme le socle sur lequel s’assoit la toute-puissance du législateur local ; la souveraineté, parce que le législateur, à l’intérieur des limites qui borne son pouvoir, est maître absolu et, donc, maître, au besoin par la contrainte, d’imposer ses lois, y compris, s’il l’entend, d’assujettir ceux qui ne sont pas ses sujets naturels (Chapitre 2ème).

C’est sur ces fondations que les Hollandais entendent bâtir une réinterprétation du conflit de statuts, qui s’écarte des aspirations des statutistes médiévaux, mais qui n’en rejette pas pour autant la méthode : la distinction statuts réels/personnels, principalement envisagée ab effectu, leur permet de proposer un modèle de résolution du conflit de lois qui met en balance, d’un côté, le fondement du statut réel, c’est-à-dire le strictum jus ou rigor juris, qui rend ce statut réel absolument souverain sur son territoire, et, de l’autre, le fondement du statut personnel, qui s’appuie sur la necessitas ou comitas,

et qui en assure l’extraterritorialité. Le système, volontairement déséquilibré, est conçu de telle façon qu’il doit permettre à l’ordre juridique local d’accueillir ou de refuser à son gré une loi, un acte ou une décision qui est née sous l’empire d’une loi étrangère : la dichotomie strictum jus/comitas sert ainsi de filtre d’ordre public (Chapitre 3ème).

CHAPITRE I - L’ESPRIT D’INDEPENDANCE DE LA COUTUME PORTE A SON

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