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CHAPITRE II LA TERRITORIALITE SAISIE PAR LA THEORIE DES STATUTS : LES STATUTS TERRITORIAUX PAR NATURE ET LES STATUTS PERMISSIFS ET

C ONCLUSION DU TITRE PRELIMINAIRE :

L’histoire des mécanismes qui seront qualifiés plus tard de « lois de police et de sûreté » trouve son origine dans les réflexions conjointes entamées par les doctrines canoniste et civiliste des XIIe et XIIIe siècles, qui, en tentant de définir les règles susceptibles d’articuler les lois propres

à une cité ou à un diocèse avec les dispositions générales qui exprimaient la domination d’un ensemble universel tel que l’Empire ou l’Eglise, contribuèrent à donner naissance à la théorie des statuts. La préfiguration des statuts d’application territoriale et impérative s’incarne, alors, dans la loi pénale particulière, qui porte les exigences de l’utilitas publica du lieu et qui a, par conséquent, vocation à étendre ses effets au ressortissant étranger présent sur le territoire, qui ne peut, sauf excuse d’ignorance légitime de la loi applicable, se réclamer du principe d’exemption vis-à-vis de la loi locale dont peut bénéficier, théoriquement, chaque étranger de bonne foi. La notion d’ignorance légitime a naturellement conduit les droits savants à s’interroger sur les critères qui distinguent une ignorance légitime d’une ignorance supina et crassa : si l’heure n’est pas encore à la soumission exclusive et inconditionnelle de tous les délinquants, domiciliés comme étrangers, à la juridiction et à la loi du locus delicti commissi, les éléments qui définissent la « loi de sûreté » sont déjà réunis par les doctrines canoniste et civiliste au XIIIe siècle et les juristes qui prendront la suite

reprendront fidèlement une solution désormais bien installée et justifiée par de puissants motifs, quitte à en redessiner les contours sur certains aspects particuliers. A ces statuts pénaux, viennent s’adjoindre des statuts de police, qui, fonctionnant sur un mode similaire, expriment les exigences propres à un ordre juridique civique, comme l’illustre à merveille l’exemple topique de l’interdiction d’exporter des marchandises en dehors du territoire, motivée par la prévention de toute situation éventuelle de pénurie, qui est, par excellence, une matière d’ordre public.

Bartole, par sa réflexion sur les statuts réels immobiliers et les statuts prohibitifs et permissifs, enrichit davantage la toile de fond des mécanismes d’application territoriale. En rappelant la territorialité exclusive des statuts réels immobiliers, d’une part, et, en évaluant la portée extraterritoriale ou territoriale d’un statut selon qu’il étend ou restreint la capacité à agir d’un sujet de droit à l’aune du jus commune, il augure une construction doctrinale où la considération des intérêts privés, qui encourage la circulation des actes, des décisions et des statuts personnels, est mise en balance avec les intérêts défendus par le législateur particulier, qui prétend à l’exclusivité du pouvoir d’ordonner, de juger et de contraindre sur son territoire. La figure du statut prohibitif, favorable ou odieux selon qu’il entre ou non en conformité matérielle avec les valeurs portées et véhiculées par le droit commun, occupe, dès lors, une place centrale, aux côtés de la lex loci delicti, dans la définition des lois de police et de sûreté. La lutte du droit commun contre des statuts permissifs jugés trop exorbitants et le cantonnement qu’il opère envers des dispositions qu’il juge odieux manifeste, en effet, les tiraillements et les tensions que peut connaître le mode de gestion verticale qui caractérise le statutisme italien. Celui-ci concevant le conflit de lois comme un conflit entre les différentes compétences normatives en cause, il recourt dès lors à l’arbitrage du jus

commune pour canaliser, voire neutraliser, l’action contraire des normes locales. Balde, qui s’inscrit

dans la continuité de l’enseignement de Bartole, semble, toutefois, prendre conscience que l’enjeu porté par les statuts prohibitifs et permissifs ne peut se résumer à une confrontation entre le droit commun et les droits particuliers ; il envisage, de façon incidente, la possibilité entre deux droits particuliers d’entrer en collision et de faire entrer, alors, pour la résolution du conflit en question, les intérêts d’ordre public qui soutiennent la disposition d’exception, le plus souvent prohibitive. L’affinement qu’il apporte à la théorie bartolienne des dispositions permissives ou prohibitives, et,

au sein de ces dernières, de leur éventuel caractère odieux, contribue à dessiner, avec des traits plus fermes, la figure des statuts prohibitifs dont hériteront les juristes français au XVIe siècle.

Le XVIe siècle est, en effet, le siècle où la théorie italienne des statuts passe le relais à une

« Ecole française des statuts », qui, si elle ne peut, en réalité, se réunir sous une seule et même bannière, présente comme dénominateur commun de solder l’héritage bartoliste et de réorienter désormais la problématique du conflit de lois vers une approche mieux adaptée à l’ordre juridique du Royaume : celle des conflits intercoutumiers. Si la rupture n’est pas aussi franche qu’elle a pu le laisser paraître, l’esprit d’indépendance et la sensibilité aux particularités propres à la source coutumière encourage ces auteurs – en premier lieu, Charles Dumoulin – à développer des doctrines qui prennent désormais mieux en compte, même si cela est à des degrés divers, la nature réelle et personnelle des coutumes. Le statut prohibitif connaît alors une consécration, en étant élevé au rang de mécanisme régulateur défenseur d’un intérêt public cher aux ordres juridiques locaux et à l’organisation sociale de l’époque – la conservation des patrimoines dans les familles et la stabilité de l’ordre social – et en s’incarnant dans l’immeuble, support des richesses et garant de la territorialité des coutumes.

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