• Aucun résultat trouvé

ère Les conditions d’émergence d’une doctrine internationaliste hollandaise Les lignes de force qui traversent et structurent l’École hollandaise à partir de la seconde

CHAPITRE I L’ESPRIT D’INDEPENDANCE DE LA COUTUME PORTE A SON FAITE : LE STATUT REEL, PIERRE ANGULAIRE DU TERRITORIALISME DE

Section 1 ère Les conditions d’émergence d’une doctrine internationaliste hollandaise Les lignes de force qui traversent et structurent l’École hollandaise à partir de la seconde

moitié du XVIIe siècle sont le fidèle reflet d’un environnement politique, social et religieux – celui

qui définit les Provinces-Unies du « Siècle d’or »309 (1581-1702) – qui a profondément et

durablement imprégné les juristes de cette époque. En effet, les prémices de la doctrine hollandaise trouvent leur source dans la jeune histoire des Provinces-Unies et dans leur émergence sur la scène internationale au lendemain de l’indépendance arrachée de haute lutte à l’Espagne des Habsbourg (§ 1.). Tout au long du XVIIe siècle, la doctrine juridique se révèle de plus en plus perméable aux

aspirations au développement et à l’épanouissement d’une République naissante soucieuse d’affirmer sa souveraineté pleine et entière dans le concert des Nations. Si le traité de Münster du 30 janvier 1648 clôt définitivement le chapitre de l’émancipation des Provinces-Unies vis-à-vis de la

307 Cette École hollandaise a inspiré quelques travaux fondamentaux, essentiellement en langue étrangère, auxquels l’on

voudra bien se reporter pour en avoir une appréciation plus générale. Parmi les plus anciens, il convient de citer la synthèse tentée par Armand LAINE, Introduction, op. cit., tome 1er, pp. 395-408 (les pages 404-405 sont consacrées à

Christian Rodenburg et, pour l’essentiel, rappellent sa filiation intellectuelle avec d’Argentré et de Bourgogne, références à l’appui) et tome II, Paris, 1892, dans son chapitre III – « La doctrine française », pp. 49-52, au sujet de Rodenburg, et dans son chapitre IV – « La doctrine hollandaise », pp. 95-112, qui se concentre sur les Voet, père et fils, et sur Huber. Mais le premier travail qui tente d’embrasser la doctrine hollandaise comme un tout demeure la thèse - encore considérée aujourd’hui comme une référence - de Johannes Philippus SUIJLING, De Statutentheorie in Nederland gedurende de XVIIde eeuw, soutenue à Utrecht en 1893. Outre le cours professé à l’Académie de Droit international de La Haye par Eduard-Maurits MEIJERS,précité, et celui de Max GUTZWILLER, « Le développement historique du Droit international privé », op. cit., pp. 285-400, les Hollandais ont fait l’objet de développements nourris chez Roeland Duco KOLLEWIJN, Geschiedenis van de Nederlandse wetenschap van het International privaatrecht tot 1880, elle-même incluse dans la

Geschiedenis der Nederlandsche Rechtswetenschap, deel I, parue en 1937, à Amsterdam, et qui contient plusieurs chapitres consacrés à nos auteurs. Ce travail historique est suivi par la thèse de Johannes Marinus Bernardus SCHOLTEN, Het begrip Comitas in het Internationaal Privaatecht van de Hollandse Juristenschool der 17de Eeuw, Utrecht, 1949, et par l’ouvrage de Max GUTZWILLER, Geschichte, op. cit., notamment aux pages 117-176. Dans ce dernier ouvrage, figurent des résumés en anglais et en français (pp. 282-286). Il faut aussi signaler que l’ouvrage de Johannes Wilhelmus WESSELS, History of the Roman-Dutch Law, Grahamstown, 1908, contient des notices concernant la vie et la carrière de chacun de nos auteurs dans son chapitre XXXI.

Plus récemment, l’École hollandaise – grâce, entre autres, au concept de comitas - a suscité un intérêt marqué de la part des juristes américains et sud-africains. Parmi les premiers, il convient de distinguer, parmi de nombreuses contributions, celle de Hessel Edward YNTEMA, « The Comity doctrine », Von Deutschen zum Europaïsche Recht. Festschrift für H. Dölle, vol. II, Tübingen, 1963, pp. 65-86, fidèlement reproduite dans la Michigan Law Review, n°65, 1966, pp. 9-32. Pour les seconds, l’on se contentera de renvoyer au travail magistral de A. Basil EDWARDS, The Selective Paul Voet : being a translation of those sections regarded as relevant to the modern conflict of laws, of the De Statutis eorumque concursu liber singularis (Amstelodami, 1661), as a single book on statutes and their concurrence : an abridgment, paru dans la revue sud- africaine Fundamina, n° spécial : vol. 13, n°1, 2007, et qui contient une importante mise à jour bibliographique.

308 Sur une analyse du conflit de souverainetés à travers l’Histoire, voir l’article fondamental de André BONNICHON,

« La notion de conflit de souverainetés », op. cit., spéc. pp. 630-632, qui souligne le rôle décisif, à cet égard, des Hollandais.

309 Christophe DE VOOGD, « La civilisation du "Siècle d'or" aux Pays-Bas », mai 2003, disponible en ligne sur le site

domination espagnole, amorcé par l’Acte d’Union d’Utrecht du 23 janvier 1579, cette lutte pour l’indépendance dirigée tout à la fois contre l’Espagne et l’Empire a durablement marqué les juristes civilistes de l’époque et contribué à infléchir leur pensée jusqu’à les conduire à intégrer dans leurs raisonnements des considérations tenant strictement au droit public, interne comme international (§ 2.).

§ 1. Un environnement politique favorable à l’émergence d’une doctrine internationaliste.

La rupture consommée avec l’Empire des Habsbourg puis avec le Royaume d’Espagne est le résultat des tendances séparatistes qui ont travaillé la société des Pays-Bas septentrionaux depuis l’affaiblissement de la maison de Bourgogne310. A l’origine, pourtant, la domination bourguignonne

(du début du XVe au milieu du XVIe siècle) avait contribué à façonner l’identité des Pays-Bas, en

préservant à la fois le désir d’autonomie des différentes provinces qui la constituaient et en les dotant d’une administration centrale appelée à jouer un grand rôle dans la Constitution des Provinces-Unies. La conscience d’une singularité des provinces néerlandaises remonte sans doute au moment où les ci-devant « pays de par-deçà » se détachent définitivement de la maison-mère des Valois-Bourgogne et se rattachent au rameau des Habsbourg, par le mariage de la fille du Téméraire avec le futur empereur Maximilien 1er de Habsbourg en avril 1477. Ainsi, sous le règne

de Charles Quint, les Pays-Bas se voient reconnaître, par un acte officiel, une pleine personnalité : la Diète impériale d’Augsbourg accorde en 1548 un nouveau statut à ces dix-sept provinces, désormais unifiées par la création d’un « Cercle impérial de Bourgogne ». Ce nouveau statut répondait aux revendications autonomistes portées par la nouvelle classe montante, celle de la bourgeoisie des commerçants et artisans, particulièrement en province de Hollande.

Le rattachement à la Couronne d’Espagne qui résulte de l’abdication de Charles Quint puis le long conflit qui s’ensuit avec la monarchie centralisatrice et autoritaire de Philippe II ont pour effet d’exacerber la volonté d’autonomie et de liberté des Sept Provinces - les plus septentrionales des Pays-Bas Espagnols311 et les plus éloignées de Rome - et de les convertir à un véritable désir

d’indépendance, soutenu par l’idéologie de la Réforme et personnifié par la forte figure du statdhouder Guillaume le Taciturne et acté par l’Union d’Utrecht. La constitution des Provinces- Unies en république indépendante en 1581 et les nombreuses guerres destinées à préserver leur intégrité ne font que rendre plus irrémédiable encore la sécession des provinces rebelles. C’est aussi au tournant du siècle que la république naissante éprouve sa puissance, économique et commerciale, en s’assurant de nouveaux débouchés par l’établissement de comptoirs dans l’Atlantique comme dans l’Océan Indien. Ainsi, la VOC (Veerenigde Oost-Indische Compagnie), ou Compagnie Unies des Indes Orientales, est créée dès 1602. Quant à la bourgeoisie marchande des différentes provinces, elle s’attache à endiguer les ambitions centralisatrices des différents stadhouders.

310 Sur l’histoire des Provinces-Unies et l’influence décisive que constitue la double expérience bourguignonne et

impériale, voir l’exposé, très clair et synthétique, de Christophe DE VOOGD, Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, Paris, 2003, chapitres 1 (pp. 29-66) et 2 (pp. 67-136). Sur la transition entre la volonté d’autonomie et l’indépendance pleinement éprouvée, ainsi que sur les rapports – complexes – avec le Saint-Empire, voir Robert FEENSTRA, « A quelle époque les Provinces-Unies sont-elles devenues indépendantes en droit à l’égard du Saint-Empire ? », TVR, n°20, 1, 1952, pp. 30-63 et n°20, 2, pp. 182-218

311 A savoir : les provinces de Zélande, Hollande, Utrecht, Gueldre, Overijssel, Frise et Groningue, ainsi que leurs

Les traits saillants de la singularité de l’expérience hollandaise se fixent définitivement au milieu du XVIIe siècle. Sur le plan interne, l’équilibre instable sur lequel reposent les relations entre

les représentants successifs de la dynastie d’Orange-Nassau – dont les fortes aspirations monarchiques à peine dissimulées contrariaient l’intégrité du régime républicain – et l’oligarchie marchande qui gouverne les Etats – généraux et provinciaux – finit par basculer en faveur de cette dernière. La mort de Guillaume III en 1702 offre enfin l’occasion à la bourgeoisie commerçante de ressaisir le contrôle des institutions et d’exercer la réalité du pouvoir : en témoignent la suppression – jusqu’en 1747 – du stathoudérat et l’éviction de la dynastie d’Orange-Nassau312. Le régime

républicain achève dès lors le cycle amorcé sous l’ère bourguignonne : l’unité de la jeune République est préservée dans le respect de la diversité des provinces qui la composent, sans pour autant sacrifier au modèle centralisateur et absolutiste. L’Etat fortement structuré qui constitue l’armature du régime républicain est très éloigné de celui qui se dessine à la même époque dans le Royaume de France sous le règne de Louis XIV ou dans le Royaume d’Espagne gouverné par les Habsbourg. Sur le plan international, le Traité de Münster de 1648 marque l’avènement, pour les Provinces-Unies, d’une indépendance complète au détriment de l’Espagne. Unité dans la diversité garantie par une oligarchie marchande soucieuse de conserver ses privilèges et ses relations commerciales d’une part, indépendance d’une nation désireuse de préserver son ouverture sur le monde et les échanges économiques et culturels qui en découlent de l’autre, telle est la figure complexe que revêtent les Provinces-Unies à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle.

Les Traités de Westphalie de 1648, s’ils ne contiennent pas dans le corps de leurs textes de grande déclaration à ce sujet, ont été le point de départ d’un nouvel ordre international qui, tirant les leçons des conflits qui ont jalonné la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, se façonne à partir

de quelques principes directeurs313 : c’est le triomphe de l’idée de la souveraineté absolue de chaque Etat

sur son territoire et sur les sujets qui y sont rattachés. Cette souveraineté intérieure s’assortit de la garantie que, sur le plan international, son indépendance politique doit être reconnue, aussi bien par les autres Etats souverains – ses pairs – que par les pouvoirs suprêmes, impériaux et pontificaux, qui n’ont désormais plus de titre à intervenir pour régenter les affaires d’un Etat. Le corollaire de ces deux idées-forces réside dans le principe de la liberté religieuse (ejus regio, cujus religio), qui entre officiellement dans le chef de compétences du pouvoir politique laïc, au détriment de la compétence supranationale proclamée par le Saint-Siège et au prix de l’abolition du rêve médiéval d’une Respublica christiana.

312 Selon Christophe DE VOOGD, Histoire des Pays-Bas, op. cit., notamment aux pp. 93-113 et 144-145, la vacance du

stathoudérat ne coïncide pas nécessairement avec une crise du pouvoir : à chaque fois, de 1650 (mort de Guillaume II) à 1672 (avènement de son fils Guillaume III) et de 1702 à 1747, il s’est plutôt agi, pour les élites commerçantes de reprendre la main sur un pouvoir politique que le défunt stathouder avait fini par exercer de manière monarchique et il conviendrait donc plutôt d’y voir un moyen, à leurs yeux, de réguler le fonctionnement normal des institutions, en affaiblissant la fonction de stathouder chaque fois qu’elle avait menacé de déséquilibrer le système constitutionnel des Provinces-Unies. L’auteur voit d’ailleurs dans cette vacance un signe de la « victoire complète de l’oligarchie bourgeoise sur le stadhouder » (loc. cit., p. 94).

313 Sur la conjoncture qui entoure les Traités de Westphalie, la manière dont ils sont venus à bout de

« l’enchevêtrement des espaces normatifs » qui caractérisaient l’Europe du Moyen-Âge et sur les conséquences qui en ont été tirées au niveau du Droit international, tant privé que public, se référer à l’étude – étayée par une solide connaissance de la bibliographie anglo-américaine - sur les origines historiques du concept moderne de comity par Thomas SCHULTZ et David HOLLOWAY, « Retour sur la comity : première partie : Les origines de la comity au carrefour du Droit international privé et du Droit international public », Clunet, 2011, n°4, pp. 863 à 886. La comity, telle qu’elle est apparue au XIXe siècle, est la descendante directe et plus ou moins fidèle de la notion de comitas qu’ont développé

Dès lors, dans un climat aussi propice à l’effervescence des souverainetés nationales, il n’est guère étonnant que ces aspirations se traduisent, sur le plan intellectuel et sur le plan des doctrines juridiques, par la fermentation d’une pensée encline à exalter l’idée même de souveraineté.

§ 2. L’apparition de l’École Hollandaise.

Témoins privilégiés, par leur statut d’universitaires et leurs responsabilités d’avocats ou de magistrats, de l’éclosion et de l’essor de la République, les juristes hollandais vont y prendre pleinement part en inscrivant ces principes dans le domaine des conflits de statuts314. Pour mener à

bien cette entreprise, ils doivent répondre à une double problématique : au niveau de l’esprit, d’abord, en infusant l’idée de la souveraineté/territorialité absolue du droit ; au niveau de la méthode, ensuite, en mettant en œuvre, dans l’élaboration de leurs solutions, une acceptation sous bénéfice d’inventaire de la tradition romaniste médiévale.

La souveraineté/territorialité du droit s’entend aussi bien des rapports que les Provinces- Unies entretiennent avec les pays étrangers, également souverains sur leurs territoires, que du statut de la loi étrangère et des conditions de l’accueil ou du rejet de celle-ci par l’ordre juridique du for. Mais elle s’applique tout aussi bien au cadre du droit inter-provincial dans lequel le droit de chaque province est susceptible d’entrer en conflit avec le droit d’une autre, pour autant que l’une d’elle sorte des limites de son détroit. Les « Hollandais », qu’ils soient originaires d’Utrecht, de Frise ou d’ailleurs, y sont particulièrement sensibles. Ils s’inscrivent d’ailleurs, sur ce point, dans la droite ligne des thèses territorialistes de Bertrand d’Argentré, qui, déjà, entendait ménager l’autorité et l’empire de la coutume locale en réduisant à la portion congrue toute pénétration d’une coutume extérieure à son détroit315. Une telle inclination ne pouvait qu’être accueillie favorablement par les

auteurs hollandais et, à cet égard, le terrain fut soigneusement préparé par la « doctrine flamando- brabançonne » qui contribua à acclimater le territorialisme argentréen à l’environnement des Pays- Bas espagnols316. Au-delà même de leur inclination théorique pour ces thèses territorialistes, le

314 Sur les conditions favorables que rencontrent aux Pays-Bas Espagnols puis dans les Provinces-Unies les questions

tenant aux conflits de statuts, voir les quelques pages qu’y consacre ArmandLAINE,Introduction, op. cit., tome I, pp. 397- 401, et, plus près de nous, A. Basil EDWARDS dans son travail de référence, The Selective Paul Voet, op. cit., dont le champ d’étude va bien au-delà de la traduction (en anglais, avec reproduction du texte original latin) de l’œuvre majeure de l’aîné des Voet et constitue une étude minutieuse et approfondie du statutisme hollandais. Le chapitre 2 qui traite des antécédents historiques du statutisme comporte deux sections dévolues à l’émergence des Pays-Bas et à la doctrine statutiste qui s’y est développée. Dans la section 2.6, l’auteur rappelle l’attachement farouche de chaque province à un système juridique considéré comme souverain, et ce dans un contexte où les Sept Provinces se trouvent immergées dans un ensemble confédéral plus vaste, dont les prérogatives et les compétences sont strictement délimitées.

315 Sur Bertrand D’ARGENTRE et ses Commentarii in patriae Britonum Leges (1584), voir, supra, pp. 147-168.

316 Sous la bannière de « doctrine flamando-brabançonne », il est autorisé de rallier les trois jurisconsultes des Pays-Bas

méridionaux qui ont écrit, à la fin du XVIe et dans la première moitié du XVIIe siècle, sur les conflits de lois. En effet,

Paul van Christynen, Nicolas de Bourgogne (déjà évoqué à la note 306, p. 170) et Pierre Stockmans ont tous des liens privilégiés avec la Flandre, le Brabant, Malines ou encore Anvers.

Paul VAN CHRISTYNEN (1543-1631), également appelé CHRISTINAEUS, originaire de Malines, est l’auteur des Commentarii in leges Mechlinienses en 1625 mais se distingue surtout comme praticien. C’est un arrêtiste de renom, comme en témoignent ses Decisiones practicarum quaestionum, recueil de sentences prononcées par le Grand Conseil de Malines, publiées en 1671.

Nicolas DE BOURGOGNE, ou DE BOURGOIGNE (1586-1649), plus connu sous le nom latin de BURGUNDUS, et également remarqué pour son œuvre d’historien, est sans nul doute le jurisconsulte le plus réputé. Seigneur de Rocquemont, il est un descendant, par le bâtard de Jean sans Peur, Jean de Bourgogne (1404-1480), évêque de Cambrai et archevêque de Trêves, comte du Cambrésis, des Valois de Bourgogne. Originaire du Hainaut, il poursuit ses études à Louvain et exerce la profession d’avocat à Gand. Il s’y illustre assez pour entamer sa carrière de jurisconsulte, en se mettant, à partir de juin 1627, au service du duc et électeur de Bavière et en occupant la chaire de Droit civil à l’Université d’Ingolstadt. En 1639, il retourne en Brabant pour y devenir membre du Conseil souverain. Son œuvre

contact quotidien avec la pratique les contraint à ne jamais méconnaître l’importance de ces « statuts » locaux317 et c’est précisément pour cette raison qu’ils puisent, en majeure partie, leurs

exemples et leurs solutions dans cette jurisprudence inter-provinciale qui sort chaque jour de leurs tribunaux.

Pour arbitrer ces conflits et ménager le souci sourcilleux que chaque système juridique, étatique comme provincial, manifeste à l’égard du respect de son autorité, ces civilistes vont naturellement se tourner vers le droit romain, autant pour demeurer fidèles à leur formation romanistique que pour puiser au précieux réservoir de raisonnements et de solutions que constitue la science bartoliste du conflit de statuts. Leur démarche et leurs réflexes restent donc indéniablement statutistes, dans la mesure où la révérence due à la souveraineté du législateur – et, plus précisément, à l’autorité qui édicte le statut – impose de s’en référer à lui pour déterminer les cas et les champs d’application de ses dispositions318. Cependant, désormais, ni le législateur, ni

l’ordre juridique ne seront plus ceux du Saint Empire romain germanique. L’émancipation des Provinces-Unies vis-à-vis de la puissance impériale et du royaume d’Espagne emportait fatalement comme conséquence que le nouvel ensemble politique jouissait d’un système juridique indépendant, qui n’admettait plus par définition la domination d’un droit d’essence supérieure, qui serait contraire à leur souveraineté. Aux yeux de ses jurisconsultes, l’idée même d’un jus commune vecteur de la puissance impériale était frappée d’obsolescence par le nouvel ordre westphalien.

En supprimant ainsi de l’équation statutiste le jus commune et en ne gardant que la méthode et la substance même du Droit romain, les Hollandais se trouvent ainsi à devoir réfléchir à une solution de substitution. En effet, le droit commun avait été, jusqu’alors, le facteur régulateur qui garantissait l’exportation, l’accueil ou le rejet des lois, décisions et autres actes et, partant, majeure – en matière de conflits de lois – est publiée en 1621 sous le titre de Ad Consuetudines Flandriae Aliarumque gentium tractatus controversiarum. Les Controverses ne cachent pas la dette qu’elles doivent à d’Argentré. Le premier des quinze tractati qui les composent débute en exposant la bipartition des statuts et l’auteur ajoute à propos du jurisconsulte breton : « [Mais] d’Argentré, en homme au génie supérieur, a ajouté une troisième catégorie, et mixte qui plus est » (Ceterum Argentraeus vir excellentissimi ingenii tertiam partem, nempe & mixtum addidit, dans le Tractatus I, n°1, p. 13, de l’édition parue en 1634 à Leyde). Cela n’empêche d’ailleurs pas de Bourgogne de donner du statut mixte une définition fort différente de celle qu’en donne d’Argentré : sur ce dernier point, voir Luc SIRI, Les conflits de lois, op. cit., pp. 399-400. Ses Controverses ont, à leur tour, profondément marqué ses pairs flamands, ainsi que ses successeurs hollandais. Sur la figure de Nicolas de Bourgogne, l’on consultera les portraits en forme d’hommage qu’en dressent les procureurs généraux Charles Victor DE BAVAY à l’occasion de l’audience de rentrée de la Cour d’appel de Bruxelles le

Outline

Documents relatifs