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CHAPITRE I L’ESPRIT D’INDEPENDANCE DE LA COUTUME PORTE A SON FAITE : LE STATUT REEL, PIERRE ANGULAIRE DU TERRITORIALISME DE

C HAPITRE II – L’É COLE H OLLANDAISE : LA SOUVERAINETE TERRITORIALE

ABSOLUE DES STATUTS

.

En s’efforçant, dans leurs constructions théoriques, d’admininstrer à la territorialité de la loi l’onction de la souveraineté absolue, Christian Rodenburg, Paul et Jean Voet, puis Ulrich Huber ont, sans aucun doute, su capter et restituer l’esprit de leur temps. Ce seul apport suffirait à marquer leur originalité, mais, du moins jusqu’à Huber, la logique de rupture qui semble animer leur système est, sur bien des points, plus apparente que réelle. Plutôt que de faire table rase du passé, ces universitaires, qui sont reconnus aussi comme des romanistes distingués et « élégants », témoignent avant tout de la volonté de rénover et de réformer, en l’actualisant, le statutisme médiéval et de le transposer dans le contexte qui était le leur : celui d’une République libre et confédérale, celle des Provinces-Unies du XVIIe siècle, dialoguant d’égale à égale avec les autres

nations souveraines. Si leur École se dresse désormais comme une alternative à la théorie des statuts, cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a aucune dette à l’égard de celle-ci : statutiste, cette École l’est indiscutablement par son attachement au mode de gestion vertical, qui concentre et canalise tous les éléments publicistes du conflit de lois, et elle l’est encore par sa fidélité envers l’idée même d’une classification des statuts.

Puisque tant de points communs semblent réunir ces auteurs, l’image d’un ensemble théorique unitaire et cohérent, ayant su exprimer, en peu de pages, et par des formules claires et frappantes, l’essence même de la souveraineté de la loi en matière de conflits de lois, demeure si persistante qu’il est désormais admis d’y voir l’expression d’une « École hollandaise »305. Il est sans

doute pertinent de parler d’une « école » à propos de tous ces auteurs, tant l’unité de pensée et la cohérence des principes fondamentaux se retrouvent d’un écrit à l’autre, en dépit des nuances et des sensibilités, souvent importantes, qui distinguent leurs approches respectives. La formation intellectuelle de ces professeurs, qui fréquentent et animent peu ou prou les mêmes établissements universitaires – Utrecht, Leyde, Franeker – et la remarquable concentration de leurs œuvres majeures en un demi-siècle seulement – la seconde moitié du XVIIe siècle – ne peuvent que

renforcer cette impression de confluence intellectuelle. Toutefois, il est inexact de la qualifier de

305 L’appellation d’« École hollandaise » ou de « doctrine hollandaise », qui sert traditionnellement à embrasser dans une

seule vue l’œuvre de ces auteurs néerlandais de la seconde moitié du XVIIe siècle, n’est pas sans susciter quelques

précaution de langage et le fait que cette terminologie classique soit reprise dans la suite de notre propos ne nous exonère pas de clarifier, au préalable, les origines de cette notion. Le premier auteur à adopter une vision historique du Droit international privé, l’Américain Joseph STORY, se contente d’utiliser l’expression « Dutch school » pour qualifier les auteurs néerlandais, dans sa première édition de ses Commentaries on the Conflict of Laws, parus à Boston en 1834. Née sous la plume d’Armand LAINE, et consacrée par sa célèbre Introduction, op. cit., tome 1er, pp. 395-413, l’appellation

même de « doctrine hollandaise » était destinée, dans l’esprit de son auteur, à réunir dans un seul et même courant les épigones de Bertrand d’Argentré qui se seraient nourris des thèses du doctrinaire breton et qui auraient acclimaté son féodalisme au contexte des Provinces-Unies du XVIIe siècle. Selon lui, la doctrine hollandaise serait une « application

pure des idées féodales dans les temps modernes ». Dans une telle perspective, la « doctrine hollandaise » devait se comprendre en contemplation de la prétendue « doctrine française », les deux formant, selon Lainé, les ramifications de la pensée argentréenne. Même si cette filiation intellectuelle a pu être contestée, au moins sur ce point très précis du féodalisme, le rayonnement de l’œuvre historique d’Armand Lainé a assuré la survie et la pérennité de l’appellation, à travers les auteurs qui le suivirent. A cet égard, il convient sans doute de mettre sur le compte de l’hommage rendu à cet auteur et de la politesse rendue à un public majoritairement francophone le fait qu’un Eduard-Maurits Meijers – grand connaisseur, s’il en est, du contexte néerlandais - a perpétué l’idée d’une « doctrine hollandaise ».

Par conséquent, l’emploi de l’expression même de « doctrine hollandaise » et l’évocation des « Hollandais » ne doivent se faire que par déférence envers une tradition désormais installée, mais en gardant toujours à l’esprit qu’ils constituent tout autant une commodité de langage qu’un raccourci trompeur, destiné à satisfaire l’esprit de synthèse cher aux juristes.

« hollandaise », dans la mesure où la Hollande – qui n’est que la prima inter pares des Provinces- Unies – n’a pas été, et de loin, la principale pourvoyeuse en matière doctrinale. Ce serait méconnaître la diversité des États ayant constitué feu le « cercle de Bourgogne » et le rôle important joué par des auteurs issus des Pays-Bas bourguignons306.

Conditionnés par les impératifs que comportent à leurs yeux l’indépendance et l’intégrité de l’ordre juridique local, tous ces auteurs s’assurent de dresser une barrière infranchissable contre une intrusion intempestive de la loi ou de la décision étrangère – perçue comme une potentielle atteinte au sacro-saint principe de souveraineté territoriale absolue de la loi. Cette pierre de touche joue, en l’occurrence, le rôle de dénominateur commun et donne un sentiment d’unité et de cohérence à cette « École hollandaise ». Toutefois, les cheminements suivis par l’un ou l’autre de ces auteurs peuvent sensiblement différer selon les points de départ et autres présupposés. Les fondations de l’École s’appuient sur des substrats différents, qui révèlent la double inspiration – privatiste et publiciste – des juristes hollandais. Même incidente, la construction progressive d’un corpus de principes et de règles univoque suppose que chacun apporte, tour à tour, sa pierre à l’édifice. Ces distinctions de pensées sont d’autant plus essentielles qu’elles ne sont pas dépourvues de conséquences sur la place à accorder à la loi étrangère et à l’effet que l’ordre juridique du for entend lui faire jouer ou lui refuser. Le rôle de révélateur ultime est, ici, endossé par la teneur des réponses que les auteurs apportent au problème récurrent posé par les conditions de l’extraterritorialité d’une loi et de l’accueil de la loi étrangère. A cet égard, les solutions qu’ils préconisent se succèdent et se font écho, sans pour autant paraître antithétiques, et aboutissent à la consécration – théorique - de la notion de comitas.

De ce qui précède, il ressort que l’éclosion et l’épanouissement d’une doctrine internationaliste « hollandaise » s’expliquent par les conditions favorables qu’offre l’expérience politique, spirituelle et intellectuelle des Provinces-Unies du XVIIe siècle (Section 1ère). La

singularité du contexte dans lequel les auteurs sont amenés à réfléchir sur les conflits de lois se traduit par le postulat de la souveraineté/territorialité, et, donc, de la primauté qu’ils accordent au statut ou à la loi d’application territoriale, entendus comme les expressions de l’autorité ultime du législateur (Section 2ème). En envisageant ainsi d’ériger en principe la territorialité du jus proprium, les

Hollandais ne font pas œuvre nouvelle et ne font que se conformer à une tradition bien établie parmi les auteurs traitant du conflit de lois. Des auteurs de grand renom comme Bertrand d’Argentré ou Nicolas de Bourgogne – et dont il n’y a pas lieu de douter, au regard des références nombreuses qui sont faites à leur œuvre chez les Hollandais – avaient déjà posé en principe que l’intérêt et l’intégrité de l’ordre juridique du for, quand bien même celui-ci se trouverait inséré dans un ensemble politique plus large, requéraient une prédominance du statut réel. Chez ces mêmes auteurs, le statut est également réel, en ce qu’il peut se définir par une dimension spatiale, à savoir le territoire soumis à la lex rei sitae. Cette conjonction entre réalité et territorialité retentit sur les propres conceptions de Christian Rodenburg, qui, à l’instar de ses prédécesseurs, interprète le

306 Nous en voulons pour exemple que les premiers traits de la future École sont esquissés par Nicolas de Bourgogne –

Bourgoi(n)gne ou Burgundus – (1586-1649), qui était originaire d’Enghien dans le Hainaut et qui fit sa carrière en Flandres. De même, au sein des Provinces-Unies proprement dites, les auteurs de premier plan ne viennent pas de Hollande : ainsi, Christian Rodenburg et les Voet,Paul et Jean, sont originaires d’Utrecht, alors qu’Ulrich (ou Ulrik) Huber est, lui, viscéralement lié à sa Frise natale. Des quatre, le seul à se rattacher durablement à la Hollande fut Jean Voet qui fit carrière à l’Université de Leyde, dont il fut l’un des professeurs de 1680 à sa mort, en 1713. Sur cette question, voir les remarques d’Eduard-Maurits MEIJERS, qui, dans son « Histoire des principes fondamentaux », op. cit., pp. 544-686, spécialement les pages 653-654 ainsi que la note 3, présente les différents auteurs originaires des Provinces-Unies et compris sous l’appellation de « doctrine hollandaise ».

conflit de statuts comme un conflit entre compétences normatives, soit entre potestates statuendi. C’est aux deux Voet, et, en premier lieu, à Paul Voet que revient le mérite d’avoir opéré, sous l’influence des conceptions de Jean Bodin et de Hugo Grotius, la réorientation « souverainiste » des enseignements de la doctrine antérieure et de leur avoir donné une formulation claire et cohérente. Dans le prolongement des préceptes de Paul Voet, mais donnant à ceux-ci une dimension ouvertement ancrée dans le jus gentium, Ulrich Huber achève l’édifice et donne à la doctrine hollandaise des conflits de lois307 son visage définitif : celui qui voit dans le conflit de lois un

« conflit de souverainetés »308 (Section 3ème).

Section 1ère. Les conditions d’émergence d’une doctrine internationaliste hollandaise.

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