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Pour une approche diachronique en langue de spécialité : éléments théoriques et

2.1 Interne/externe : une distinction théorique fondamentale en terminologie

2.1.2.1 Terminologie textuelle

Le fait de considérer le terme comme signe linguistique à part entière entraine de lier la pratique terminologique aux données textuelles. En effet, comme le souligne Kocourek (1991a : 33), les textes spécialisés :

« constituent la liaison interdisciplinaire permanente entre la spécialité et la linguistique. La langue de spécialité, textes et système, est, d’une part, l’instrument de la connaissance spécialisée – elle fait donc partie de la spécialité et devrait être citée ensemble avec les autres composantes de la spécialité ; elle est, d’autre part, le sujet de l’analyse linguistique. »

L’observation des langues de spécialité doit donc partir des textes « produits ou utilisés par une communauté d’experts » dans la mesure où c’est là « que sont exprimées, et donc accessibles, une bonne partie des connaissances partagées de cette communauté » (Bourigault

de mettre en place une réelle approche descriptive de leur fonctionnement linguistique pour accéder aux connaissances du domaine.

Cette proposition, appelée « terminologie textuelle », bouleverse l’analyse terminologique classique sur au moins deux plans.

Tout d’abord, elle implique de ne plus penser l’analyse comme onomasiologique mais comme sémasiologique. Cette distinction renvoie au fait que dans l’optique classique, le concept étant l’objet premier de la terminologie, l’analyse prend pour point de départ le concept et lui attribue un terme-étiquette. Cette démarche est appelée démarche

onomasiologique. À l’inverse, la terminologie textuelle impose de partir non pas du concept

mais des termes dans les textes pour accéder au concept. Cette démarche est appelée

sémasiologique. En diachronie, certaines études se rapprochent d’une démarche

onomasiologique et font du concept leur point de départ. Leur objectif alors est de décrire l’évolution d’un concept et de sa dénomination au fil du temps. C’est le cas par exemple de Dury (1997 ; 1999) à propos de concepts de l’écologie, Hamelin (1995) à propos du concept

nordicité, Humbley (1994) sur le concept de phonographe, ou encore Van Campenhoudt (1998)

sur les concepts maille et maillon. Dans les faits cependant, la démarche onomasiologique est

souvent une « gageure » (Thoiron & Béjoint, 2003 : 7). Ainsi, Sager (1990 : 56, cité par Josselin-Leray (2005 : 30)) insiste sur le fait que :

« In reality the onomasiological approach only characterises the scientist who has to find a name for a new concept (an invention, a new tool, measurement, etc.); the terminologist, like the lexicographer, usually has an existing body of terms to start with. Only rarely is a terminologist involved in the process of naming an original concept. »

D’un point de vue diachronique, cette démarche ne nous semble pas adaptée sur plusieurs plans. Dans notre recherche notamment, il ne s’agit pas de décrire l’évolution de concepts connus a priori (élément central si l’on souhaite entreprendre une démarche

onomasiologique), mais d’identifier les concepts susceptibles d’avoir évolué. Cet aspect est d’autant plus important qu’il est clair que l’évolution des connaissances est un phénomène dont les experts n’ont pas toujours conscience et pour lequel l’analyste (linguiste ou

terminologue) n’a pas d’intuition. La seule démarche possible est alors de partir des textes pour repérer les connaissances évolutives et d’adopter la démarche sémasiologique décrite en terminologie textuelle35.

Le second aspect que nous souhaitons ici mettre en évidence est le fait qu’adopter une démarche textuelle, sémasiologique, implique de considérer le concept comme un construit et non pas comme une entité préexistante. Cette vision se retrouve chez les socioterminologues qui considèrent que le concept se construit en discours et qu’il s’y modifie en fonction de variables sociales et historiques (Gaudin, 2003). Elle est reprise en terminologie textuelle et notamment par Condamines (2003a : 52-53). L’auteure, à la suite des travaux de Rastier (1995), argumente en faveur d’une définition du concept comme « signifié normé » et pose que le concept ne peut être établi que si

« – il existe des conditions d’énonciation communes à un ensemble de locuteurs qui permettent de neutraliser les éléments propres à ce locuteur ; on a pu parler d’un locuteur collectif dans le courant de l’analyse de discours, ou de communautés de locuteurs (Gaudin, 1995) ;

- un interprétant (terminologue, linguiste, documentaliste, expert…), ayant un objectif précis, et qui, à partir du constat de régularités « immanentes » (normaison), attribue à certains des signifiés d’un texte, le statut de concept (normalisation) ; il y a donc passage d’un système sémiotique à un autre, relevant tous les deux du linguistique. » (ibidem)

Cette vision du concept comme signifié normé ouvre des perspectives centrales pour aborder l’analyse diachronique. En effet, considérer que le concept est construit implique de reconnaître que :

- le lien entre la forme linguistique analysée dans les textes et les connaissances n’est ni direct, ni univoque. Il doit être établi après une étape d’interprétation où l’analyste tient compte de régularités linguistiques observables en corpus ;

- l’interprétation doit faire intervenir des experts du domaine qui jugent de la validité et du statut des informations extraites ;

- l’interprétation doit prendre en compte les types de textes qui constituent les corpus d’étude, ainsi que l’objectif pour lequel l’étude est menée (Condamines, 2003a : 53).

Accepter que le lien entre dimension interne et dimension externe est construit est primordial lorsque l’on envisage ce lien au niveau des notions de langue et de connaissances, et non plus

au niveau du terme et du concept seuls. Nous posons ces éléments comme postulats à ce stade, mais justifions dans l’ensemble de notre travail de leur pertinence en diachronie. Pour mieux comprendre la pertinence de ce point de vue, il convient d’éclaircir ce que peuvent recouvrir les dimensions de langue et de connaissances lorsque l’on travaille à partir

de textes.