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Pour une approche diachronique en langue de spécialité : éléments théoriques et

Chapitre 1 Diachronie et évolution dans la langue SOMMAIRE DU CHAPITRESOMMAIRE DU CHAPITRE

1.2 Perspective diachronique et langue de spécialité

1.2.1 Fondements de la terminologie et diachronie

1.2.3.1 Nouvelles théories de la terminologie

En réponse au caractère normalisateur de la TGT, plusieurs propositions théoriques ont émergé qui, cherchant à se démarquer des positions wüstériennes, favorisent la prise en compte des phénomènes de variation en langue de spécialité, dont la variation diachronique. On retrouve cette idée dans des propositions théoriques telles que le sociocognitivisme proposé par Temmerman (2000a ; 2000b) et dont l’extrait ci-dessous illustre la position :

« En étudiant un corpus textuel de textes scientifiques adressés aux lecteurs potentiels de niveaux variés, nous avons constaté que le nombre de « vraies » notions selon la définition de «notion» proposée par l’école de Vienne est très restreint :

1) La plus grande partie des termes que nous avons trouvée dans notre corpus ne peut être attribuée à des notions clairement délimitées ; 2) Nous n’avons trouvé que quelques notions traditionnelles ;

3) Pour la plupart des notions, une structuration hiérarchique menant à une définition intensionnelle et extensionnelle n’est pas possible ; 4) Nous constatons que la synonymie (plusieurs termes pour une catégorie) et la polysémie (plusieurs catégories indiquées par le même terme) sont très présentes ;

5) Enfin les catégories et la signification des termes évoluent. […] C’est ainsi que nous nous pencherons sur l’unité de compréhension et de la prototypicité, les modèles cognitifs, les définitions variables, le rôle de la synonymie et de la polysémie dans les processus de compréhension et l’importance de l’étude diachronique dans la compréhension, ce qui se manifeste dans le développement de modèles cognitifs métaphoriques. » (Temmerman, 2000b : 58)

Autre proposition théorique, la socioterminologie (initiée en particulier par l’école de Rouen : Gaudin (1993 ; 2003), Guespin (1995) et Guilbert (1965 ; 1975) en qui certains voient leur précurseur), met également nettement en avant la centralité de l’évolution et de la variation en terminologie :

« Nul ne contestera certes à la terminologie spéculative le droit de rêver une langue platonicienne ou leibnizienne. […] Pour qui […] décide d’observer le rapport entre la terminologie comme discipline et les pratiques langagières dans des situations où fonctionnent discours scientifiques et techniques, le constat est inquiétant : une évolution sans cesse accélérée des sciences et des techniques, induisant un besoin croissant de dénominations, de transfert des savoirs et de savoir-faire, de négociation entre disciplines […]. » (Préface de Guespin dans (Gaudin, 1993 : 9))

Et plus particulièrement sur la question de la diachronie (toujours en réaction contre la vision de Wüster) :

« La diachronie, que la théorie d’Eugen Wüster chasse par la porte, revient obstinément frapper au carreau, si fort même qu’elle ébranle la belle construction : comment expliquer sans l’histoire les constantes survivances lexicales, en terminologie comme dans le langage quotidien? » (Guespin, 1995 : 206)

Une autre approche, différente et certainement un peu moins répandue, peut être citée : celle de Kageura (1999 ; 2002) appelée « théorie de la dynamique des terminologies ». À l’inverse de la socioterminologie ou du sociocognitivisme, Kageura n’insiste pas sur la variation terminologique, qu’il s’agisse de diachronie, de vulgarisation ou encore de polysémie, mais se focalise sur la question de la formation des terminologies. Plus précisément, il propose de mettre en place une théorie de la terminologie, comprise au sens de théorie des termes, qui doit nécessairement passer par une modélisation de leur dynamique :

« […] terms manifest themselves as concrete linguistic objects within a specialised discourse and their number is constantly growing. The fact that terms are first and foremost concrete linguistic objects makes it difficult to define the theory of terms at a proper level of abstraction. […]

In short, theories of terms – as opposed to theories of something for describing terms – are missing in the academic study of terminology. […] Research in the field of terminology needs to be broadened to include concrete descriptive analyses of terminology based on an explicitly stated theoretical position […]. This book is an attempt in this direction, focusing on the phenomenon of term

Cet extrait définit l’objectif qu’a Kageura de rendre compte de l’évolution de l’ensemble d’une terminologie (ou encore de la dynamique des termes) en modélisant la manière dont les termes se construisent les uns par rapport aux autres. En simplifiant quelque peu, on peut dire que ce point de vue propose l’étude de l’évolution des terminologies comme point de départ de la construction d’une théorie des termes. Et, bien que l’approche de Kageura ne se définisse pas comme diachronique16, elle fait la part belle à certains aspects de l’évolution terminologique, soulignant encore une fois le chemin parcouru sur cette question depuis la TGT.

Enfin, parmi les théories récentes en terminologie, une seule n’aborde pas encore la perspective diachronique : la terminologie textuelle (Bourigault & Slodzian, 1999 ; Condamines, 2000 ; Slodzian, 2000). Cette théorie s’appuie sur le lien étroit entre les pratiques terminologiques et les pratiques textuelles et font des textes la « matière première » de l’analyse :

« le texte est le point de départ de la description lexicale à construire. On va du texte vers le terme. » (Bourigault & Slodzian, 1999 : 31)

En adoptant cette conception des termes et des textes, la terminologie textuelle se rapproche de la linguistique, et notamment de la linguistique de corpus où la variation terminologique fait partie intégrante des préoccupations.

Mais également, de par leur intérêt commun pour les textes, celle-ci se rapproche des préoccupations de l’ingénierie des connaissances, ce que de nombreux articles mettent en avant17 (Bachimont, 2000 ; Bourigault & Aussenac-Gilles, 2003 ; Bourigault, et al., 2004 ;

Condamines, 1999 ; 2003a ; Condamines & Rebeyrolle, 1997b ; Otman, 1996 ; Rastier, 1995 ; Slodzian, 2000, etc.).

16 « […] The concept of dynamism here is essentially synchronic, as we assume the systemic/systematic factors in the existing terminology without referring to a time scale. The dynamics of terminology addressed in the present study is, thus, the dynamic potentiality (of creating new terms) observed in the synchronic slice of the internal structure of terminology » (ibidem : 34).

17 La plupart de ces auteurs sont réunis au sein du groupe « Terminologie et Intelligence Artificielle » (TIA, http://tia.loria.fr/presentation.html, consulté le 3 février 2009).

De ce fait, la terminologie textuelle s’est particulièrement intéressée à la question de la construction de ressources termino-ontologiques (RTO) à partir de textes (Aussenac-Gilles, 2004 ; Aussenac-Gilles & Bourigault, 2003 ; Condamines, 1994 ; 1999 ; Otman, 1996 entre autres), « berceau » de la collaboration entre terminologie, linguistique et ingénierie des connaissances :

« En permettant d’aborder systématiquement l’étude des pratiques textuelles réelles, la linguistique de corpus, avec ses techniques et ses outils, donne accès aux expressions linguistiques concrètes d’où il sera possible de faire émerger, puis de normaliser les termes pertinents. […]

Il va également de soi que la linguistique ne peut couvrir à elle seule le processus complet de modélisation des connaissances ; en fournissant la terminologie adéquate à l’application, le linguiste prépare le travail de représentation conceptuelle, mais il ne prend pas en charge la tâche de modélisation des connaissances qui aboutira à la construction d’une ontologie. Le relais est pris par l’ingénierie des connaissances. Le groupe TIA s’inscrit dans la nécessaire coopération interdisciplinaire entre linguistes et ingénieurs de la connaissance. » (Bourigault & Slodzian, 1999 : 32)

Ceci explique sans doute en partie pourquoi la question de la dimension diachronique ne s’est jamais posée concrètement à la terminologie textuelle : une RTO vise à représenter les connaissances d’un domaine pour une application donnée en synchronie et l'analyse terminologique a toujours été menée dans cette perspective.

Or, aujourd'hui se pose de plus en plus la question de la mise à jour et de la maintenance des RTO (Aussenac-Gilles, et al., 2007a ; Aussenac-Gilles, et al., 2007b), ce qui ouvre la voie vers la

prise en compte de la diachronie :

« Dans la continuité d’un effort d’évaluation, il est devenu crucial de s’intéresser à un autre paramètre, laissé de côté de manière plus ou moins délibérée jusqu’à maintenant : celui de l’évolution des ressources dans le temps, c’est-à-dire de leur maintenance et de leur pertinence dans de nouveaux contextes. Le paradoxe inhérent à la constitution d’une ressource termino-ontologique devient alors flagrant : une RTO doit à la fois « normaliser » des connaissances, c’est-à-dire leur donner un statut de référence à un moment donné et pouvoir être utilisée pour accéder à des connaissances qui évoluent, parfois très rapidement, dans des contextes

RTO dans un contexte d’évolution dans le temps des pratiques, des textes, des connaissances et des vocabulaires. » (Aussenac-Gilles, et al., 2007b)

Dans cet article, les auteures identifient quatre problématiques concernées par la question de l’évolution dans les ressources termino-ontologiques :

- la prise en compte de l’évolution dans les RTO : comment concevoir une modélisation facilement modifiable et adaptable aux évolutions? Avec quels outils?

- la relation entre les RTO et le contexte évolutif : vaut-il mieux envisager de reconstruire une RTO ou l’adapter? Comment comparer des RTO constituées à des périodes différentes?

- l’évolution du contexte : pour anticiper au mieux l’évolution d’une ressource, peut-on repérer des éléments contextuels annonçant l’inadéquation de cette ressource?

- le repérage de l’évolution dans les textes : les textes peuvent-ils fournir des indices de l’évolution des termes et des concepts?

Dans notre recherche, nous nous inscrivons dans ces nouvelles pistes théoriques en terminologie qui permettent la prise en compte de la dimension diachronique. Plus précisément, nous souhaitons nous inscrire dans une approche textuelle de la terminologie et apporter ainsi des réponses à la problématique soulevée par Aussenac-Gilles et al. À travers

la mise en place d’une méthode d’analyse linguistique outillée sur des corpus de textes spécialisés en diachronie, nous espérons offrir des pistes pour intégrer la dimension diachronique en langue de spécialité, et en particulier en terminologie textuelle. De plus, dans la mesure où la terminologie textuelle s’intéresse particulièrement à la question de la construction des ressources termino-ontologiques, les observations apportées prennent une dimension appliquée et offrent des éléments de réflexion pour la mise à jour de ces ressources.

Aujourd’hui, en langue de spécialité, la prise en compte de la dimension diachronique et de l’évolution des terminologies se manifeste principalement à travers trois approches : l’étude de la néologie, l’implantation terminologique et la terminochronie.