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Pour une approche diachronique en langue de spécialité : éléments théoriques et

Chapitre 3 Méthodologie pour une analyse de l’évolution en corpus

3.2 Choix méthodologiques pour notre étude

3.2.1.2 Domaine d’activité et domaine de connaissance

Au vu de la difficulté à définir la notion de domaine en langue de spécialité (§2.1.1.3), une

discussion de cette question dans le domaine spatial s’impose. Cette distinction conditionne en effet les choix faits dans notre recherche pour « situer » les corpus à sélectionner

(Condamines, 2003a ; Condamines, 2007) et assurer leur représentativité par rapport à notre problématique.

Nous l’avons vu, la répartition en domaines est souvent conventionnelle et définie a priori.

Dans notre recherche, la répartition choisie est celle du Cnes dont l’activité repose sur un découpage propre au domaine spatial et aux besoins de l’organisme. Néanmoins, certaines caractéristiques propres à ce découpage doivent être mises en avant pour appréhender l’étude de l’évolution.

Le terme « domaine spatial » renvoie à la fois à l’ensemble des sciences et techniques spatiales, mais aussi au champ d’applications ayant trait à l’espace. Ce terme, derrière une apparence d’homogénéité, cache une hétérogénéité extrêmement forte du domaine spatial où se mêlent domaines scientifiques, domaines techniques, domaines dédiés au spatial, domaines appliqués au spatial, etc.

Parmi l’ensemble des conséquences que cette hétérogénéité peut avoir dans le cadre d’une étude linguistique, deux phénomènes principaux doivent être pris en compte pour traiter l’évolution :

1. bon nombre de domaines impliqués dans le spatial ont une existence en dehors du contexte spatial et s’inscrivent alors dans ce que l’on pourrait appeler une « double vitesse » ;

2. il est nécessaire de prendre en compte la distinction entre « domaine de connaissance » et « domaine d’activité » (Bessé (De), 2000).

Le premier point implique que certains domaines ne sont pas dédiés exclusivement au spatial,

mais peuvent être appliqués au spatial. C’est l’exemple notamment de l’optique, domaine sur

lequel porte en partie cette étude. L’optique est une discipline très ancienne puisque les premiers miroirs et l’utilisation du verre sont connus depuis l’Antiquité ; et les premières inventions d’instruments d’observation astronomique sont attribuées aux peuples khmers, chinois et mayas à partir de 2500 avant Jésus Christ. Cette discipline a depuis fait l’objet de recherches incessantes, jusqu’à aujourd’hui où elle connaît un essor fulgurant grâce à la photonique et à l’utilisation du laser et des fibres optiques (voir à ce sujet la thèse Lelubre

domaine récent développé à partir des années 50. Et c’est à partir de cette date que l’optique, depuis toujours attirée vers l’observation de l’espace, s’applique à l’environnement et aux besoins spécifiques du spatial : développement de télescopes, d’instruments d’observation de la terre et de l’espace, de technologies de communication, développement d’instruments répondant aux contraintes de précision, de taille, de poids des applications spatiales, etc. Ses apports et sa spécialisation pour le spatial sont tels que l’on parle aujourd’hui d’optique spatiale, conférant à cette dernière un statut de domaine à part entière. On serait donc aujourd’hui face à deux domaines : l’optique et l’optique spatiale. Or, dans les faits, le second est peut-être plus une spécialisation du premier qu’un domaine différent : l’optique spatiale est en grande partie l’application et l’adaptation de connaissances et techniques optiques aux besoins propres à l’environnement spatial. De fait, lorsque des évolutions ont lieu en optique spatiale plusieurs points de vue peuvent coexister. Parmi ces points de vue :

1. de nouveaux composants utilisés en optique spatiale sont connus depuis longtemps en optique « générale », mais on ne sait les appliquer au spatial que depuis peu,

2. des techniques sont propres au spatial et ne se répercutent pas ou peu en optique,

3. des évolutions en optique ne sont pas utilisées dans le spatial.

Ce « double niveau » doit donc être pris en compte dans les interprétations de l’évolution du domaine observé. En effet, selon que l’on pose l’optique spatiale comme domaine à part entière ou comme spécialisation de l’optique, l’évolution observée peut être interprétée de manière sensiblement différente. Par exemple, en fonction du point de vue adopté, un concept optique nouvellement utilisé dans le spatial peut être interprété comme ancien s’il est connu depuis longtemps en optique, ou encore comme ancien mais ayant évolué parce qu’appliqué depuis peu au spatial, ou même nouveau si l’on s’accorde sur le fait que l’optique spatiale est un domaine à part entière. Ceci montre d’emblée la variabilité des interprétations auxquelles on peut faire face dans le cas de l’évolution des connaissances du domaine spatial. Mais nous y reviendrons longuement à l’aide d’exemples dans la suite de ce travail.

Le second point à souligner est la dimension technique centrale et l’importance du développement d’instruments, d’applications et de la mise en place de projets appliqués dans le domaine. Les développements techniques impliquent de prendre en compte non seulement les domaines de connaissances (au sens de De Bessé (2000 : 184)), mais également les domaines d’activité ou d’application. Rappelons que De Bessé (ibidem) définit un domaine

d’activité comme

« permet[tant] d’identifier un champ d’action, un ensemble d’actes coordonnés, une activité réglée, une pratique. Il correspond à une activité humaine, sociale, économique, industrielle. Il est constitué d’un ensemble de procédés bien définis destinés à produire certains résultats ».

Cette définition, bien qu’elle reste assez vague, peut s’appliquer au cas des projets spatiaux : les projets spatiaux, qui visent la mise en place de missions, le développement d’instruments, la mise en œuvre de systèmes spatiaux, constituent le fondement de l’activité du Cnes. Ils demandent la mise en œuvre de différents domaines et métiers, de moyens humains et financiers spécifiques pour parvenir à l’objectif d’un projet précis. Et comme dans le cas de n’importe quelle entreprise où les activités terminographiques peuvent être « orientées et délimitées en fonction […] d’une activité destinée à produire un résultat » (ibidem), les

activités terminographiques peuvent, voire doivent, être orientées en fonction du domaine d’activité que sont les projets spatiaux.

Pour comprendre et saisir l’évolution dans le domaine spatial, il faut donc prendre en compte ces différents éléments et observer à la fois l’évolution des domaines de connaissances et l’évolution des domaines d’activité. Ces aspects conditionnent en effet en grande part la représentativité des corpus et, de fait, les interprétations que l’on peut proposer de l’évolution, celle-ci étant relative au domaine sélectionné pour l’analyse.