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Pour une approche diachronique en langue de spécialité : éléments théoriques et

Chapitre 1 Diachronie et évolution dans la langue SOMMAIRE DU CHAPITRESOMMAIRE DU CHAPITRE

1.2 Perspective diachronique et langue de spécialité

1.2.1 Fondements de la terminologie et diachronie

1.2.3.2 Néologie, implantation et terminochronie : Trois approches diachroniques

A. Néologie

La néologie est un phénomène primordial en terminologie mais complexe et difficilement saisissable (entre autres Boulanger, 1989 ; Guilbert, 1975 ; Rey, 1976). Elle mérite un développement qui dépasse les objectifs fixés pour ce travail, mais le lecteur intéressé peut consulter des ouvrages tels que ceux de Humbley (à paraître) ou Sablayrolles (2000a).

Nous nous contenterons ici de souligner l’importance de cette notion qui, malgré les difficultés à la définir et la théoriser, est l’une des plus étudiées en langue de spécialité (pour des aperçus théoriques voir notamment Guilbert, 1974 ; 1975 ; Humbley, 2003 ; 2007 ; Rey, 1976 ; Sablayrolles, 1996a ; 2002b ; 2003b ou Rondeau, 1981 qui introduit le concept de

néonymie ou Béciri, 2000 ; Hamelin, 1995 ; Lino, 2005, parmi d’autres, pour des analyses de la

néologie dans des domaines spécifiques).

Et comme cet extrait de Guilbert l’illustre (1967 : 320 dans Guilbert, 1975 : 83)18, on ne peut parler de diachronie en langue de spécialité sans aborder la notion de néologie :

« […] les connaissances et les techniques nouvelles ne procèdent pas de rien mais découlent de l’acquis antérieur, l’enrichissement lexical ne se réalise pas par l’introduction dans le lexique d’un ensemble homogène de mots nouveaux correspondant à chaque technique nouvelle. […] De fait, tout ensemble lexical

technique présente nécessairement dans sa genèse, un aspect diachronique. »

Les difficultés à théoriser de manière satisfaisante ce phénomène en langue de spécialité ont notamment été mises en avant par Humbley (2007), dans sa communication lors du colloque

Terminologie : approches transdisciplinaires. L’auteur a souligné le fait que la néologie en langue

de spécialité a connu un essor important dans les années 1970 et 1980, comme l’atteste la création du Réseau International de Néologie et de Terminologie (Rint) ou du Centre de Néologie et de Terminologie (CTN). Mais cet élan s’est essoufflé à la fin du siècle précédent, ce que l’auteur explique en partie par la diffusion restreinte de cette question à la

francophonie, ainsi que par l’absence de théorisation satisfaisante de cette notion en langue de spécialité19.

Ceci constitue certainement une des raisons pour lesquelles la question de la néologie en langue de spécialité est souvent amalgamée à la question de la néologie en langue générale. Aussi, de nombreux travaux qui s’attachent à la définition de matrices lexicogéniques20 s’adressent-ils à la fois à la langue générale et à la langue de spécialité (voir Sablayrolles, 1996b dont le recensement montre l’amalgame entre ces deux dimensions). Desmet (2002) souligne d’ailleurs que de nombreuses descriptions prouvent que d’un point de vue strictement formel, néologismes en langue générale et en langue de spécialité partagent bon nombre de caractéristiques et se répartissent en trois grands groupes (subdivisables) : la néologie sémantique, la néologie formelle et les emprunts.

Or, une des caractéristiques principales de la question de la néologie réside dans son statut d’interface entre la dimension interne (linguistique) et la dimension externe (extralinguistique) :

« Mais le lexique ne consiste pas seulement dans le système de création lexicale, il débouche sur des unités de langage liées à l’univers des choses, aux modalités de la pensée, à tout le mouvement du monde et de la société. […] Une étude du lexique se situe à la charnière de la signification, là où opère la liaison entre les signes et les données de l'expérience. C'est un fait bien connu que le lexique se constitue par le dépôt naturel de tout l'extra-linguistique ; il s'articule sur la réalité sociale et sur son développement historique. » (Guilbert, 1965 : 8)21

19 Dans son ouvrage à paraître (en 2010), Humbley proposera d’ailleurs les bases d’« un programme de travaux visant à élaborer une méthodologie de la description de la néonymie, préalable à la mise au point d’une théorie, qui pourrait contribuer utilement à celle de la terminologie elle-même. » (Humbley, 2007).

20 Sablayrolles (2000a ; 1996b) recense par exemple près d’une centaine de propositions de typologies des modes de création des néologismes (matrices lexicogéniques).

21 Il s’agit d’une idée ancienne que Guilbert (1975 : 15) reprend par exemple de Nyrop : « Qu’il s’agisse d’une découverte scientifique, d’un progrès industriel, d’une modification de la vie sociale, d’un mouvement de la pensée, d’une manière nouvelle de sentir ou de comprendre, d’un enrichissement du domaine moral, le néologisme est impérieusement demandé, et tout le monde crée des mots nouveaux, le savant aussi bien que l’ignorant, le travailleur comme le fainéant, le théoricien comme le praticien. » (Nyrop, K. (1899-1930) Grammaire historique de la langue française, Paris, Picard, 6 volumes).

Nous l’avons vu plus haut (§1.1.2.2, p.12) à travers l’exemple du changement sémantique, l’évolution peut être observée le long d’un parallèle entre dimension interne (linguistique) et dimension externe (extralinguistique). Dans le cas de la néologie, s’il est possible de se concentrer essentiellement sur la description linguistique interne de matrices lexicogéniques (comme c’est généralement le cas en langue générale), on peut également aborder cette question à travers le lien entre évolution des connaissances (apparition d’un nouveau concept scientifique, technique, etc.) et évolution dans la langue (création d’un nouveau terme). En langue de spécialité, où la langue est considérée comme vecteur de connaissances, la prise en compte de ce parallèle est particulièrement centrale pour l’analyse. Cet aspect peut donc être vu comme un élément spécifique des études de la néologie en langue de spécialité où il est particulièrement pertinent de s’appuyer sur ce parallèle pour décrire et analyser l’évolution (Chapitre 2).

La place centrale de la néologie est liée également aux progrès des techniques de Traitement Automatique des Langues (TAL) qui permettent depuis une dizaine d’années la mise en place d’outils de repérage automatique des néologismes. Parmi les premiers travaux à bénéficier d’une analyse automatisée, on trouve ceux de Mathieu (1998) et Mathieu et al.

(1998) sur la langue générale, qui expliquent ainsi leur approche :

« Notre démarche consiste à confronter un corpus de journal avec le TLF en s’appuyant sur des procédures semi-automatiques. Cela permet d’alléger considérablement la tâche du linguiste, mais il reste néanmoins à ce dernier un travail important à faire : établir si un néologisme potentiel est ou non un vrai néologisme. » (Mathieu, et al., 1998 : 207)

Comme l’illustrent les auteurs, ces systèmes d’extraction de néologismes font généralement appel à la notion de corpus d’exclusion : on compare une liste de termes existants aux termes

présents dans un corpus de textes récents. L’hypothèse est que si un terme apparaît dans le corpus d’exclusion (le corpus de textes), mais est absent de la liste de référence, alors il peut s’agir d’un candidat néologisme.

l’Université Pompeu Fabra à Barcelone22 sont exemplaires (Cabré, et al., 2003 ; Cabré &

Yzagurri (De), 1995 ; Janssen, 2008) et développent également la question de l’extraction des néologismes oraux (Cabré, et al., 2003). Parmi les développements notables de ces systèmes

d’extraction de néologismes, on note qu’ils intègrent l’application de filtres morphologiques (pour l’exclusion de candidats néologismes mal construits) ou statistiques (pour ne conserver que les plus significatifs) afin d’affiner et améliorer le repérage (Roche & Bowker, 1999). La comparaison peut s’établir également directement entre textes, sans liste lexicographique de référence (Drouin, et al., 2006 ; Paquin, 2007). Enfin, d’autres études développent des

stratégies pour n’identifier que certains types de néologismes spécifiques, tels que les emprunts, en s’appuyant sur la comparaison d’associations de caractères et des calculs de distances entre ces associations (Minett & Wang, 2003). Ces systèmes de repérage de néologismes sont de plus en plus performants et s’instaurent désormais comme de véritables systèmes de veille néologique, notamment grâce au Web comme corpus. Si ces systèmes de veille à partir du Web sont centrés majoritairement sur l’extraction de néologismes en langue générale (Cartier & Sablayrolles, 2008), il n’est pas exclu que ceux-ci voient prochainement le jour pour les langues de spécialité.

Un peu plus loin sur l’échelle de la complexité du repérage de néologismes, se développent aujourd’hui des tentatives pour extraire automatiquement des néologismes sémantiques. La difficulté ici est que le repérage ne peut plus se baser sur le critère formel d’apparition des néologismes dans les textes, mais sur l’identification de sens nouveaux pour des termes existants. C’est la proposition par exemple de Mejri (2005). Cette proposition n’est à notre connaissance pas encore implémentée et la tâche est prometteuse mais ambitieuse.

L’importance du repérage et du traitement des néologismes se traduit aujourd’hui également par l’apparition de projets de grande ampleur tels que le projet NEOROM, coordonné par Cabré et qui réunit plusieurs observatoires de néologie des langues romanes (Cabré, 2006). Ce type de projet permet de mettre en avant les besoins applicatifs en lien avec les néologismes : « la lexicographie, la terminologie, l’harmonisation des ressources ou l’aménagement linguistique des langues […] » (ibidem : 117), qui demandent une « étude permanente de

l’évolution d’une langue à travers l’analyse de la néologie produite spontanément par ses locuteurs » (ibidem : 115). L’étude de la néologie dépasse donc le niveau descriptif et s’inscrit

aujourd’hui dans de véritables besoins applicatifs en terminologie, caractéristique que l’on retrouve dans un autre champ de recherches en diachronie, l’implantation terminologique.