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Pour une approche diachronique en langue de spécialité : éléments théoriques et

Chapitre 1 Diachronie et évolution dans la langue SOMMAIRE DU CHAPITRESOMMAIRE DU CHAPITRE

B. Implantation terminologique

1.2.3.3 Terminologie computationnelle et applications

Aujourd’hui, avec le développement des techniques de TAL, de la prise en compte des corpus en terminologie et de l’accès aux corpus numériques, émergent de plus en plus de

24 Ces limites, que l’auteur reconnaît lui-même (ibidem : 429), sont en particulier liées au fait que la comparaison

proposée ne prend pas en compte les textes entiers mais des nomenclatures de termes, ce qui limite l’observation des phénomènes de réduction (Jacques, 2003) et entraîne des interprétations souvent rapides des phénomènes présentés. De la même manière, la modélisation de l’observation de l’évolution des terminologies sur la base du calcul (B + C) / A est certainement un peu hâtive dans la mesure où l’auteur se concentre sur le nombre de signifiants recensés dans la nomenclature et non pas sur le nombre de signifiés. Ces limites s’expliquent par le fait que ces analyses se veulent les prémices d’une proposition diachronique et que les questions auxquelles celle-ci doit répondre sont vastes et complexes.

tentatives d’automatisation du repérage et de traitement des phénomènes diachroniques en terminologie. Comme décrit au paragraphe 1.2.3.2, la néologie fait figure de chef de file dans ce domaine. Mais depuis 2000, d’autres études apparaissent qui élargissent la définition d’évolution au-delà des frontières de la néologie et du repérage de nouveaux termes/concepts et qui proposent l’automatisation partielle ou complète des analyses.

C’est le cas notamment des travaux de Ahmad et son équipe (Ahmad & Al-Thubaity, 2003 ; Ahmad & Musacchio, 2004 ; Ahmad, et al., 2002 ; Schierz, 2007) ou encore de Tartier (2003 ;

2004 ; 2006 ; 2007).

Les travaux d’Ahmad et son équipe s’appuient sur des méthodes et outils de linguistique de corpus pour comparer et contraster les usages linguistiques dans le temps dans un domaine et/ou un genre donné :

« A corpus-based diachronic analysis […], based mainly on the morphologically productive use of certain terms can help in tracking the evolution of key developments in a rapidly evolving specialist field. » (Ahmad & Al-Thubaity, 2003 : 46)

« In this paper we look at key historic developments in (nuclear) physics in Italy during 1925-50 and relate these developments to modern day writings in nuclear and elementary particle physics in Italy. » (Ahmad & Musacchio, 2004 : 1567)

Les analyses sont menées à partir de gros corpus diachroniques découpés en périodes pertinentes définies en fonction de l’histoire du domaine observé (cf. 3.1.1.2, p.63).

L’un des intérêts majeurs de ces travaux pour notre perspective réside dans l’utilisation d’indices linguistiques repérables automatiquement dans les textes pour analyser l’évolution des termes du domaine. Les auteurs en utilisent principalement trois (Ahmad, et al., 2002),

que nous reprenons en partie et développons dans la deuxième partie de notre travail :

- les empreintes de fréquence (« Frequency Signature ») qui permettent d’observer si un terme est en croissance ou en décroissance dans les différents sous-corpus à travers le temps ;

- la productivité morphologique et lexicale, qui permet d’observer la création de termes nouveaux à partir de termes existants, par dérivation ou composition ;

- la cooccurrence, pour observer les contextes dans lesquels sont utilisés les termes (Ahmad & Musacchio, 2004).

Tartier, quant à elle, exploite dans ses travaux un parallèle entre les variantes de termes et l’évolution de ces termes. Le principe général sous-jacent à son hypothèse est que plus le mécanisme de création d’une variante est complexe, plus il est probable que le sens initial du terme ait évolué. L’auteure propose donc de calculer la distance entre un terme et sa variante pour analyser l’évolution. Pour prendre un exemple simple de distance, l’auteure considère qu’il faut trois modifications pour passer du terme diffusion cohérente inélastique d’électrons à sa

variante diffusion cohérente des neutrons thermiques : 1- suppression (diffusion cohérente d’électrons), 2- substitution (diffusion cohérente des neutrons), 3- insertion (diffusion cohérente des neutrons thermiques) (Tartier, 2006)25.

Force est de constater cependant que ces études sont assez souvent très informatiques et mathématiques, et ne questionnent pas réellement leurs objets d’un point de vue terminologique ou linguistique26. Elles apportent néanmoins plusieurs pistes intéressantes pour automatiser l’analyse dans une optique linguistique et terminologique. Notamment, les indices proposés peuvent être repris et discutés pour interroger le parallèle possible entre indices linguistiques dans les textes et l’évolution des connaissances, démarche proposée dans notre recherche.

Ces approches s’inscrivent dans la lignée de nouvelles possibilités d’automatisation des analyses et descriptions diachroniques en corpus. Les possibilités de traitement sont plus grandes, mieux balisées et permettent de répondre maintenant à différents besoins et applications pour lesquels la diachronie est centrale mais auxquels on ne pouvait répondre faute de moyens. Parmi ces besoins, nous avons cité dans ce chapitre la mise à jour de ressources terminographiques (Aussenac-Gilles, et al., 2007b), la veille néologique (Cabré, et

25 Cette approche interprète donc « à l’extrême » le parallèle entre dimension interne (linguistique, la dénomination) et externe (extralinguistique, ici le concept). Nous reviendrons sur cette question.

al., 2003 ; Sablayrolles, 2002b ; Cartier & Sablayrolles, 2008) et les études d’implantation

terminologique (Quirion, 2003a ; Quirion, 2004), mais d’autres applications sont envisageables. Ainsi, la veille scientifique et technique (Ibekwe-Sanjuan, 2005), la traduction (Dury, 2002) ou de la didactique des langues de spécialité (Celotti & Musacchio, 2004 ; Ravaoarimalala, 2005) manifestent un intérêt marqué pour ces questions27. Ces perspectives et les nouveaux apports de l’analyse diachronique participeront sans aucun doute ces prochaines années au développement de la prise en compte de la dimension diachronique pour les langues de spécialité et permettront en retour de mieux connaître les phénomènes d’évolution dans les langues et domaines de spécialité.

1.3 Synthèse

Nous avons choisi de construire ce premier chapitre comme un portrait croisé de la place de la diachronie en langue générale et en langue de spécialité. Le bref retour historique sur la tradition diachronique en langue générale a eu pour but d’inscrire notre perspective dans une orientation linguistique, mais surtout de montrer la manière dont les langues de spécialité se sont clairement distinguées de la langue générale sur la question de la diachronie. Au-delà de ce constat historique, ce portrait argumente en faveur du fait qu’aujourd’hui, tous les éléments sont réunis pour réconcilier enfin les langues de spécialité avec la perspective diachronique, très peu explorée jusque là.

Cette réconciliation peut se construire aujourd’hui sous au moins deux angles complémentaires : un angle théorique et un angle méthodologique (Dury & Picton, à paraître).

L’angle théorique est soutenu par la mise en place depuis une vingtaine d’années de nouvelles propositions théoriques en terminologie qui argumentent en faveur de la prise en compte de la variation linguistique. La terminologie dispose donc aujourd’hui de nouvelles bases théoriques sur lesquelles asseoir une description et un ancrage fort des phénomènes diachroniques dans son champ, dont la terminologie textuelle.

Le deuxième angle d’approche pour nourrir cette réflexion est un angle méthodologique. En effet, malgré les besoins reconnus de descriptions diachroniques des langues de spécialité, celles-ci ne sont pas faciles à mettre en œuvre et seuls les progrès récents de la linguistique de corpus et du Traitement Automatique des Langues permettent aujourd’hui d’envisager de systématiser, au moins en partie, les descriptions. C’est donc par la mise en place de méthodes d’analyse de l’évolution que l’on pourra disposer de données et de retours suffisants pour ancrer la dimension diachronique dans les langues de spécialité. Notre recherche s’inscrit dans cette perspective, ce qui justifie également notre choix de nous lier à la terminologie textuelle, qui place au centre de ses préoccupations la mise en place de méthodes linguistiques outillées pour les analyses terminologiques.

Notons qu’un troisième élément favorise cette réconciliation : la perspective applicative. En effet, les analyses diachroniques n’ont pas pour seul objectif de décrire les phénomènes d’évolution, mais sont également la clé de nombreux enjeux applicatifs sur lesquels nous reviendrons dans ce travail, et en particulier dans le Chapitre 10. Le développement de la perspective diachronique est loin d’être une question marginale ou infondée, mais se présente comme un véritable besoin et un véritable enjeu pour la terminologie.

Pour atteindre ces différents objectifs, et pour que les langues de spécialité s’approprient la perspective diachronique, il est important que les analyses n’ignorent pas l’expérience de la langue générale. Si les relations entre langue générale et langue de spécialité se sont traditionnellement construites sur la base d’une opposition, les langues de spécialité peuvent chercher à bénéficier de l’expérience et des réflexions mûries des études en langue générale pour construire un objet qui leur est propre. Plutôt que d’ignorer les travaux proposés en langue générale, ces derniers mettent au contraire au jour certains éléments de réflexion dont les langues de spécialité peuvent s’inspirer pour construire leur propre approche diachronique. Parmi ces aspects, ceux que nous retenons et développons dans les chapitres suivants sont principalement la place primordiale accordée aux corpus pour l’analyse diachronique, les nouvelles possibilités d’outillage pour l’analyse et la distinction entre une linguistique interne et une linguistique externe.

C’est d’ailleurs à ce dernier parallèle que nous faisons appel dans le chapitre suivant. En effet, cette distinction nous sert de fil conducteur pour présenter les principales notions théoriques en jeu et fonder les bases d’une approche méthodologique linguistique et diachronique en langue de spécialité.

Chapitre 2 Pour un parallèle entre évolution de la