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Pour une approche diachronique en langue de spécialité : éléments théoriques et

Chapitre 3 Méthodologie pour une analyse de l’évolution en corpus

3.1 Principes méthodologiques généraux pour l’analyse de l’évolution

3.1.1.2 Organisation temporelle des corpus : Choix des périodes et intervalles

L’organisation temporelle des corpus pour observer l’évolution est établie en fonction de deux critères : le premier concerne le choix de la période à observer, c'est-à-dire l’époque pour

laquelle on cherche à décrire l’évolution, et le second concerne l’intervalle de temps à

considérer, c'est-à-dire le laps de temps pendant lequel les changements sont susceptibles de se produire.

Helgorsky (1981 : 124) distingue deux approches pour établir ces choix. La première repose sur une chronologie externe : les corpus à observer sont définis en fonction d’événements politiques, historiques, sociaux dont on fait l’hypothèse qu’ils sont susceptibles de se refléter dans la langue. Par exemple, Drouin et al. (2006) ont choisi de comparer des corpus de textes

parus avant et après le 11 septembre 2001 pour observer la néologie dans la terminologie du terrorisme. Ahmad et Musacchio (2004), quant à eux, ont défini trois grandes périodes de l’évolution de la terminologie de la physique nucléaire auxquelles ils associent des types de textes dans lesquels sont diffusées ces connaissances41. Cette perspective se rapproche d’une autre de leurs propositions (Ahmad, 1996) encore une fois dans le domaine de la physique, et qu’adopte Chateau (2007) pour le domaine de la géologie : le découpage temporel des corpus est établi en fonction de grandes périodes identifiées dans les domaines comme étant des paradigmes scientifiques (Kuhn, 1999). Les travaux de Chateau cherchent d’ailleurs spécifiquement à explorer dans quelles mesures les corpus et la langue reflètent les ruptures entre paradigmes et soutiennent ainsi la théorie de Kuhn.

La seconde approche identifiée par Helgorsky repose sur une chronologie interne. Selon cette approche, il s’agit d’établir un découpage temporel à partir de différents états de langues prédéfinis tels que l’Ancien Français, le Moyen Français, le Français Classique ou le Français Contemporain dont on sait a priori qu’ils présentent des différences linguistiques

fondamentales. C’est l’optique choisie par exemple par Marchello-Nizia (1995 ; 2006), malgré le fait que la définition de ces différents états de langue n’aille pas toujours de soi (Prévost, 2008).

Au vu de ces deux critères et de ces quelques exemples d’études, la chronologie externe apparaît comme la perspective privilégiée pour aborder la question de l’évolution en langue

41 « The timeline is divided into three major zones : discovery, adaptation and utility. The discovery phase is characterized by writing in the formal genre, that of learned papers, the adaptation phase is where the knowledge has been researched to a good degree and has been adapted for teaching and learning about the discovery and, in

de spécialité où l’objectif est généralement lié à la description des connaissances. Dans notre approche, nous illustrons cette démarche puisque pour construire nos données, nous partons de l’identification de projets spatiaux ou de périodes dans le domaine spatial dont on fait l’hypothèse qu’ils reflètent des évolutions de connaissances dans les textes.

Le choix de l’intervalle temporel pendant lequel explorer l’évolution, quant à lui, est une question difficile, en particulier dans la mesure où la vitesse de l’évolution d’une langue est peu prévisible :

« une langue changera à peine pendant un long intervalle pour subir ensuite des transformations considérables en quelques années. De deux langues coexistant dans une même période, l’une peut évoluer beaucoup et l’autre presque pas […]. » (Saussure (De), 1995 : 142)

Ce que l’on sait en tout cas, c’est que les niveaux de description linguistique n’évoluent pas tous au même rythme. Ainsi, on remarque souvent que le lexique évolue plus vite que la syntaxe (Mair & Leech, 2006) ou encore que les changements phonétiques sont généralement longs. Néanmoins, à l’intérieur de chaque niveau de description, les changements n’interviennent pas tous au même rythme (Helgorsky, 1981) et certains changements phonétiques peuvent ainsi être plus rapides que d’autres. Sur la base de ces observations et en fonction des objectifs de la description, on pourra prévoir des intervalles plus ou moins longs : un néologue pourra envisager d’observer des intervalles courts (quelques années), alors qu’une étude sur l’évolution phonologique demandera plutôt des intervalles de plusieurs décennies, voire siècles.

Du point de vue externe on ne dispose que de peu d’éléments sur la rapidité de l’évolution des connaissances qui permettent de choisir aisément un intervalle. Une solution possible est de choisir l’intervalle de temps à observer en fonction de la période définie pour l’observation. Par exemple, Drouin et al. (2006) qui cherchent à observer les évolutions

terminologiques du domaine du terrorisme avant et après les attentats du 11 septembre, envisagent un intervalle court de 10 ans (1995-2005). Leur corpus est découpé en deux sous-corpus : « avant 2001 » et « après 2001 » pour pouvoir associer les changements

terminologiques à l’activité terroriste de 2001. Dans ces conditions, l’intervalle peut être très court mais très pertinent pour un objectif donné.

Cet aspect doit être mis en lien avec un certain biais apparu dans les recherches diachroniques. En effet, puisque dans la perspective saussurienne la synchronie et la diachronie sont corrélées au degré de changement42, les études diachroniques prennent essentiellement en compte des intervalles très longs, généralement de plusieurs siècles. Puisqu’il est difficile de savoir a priori, si une langue a subi assez de changements pour être

observée en diachronie, une solution est donc de prendre systématiquement en compte des intervalles de temps très longs, au cours desquels on est certain de repérer des changements.

Ce point de vue, largement adopté par les diachroniciens, est tout à fait justifiable mais a beaucoup limité les études consacrées à l’évolution, en particulier en « diachronie courte ». En effet, les études en diachronie courte (ou encore brachychrony (Mair, 1997), §1.1.2.3), reposent

sur de courts intervalles temporels et ont souvent du mal à trouver une légitimité parmi les historiens et diachroniciens de la langue. Ces derniers considèrent en effet que les changements observés sont trop minimes pour mériter une description diachronique.

Pourtant, si l’on adopte un point de vue externe et que l’on s’attache à définir des intervalles en fonction d’événements politiques, scientifiques ou culturels, la diachronie courte s’impose. Dans le cadre des langues de spécialité en particulier, les progrès scientifiques et techniques sont souvent très rapides et entraînent une croissance suffisamment importante dans les domaines pour que les changements apparaissent à très court terme dans leur terminologie. Ainsi, par exemple, un événement comme les attentats du 11 septembre a pu entraîner en quelques années de nombreuses créations terminologiques dans le domaine du terrorisme (Drouin et al., op.cit.). Le domaine de l’écologie a montré lui aussi de nombreux changements

terminologiques rapides ces dernières années (notamment au niveau de la vulgarisation et de la terminologisation (Dury, 2008b ; Dury & Lervad, 2007)). De fait, dans une perspective telle que la nôtre où la constitution des corpus dépend majoritairement de critères externes, la diachronie courte est la perspective qui s’impose. De ce point de vue, les langues de spécialité offrent donc un champ de recherche original pour prendre en compte des intervalles

d’observation de tous ordres et proposer des réflexions nouvelles sur l’évolution, des connaissances et de la langue.

En fonction du choix des périodes et intervalles définis, trois types de corpus peuvent être envisagés, corpus que nous définissons dans le paragraphe suivant.

3.1.1.3 Trois types de corpus : Corpus synchroniques, corpus de suivi et corpus